A l'heure où notre système politique divise la tendance libérale et conservatrice, chacune défendant une forme de liberté, Mathieu Laine remet le mot "liberté" au centre du village, telle une notion indivisible.
Ainsi, le libéralisme est originellement un acte de défense des droits fondamentaux de chacun, attentif à l'ordre social, dans lequel l'Etat joue un rôle crucial (cf. actions de Jacques Rueff).
Du pessimisme ambiant de nombreux citoyens sur la volonté de nos Politiques à vouloir oeuvrer pour le bien de notre nation et non de leurs propres "appareils", suffirait-il alors de démontrer que cette thèse ne loge aucune antinomie.
Chacun serait-il sur le fond en accord mais avec une vision protéiforme ?
Serions-nous si différemment identiques ?
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Le libéralisme à la source de la défense des droits !
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VENDREDI 29 JANVIER 2016Lelibéralismen’estpasunéconomisme
Chronique de Vincent GIRET - Annotée par Eric LEGER
La liberté sans modération,
comme un talisman, comme
une perspective, comme une
réplique détonante aux maux qui
nous assaillent. Il faut opposer la
puissance de la liberté à la peur vis-
cérale, à la tentation du repli général
et de la sécurité barricadée. C’est le
parti pris que l’essayiste Mathieu
Laine défend dans un Dictionnaire
amoureux de la liberté (Plon, 848 pa-
ges, 25 euros), un livre personnel,
atypique et lyrique qui tombe à pic
pour conjurer les risques de cette an-
née qui vient.
Disons-le tout net: ce n’est pas
parce que la France a sculpté le mot
de «liberté» tout en haut de sa devise
républicaine que notre pays a noué,
avec elle, une relation apaisée et con-
fiante. Bien au contraire. «Si la France
a fait naître parmi les plus grands et
les plus talentueux adorateurs de la li-
berté, écrit Laine, nul ne peut nier que
nous entretenons avec elle des senti-
ments mêlés.» Doux euphémisme. Le
procès de la liberté et de ses «excès»
ne s’est jamais éteint.
Au-delà d’un voyage subjectif, éru-
dit et ébouriffant mêlant écrivains,
scientifiques, danseurs, acteurs,
peintres, personnages de théâtre,
«startupers» et théoriciens tout-ter-
rain, Mathieu Laine défend l’idée
que la liberté ne se découpe pas,
mais qu’elle est d’un «bloc».
L’auteur en revient à l’esprit des pè-
res fondateurs et à celui d’un «âge
d’or» pour la liberté, quand, dans la
première moitié du XIXe siècle, une
pléiade de grands noms avaient
ajouté leur pierre à l’édifice du siècle
passé: Benjamin Constant, Ger-
maine de Staël, Jean-Baptiste Say,
Alexis de Tocqueville ou encore Fré-
déric Bastiat.
Au-delà de leur diversité, tous se si-
tuent dans la lignée des Lumières et
de la Révolution, et de ceux qui com-
battaient alors la toute-puissance du
monarque pour libérer l’individu de
ses entraves, qu’elles soient politi-
ques ou religieuses. D’un pas d’un
seul, cette «école française» est pas-
sée de la défense des libertés contre
le despotisme à l’invention du «libé-
ralisme».
Mathieu Laine n’y voit aucune con-
tradiction pour ces humanistes: c’est
au nom d’une émancipation de l’in-
dividu qu’ils prônent le «doux com-
merce», la concurrence et le libre-
échange; d’un même élan, ils
s’opposent aux conservateurs, aux
privilèges, aux rentes de situation et
à l’ordre moral.
C’est cet héritage volontiers oublié,
contesté ou rejeté que Laine ressus-
cite. Quitte à malmener certaines
idées reçues. «Quand on part à la ra-
cine du mot libéral, on est bien loin
des caricatures, affirme l’auteur: des
origines françaises, une défense
acharnée des droits fondamentaux
de chacun et une empreinte géné-
reuse très éloignée du grand méchant
marché.»
DIVERS, PROTÉIFORME
Dans un ouvrage précédent et collec-
tif dont il avait assuré la direction –
Le Dictionnaire du libéralisme (La-
rousse, 2012), Mathieu Laine rappe-
lait déjà que, historiquement, «les li-
béraux [ont constitué] un
mouvement de gauche jusqu’à la fin
du XIXe siècle». En tant qu’«indépen-
dant», Benjamin Constant a été le
chef de la gauche libérale. Alexis de
Tocqueville a siégé au centre gauche.
L’économiste Frédéric Bastiat, lui, dé-
puté de 1848 jusqu’à sa mort, deux
ans plus tard, a mêlé sa voix tantôt
avec la droite, tantôt avec la gauche,
voire avec l’extrême gauche, quand il
jugeait injustes et indécentes les exi-
gences des plus privilégiés. «Le libé-
ralisme n’est pas un économisme»,
plaide Mathieu Laine, mais il est di-
vers, protéiforme et transcende tou-
tes les chapelles. Le libéralisme,
autant que la liberté d’expression,
appartient, donc, aussi au génie fran-
çais: la thèse, pourtant peu contesta-
ble, va agacer et déranger.
Qu’il nous soit permis d’ajouter
deux entrées au dictionnaire de Ma-
thieu Laine. Jacques Rueff, d’abord,
étrangement absent, et sans doute le
dernier libéral à avoir assumé des
responsabilités au cœur de l’Etat.
Rueff n’a pas seulement donné son
nom au plan d’assainissement finan-
cier qui a permis au général de
Gaulle d’ouvrir la France à la concur-
rence en 1958, il a mis toute son
énergie à défendre un libéralisme ré-
nové, attentif à l’ordre social, sans re-
noncer au rôle de l’Etat. Ses analyses
sur les travers de l’Etat n’ont pas pris
une ride. Une biographie intelligente
lui rend hommage (Jacques Rueff, un
libéral français, Gérard Minart, Odile
Jacob, 368 pages, 25,90 euros).
Dans un tout autre domaine, le
grand historien et islamologue Ber-
nard Lewis aurait pu mériter quel-
ques pages, tant ses mots résonnent
encore aujourd’hui. Quelques mois
après le choc du 11-Septembre, Lewis
avait signé un ultime ouvrage de ré-
férence (Que s’est-il passé? L’islam,
l’Occident et la modernité, Gallimard,
2002). Il y disait ceci: «C’est le man-
que de liberté qui est à la base des
maux dont souffre le monde musul-
man: liberté de l’esprit affranchi des
dogmes et de la censure; liberté de
l’économie affranchie de la corrup-
tion et de l’incurie; liberté des fem-
mes affranchies de l’oppression mas-
culine; liberté des citoyens affranchis
de la tyrannie.» p
Dictionnaire amoureux de la liberté,
Mathieu Laine, Plon, 848 pages, 25euros