1Autour des grandes agglomérations des pays développés, les espaces périurbains sont souvent convoités par les acteurs publics et privés. En effet, ils offrent une disponibilité foncière qui peut permettre la réalisation de nouvelles infrastructures, d’ensembles résidentiels, d’équipements nuisant, ou encore l’implantation de certaines activités économiques (Kunzmann, 2004 ; Westerink et al., 2013). Les espaces périurbains sont hétérogènes et leur futur peut être envisagé de façon plurielle (Roux et Vanier, 2008 ; Siino, 2012). Dans cet article, nous souhaitons analyser comment, dans le contexte français de grandes agglomérations, la planification spatiale stratégique traite la demande de conversion d’espaces agricoles ou naturels vers la création ou l’extension de sites d’activités (bureaux, usines, entrepôts…). Aborder cette question suppose de rendre compte des arrangements d’acteurs locaux impliqués dans l’activité de planification, dans le cadre de procédures et d’orientations définies au niveau national. À plusieurs reprises, la recherche en urbanisme a pointé l’écart possible entre intentions de l’État et réalisations locales (Motte, 2006 ; Boino et Desjardins, 2009). En suivant ce courant de recherche, il s’agit pour nous d’apprécier comment la traduction spatiale des principes de durabilité, brandie par les autorités nationales comme un impératif, se fait au sein des planifications locales.
- 1 Dans cet article, nous mesurons l’étalement économique par l’emprise foncière des nouvelles zones d (...)
2Entre 1992 et 2004, la France a connu une artificialisation des sols de 56 000 hectares par an (Braye et al., 2009). Depuis 2006, l’artificialisation serait de 86 000 ha/an, soit l’équivalent d’un département français tous les sept ans (Petitet et Caubel, 2010). Or, l’usage des sols est encadré en France par des plans réalisés à l’échelle communale ou intercommunale. De plus, depuis les années 1990, l’État a fait de la planification spatiale un outil au service du développement territorial durable (Struillou, 2012). Dès lors, comment expliquer que la planification spatiale ne parvienne pas véritablement à réguler les futures demandes foncières ? Pour répondre à cette question, nous analyserons l’évolution du grand territoire de quatre agglomérations françaises telle qu’elle est envisagée dans les plans à 10-15 ans, les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT). L’analyse portera en particulier sur la façon dont les SCoT envisagent le développement économique à venir et anticipent les besoins fonciers des activités économiques. Jusqu’à présent, l’« étalement économique » a été moins étudié que les schémas de localisation résidentielle (Lemercier et al., 2010), alors qu’il est une composante importante de l’étalement urbain (Petitet et Caubel, 2010). Nous nous appuierons sur des résultats issus d’une recherche menée en 2011 et 2012 pour le Ministère français de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (Plan Urbanisme Construction Architecture) (Demazière, 2012). Pour quatre grands territoires urbains et périurbains (Marseille-Aix, Nantes Saint-Nazaire, Rennes, Tours), nous avons procédé à une analyse spatiale du développement économique1 et à une étude du contenu des documents de planification spatiale complétée par des entretiens semi-directifs auprès de techniciens de la planification et du développement économique. La section 1 de cet article rappelle les intentions du législateur en matière de planification spatiale et de construction intercommunale depuis le début des années 2000. C’est dans ce double cadre que s’élaborent au niveau local les stratégies de développement économique et les documents de planification. La section 2 de cet article présente les terrains et le dispositif méthodologique. Les sections 3 et 4 présentent les résultats et la section conclusive les met en perspective.
3L’étalement de la ville ces dernières décennies, assuré par une mobilité automobile dominante, est une manifestation localisée de modes de vie et de développement économique dont les ressorts généraux sont puissants (Ascher, 1995 ; Servain et al, 2013). En matière résidentielle, M. Vanier (2010 : 55) souligne, à l’échelle du périurbain français, « la puissance combinée de la prospection foncière, qui ratisse systématiquement tous les terrains constructibles ou susceptibles de le devenir, et de la construction sur catalogue (…). Il ne reste plus alors qu’à (…) convaincre les pouvoirs locaux de passer à l’urbanisation, sans qu’ils en aient conçu le projet de leur propre initiative ». De façon symétrique, la dispersion des processus de production à l’échelle internationale engendre une croissance continue des flux de marchandises, avec une hausse du trafic principalement routier aux échelles infranationales (Cardebat et Musson, 2010). L’accessibilité routière devient un critère primordial pour certaines activités économiques (commerce de gros, logistique…) qui tendent à s’extraire du tissu urbain, engendrant par là des consommations de foncier périurbain difficiles à réguler localement (CERTU, 2011).
- 2 Allocution de Jean-Claude Gayssot, ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement présenta (...)
- 3 Idem.
4C’est ici qu’intervient la planification spatiale, activité qui a été décentralisée aux communes françaises, mais dont les objectifs et les modes de faire sont encadrés par le législateur. Dans les années 1980, les documents de planification spatiale à l’échelle des agglomérations héritiers de la période des trente Glorieuses – les schémas directeurs – se sont révélés incapables d’assurer réellement la fonction de prévision qui leur était attribuée en matière d’usage des sols (Motte, 1995). C’est pourquoi, en 2000, la loi Solidarité et renouvellement urbains propose de « substituer au schéma directeur, trop rigide, peu adaptable et donc souvent rapidement inopérant, un schéma de cohérence territoriale alliant la souplesse à l’efficacité »2. Sur le fond, le SCoT « aura vocation à exprimer la stratégie globale de l’agglomération et à énoncer les choix principaux en matière d’habitat, d’équilibre entre zones naturelles et urbaines, d’infrastructures, d’urbanisme commercial ». Cette planification rénovée doit aussi chercher à dépasser l’émiettement communal français, porteur d’incohérences territoriales dans les choix opérés. C’est pourquoi le SCoT crée « un cadre unique de négociation de stratégies entre zones urbaines et périurbaines, voire rurales, qui font partie (…) d’un même espace de vie »3. En termes d’échelle, le SCoT peut concerner une ou plusieurs structures de coopération intercommunale. Plus récemment, les lois Engagement National pour l’Environnement visent à limiter l’impact environnemental de la croissance urbaine et préconisent une généralisation des SCoT. La loi ENE du 12 juillet 2010 élargit l’objet du SCoT pour en faire un instrument majeur de la gestion économe de l’espace – notamment par la lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles –, de la lutte contre le réchauffement climatique et de la lutte pour la préservation et la restauration de la biodiversité. Au 1er janvier 2012, 137 SCoT sont approuvés, concernant 6 267 communes, 86 993 km2 et 17 millions d’habitants ; 44 SCoT sont en cours d’approbation et 150 en cours d’étude.
5Par ailleurs, l’État a promu de longue date la coopération intercommunale, notamment pour enrayer la concurrence des communes en matière d’action économique (Boino et Desjardins, 2009). Depuis les années 1980, l’implantation et le développement des entreprises, dans la mesure où ils permettaient de collecter un impôt ciblant les entreprises ont été une préoccupation majeure des élus locaux (Demazière, 2009). La loi du 12 juillet 1999, dite « loi Chevènement », exprima la volonté de l’État de simplifier et d’unifier le statut de l’intercommunalité, notamment à travers plus d’homogénéité dans les règles qui régissent les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Sur le plan quantitatif, ce fut un succès. Début 2012, 90 % de la population française et 96 % des communes étaient regroupées en communautés. À fiscalité unique, les 202 communautés d’agglomération regroupant au minimum 50 000 habitants et les 12 communautés urbaines, qui comptent au minimum 500 000 habitants, abritent la moitié de la population française. Ces EPCI sont souvent au cœur des grandes aires urbaines. Ils en rassemblent, en moyenne, 70 % de la population sur 30 % du territoire. L’espace périurbain alentour est souvent organisé en communautés de communes.
- 4 Dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni, l’aménagement foncier et immobilier est assuré sauf excep (...)
6La loi Chevènement a conduit les élus communaux à une réorganisation du pouvoir local, de nombreuses compétences – dont le développement économique – étant désormais exercées par l’intercommunalité. Au même moment, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) est censé devenir le document pivot des politiques sectorielles (déplacements, habitat, équipement commercial..), mais aussi des actions spatialisées des établissements publics de coopération intercommunale. Ceci implique la définition d’un projet collectif et transversal, par des élus issus de structures intercommunales diverses, parfois récemment créées. En pratique, les modes de portage et d’élaboration des SCoT sont très diversifiés (Desjardins et Leroux, 2007). Parfois, le périmètre se confond avec celui d’une intercommunalité, alors que l’échelle des problèmes qu’il est censé traiter (consommation foncière, ségrégation socio-spatiale, usage de l’automobile…) est évidemment plus vaste. Relever le défi d’un projet spatial tentant de concilier attractivité et développement territorial durable se heurte au maillage institutionnel. Les EPCI sont les acteurs majeurs du SCoT, dans leur périmètre ou dans le cadre d’un syndicat les amenant à s’associer à d’autres. Par ailleurs, compte tenu des compétences qu’ils exercent, ce sont les EPCI qui mettent en œuvre les orientations d’un SCoT. Les tensions entre EPCI, mais aussi entre les orientations des plans et la réalisation de projets à vocation économique, sont particulièrement vives en matière d’action économique locale, car en France les structures intercommunales décident la création de zones d’activités économiques spécialisées ou mixtes, anticipant ainsi les besoins fonciers et immobiliers des entreprises4. D’un autre côté, lors de la réalisation d’un SCoT, les EPCI décident de la localisation de ces mêmes projets (renouvellement urbain ou extension), des densités d’emplois à recommander, etc. Autrement dit, à l’échelle du grand territoire des grandes agglomérations, les EPCI sont à la fois concurrents pour capter les entreprises et obligés de coopérer, à l’occasion d’exercices de planification, pour rationaliser leurs stratégies et ainsi limiter leur volonté de puissance foncière.
7Dans ce contexte, quelle est la capacité effective de la planification stratégique spatialisée à favoriser la réduction de l’impact des activités économiques en matière de consommation foncière ? Comment est géré l’impact des besoins fonciers sur les zones protégées ou sensibles telles qu’elles sont inscrites dans les documents de planification ? En traitant la localisation des futurs sites d’activités économiques, l’élaboration du SCoT est l’occasion d’échanges, d’arbitrages, de régulation des conflits entre enjeux de développement économique et enjeux de maintien d’espaces agricoles ou sensibles. Le résultat des échanges entre acteurs intervenant (les EPCI), voire avec les acteurs concernés dans le cadre de démarches de consultation (entreprises et leurs représentants, associations environnementales…) peut être lu dans les objectifs énoncés dans les documents produits, puis dans leur mise en œuvre.
8Dans un article intitulé « La démarche de développement durable à l’échelle des régions urbaines », Godard (1997) émet l’idée que « les scènes du développement durable qui réussiront sont celles qui arriveront à trouver un bon équilibre entre deux pôles, (…) être à la fois de bons espaces de problèmes permettant une construction sociale et intellectuelle satisfaisante de ces problèmes, et de bons espaces de solutions permettant l’engagement coordonné d’actions et une mobilisation efficace des ressources adaptées aux problèmes identifiés » (Godard, 1997 : 37 ; italiques de l’auteur). Cette réflexion indique que la territorialisation du développement durable peut faire émerger de nouveaux espaces, aptes à appréhender et à traiter une problématique spécifique, mais aussi que cette émergence peut être inégalement aboutie. En matière de planification spatiale, quel est le « bon » périmètre ? Après avoir abordé cette question, nous traiterons des indicateurs à retenir pour cerner les enjeux locaux de la planification.
9Analyser et caractériser le territoire d’une grande agglomération nécessite au préalable de le définir et le limiter. Sachant qu’il n’existe pas de périmètre statistique pleinement satisfaisant, nous avons fait un détour par la littérature sur la planification stratégique spatialisée, et avons retenu la notion de région urbaine, mise en avant par Motte (2006), influencé par des auteurs anglo-saxons (Albrechts, 2004 ; Healey, 2004), qui parlent de city-region. Ces chercheurs définissent la région urbaine comme une région économique fonctionnelle axée sur une ou plusieurs grandes agglomérations. C’est aussi une notion dynamique, que Motte (2007) propose d’envisager comme une aire urbaine à l’horizon de trente ans. Échelle spatiale émergente, ce grand territoire est généralement constitué d’un ensemble fragmenté de juridictions territoriales (communautés urbaines, d’agglomération ou de communes) dont le point commun est d’avoir comme premières compétences obligatoires l’aménagement de l’espace et le développement économique. Considérer la région urbaine pose donc la question de la coordination des stratégies entre des territoires interdépendants mais distincts institutionnellement (Demazière, 2012). En pratique, nous avons retenu les périmètres des aires urbaines pour approcher la région urbaine et le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) a été privilégié puisqu’il constitue, comme mentionné précédemment, le document de planification de référence à l’échelle d’un grand territoire en France.
- 5 Examen simultané des critères de croissance de la population, de l’emploi et d’une meilleure perfor (...)
10Les études de cas ont été sélectionnées en considérant des critères liés à la problématique, tout d’abord un contexte économique local favorable amenant à intégrer l’accueil des entreprises5, mais également une dynamique institutionnelle variée. À ce titre, on a recherché à la fois des cas de construction intercommunale récente et peu aboutie (communauté d’agglomération créée ex nihilo et plans locaux d’urbanisme communaux), ou ancienne et intégrée (communauté d’agglomération/urbaine par transformation d’un EPCI à fiscalité propre préexistant, dotée d’un plan local d’urbanisme communautaire). À l’échelle de la région urbaine, on a également privilégié des cas contrastés de construction interterritoriale, allant de la réalisation de plusieurs SCoT d’EPCI à des cas où le SCoT principal couvre la majorité de la superficie de la région urbaine et est porté par un syndicat mixte assurant d’autres missions que la planification spatiale.
11Les quatre cas choisis, Marseille/Aix-en-Provence, Nantes, Rennes et Tours sont respectivement classés 3ème, 8ème, 11ème et 18ème aire urbaine en termes de population, en 2008 et présentent des spécificités dans leur morphologie et leurs dynamiques (Tableau 1).
Tableau 1. Caractéristiques des régions urbaines étudiées
- 6 Données cumulées pour le rapprochement des deux aires urbaines, notamment population (2009) 862 111 (...)
Aire Urbaine
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Marseille/Aix-en-Provence
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Nantes/Saint
Nazaire6
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Rennes
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Tours
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Population (2009)
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1 714 828 hab.
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1 070 378 hab.
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663 214 hab.
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475 600 hab.
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Population (1999) dans les limites de l’aire urbaine 1999
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1 599 717 hab.
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883 662 hab.
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577 405 hab.
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443 847 hab.
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Surface (2010)
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3 190 km2
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4 173 km2
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3 781 km2
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3 199 km2
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Evolution de l’emploi salarié privé par rapport à la moyenne nationale (1993-2009)
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+13 %
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+27 %
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+24 %
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+2,3 %
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Nombre de communes sur l’aire urbaine (2010)/Nombre d’établissements publics de coopération intercommunale (communautés)
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90/10
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143/20
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189/20
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144/14
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Nombre de SCoT sur l’aire urbaine (dont approuvés au 31/12/2012)
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6(1)
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8(4)
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8(6)
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5(3)
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Forme de la région urbaine
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Polycentrique
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Duo-centrique
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Mono-centrique
|
Mono-centrique
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Source : INSEE, RGP millésimé 2009 et recherches des auteurs.
12Tandis que les régions urbaines nantaise, rennaise et tourangelle se caractérisent par un fort contraste urbain-rural, l’aire urbaine de Marseille-Aix est marquée par une forme urbaine polycentrique. Cette dernière se singularise également par le décalage entre une croissance économique importante et une construction intercommunale lente et laborieuse (Da Silva et al., 2007 ; Douay, 2013). Nantes-Saint Nazaire constitue un système bipolaire réuni par un schéma de cohérence territoriale (SCoT) à cette échelle, ce qui est rare dans le cas français, ainsi que par une Directive Territoriale d’Aménagement. Depuis 2010, les deux aires urbaines se sont rejointes. Rennes, par sa position de capitale d’une région à forte identité, son rayonnement économique, son dynamisme démographique, fait figure de métropole régionale (Gaultier et Sauvage, 2007). La communauté d’agglomération centrale, Rennes Métropole, s’est dotée de façon volontaire d’un plan local d’urbanisme communautaire. L’aire urbaine rennaise se démarque par une ancienneté des pratiques de l’intercommunalité. Elle est largement couverte par un SCoT, porté par le Pays de Rennes. Tours se caractérise par un rayonnement plus modeste à la fois sur le plan économique et politique. Sa croissance économique est influencée par celle du bassin parisien et l’intercommunalité, qui ne date que de 2000, peine à faire aboutir le SCoT (Demazière, 2007).
13Si l’environnement peut être considéré comme « une dimension incontournable de toute étude de l’urbain, de sa gestion et de son aménagement » (Chaline, 2005 : 116), sa définition n’est pas la même suivant les contextes et les acteurs ce qui amène à le considérer comme une notion polysémique. Notre réflexion portant sur la capacité de la planification à réguler et orienter les usages de l’espace, nous avons sélectionné, en amont de l’analyse des documents de planification et de la rencontre d’acteurs, des enjeux environnementaux cartographiables comme la biodiversité (habitats) et le risque inondation (zones inondables).
- 7 Seules les données de synthèses issues de l’analyse cartographique sont reprises dans les tableaux (...)
14Pour rendre comparables les régions urbaines sélectionnées, il a été nécessaire de dresser un profil environnemental détaillant mais également localisant la biodiversité et les risques (cf. tableaux 3 et 4). Pour cela, un Système d’Informations Géographiques a été mis en place, qui intègre des données caractérisant les périmètres de protection et l’occupation du sol (CORINE Land Cover et données produites par les acteurs locaux). L’analyse de ces données, couplée avec des études et diagnostics réalisés à l’échelle départementale (Atlas des Paysages) ou intercommunales (Trames Vertes et Bleues…) a permis de produire un tableau de synthèse ainsi que des cartographies7 pour aboutir à la définition d’un profil environnemental.
15Concernant la biodiversité, nous avons choisi de réaliser un classement des territoires en fonction de leur niveau de contrainte en calculant le pourcentage de territoires concernés par les dispositifs de protection et de gestion. Le niveau fort correspond à une interdiction de toute implantation humaine, le niveau moyen à des restrictions partielles ou des orientations préférentielles et le niveau faible sont les outils qui n’ont qu’une portée informative. Parmi les risques naturels et technologiques, seule l’inondation a été retenue car l’analyse des territoires a montré qu’il était le seul à concerner les quatre régions urbaines.
16Afin de caractériser et de spatialiser les activités économiques, seconde entrée de cette étude, nous avons choisi de considérer les zones d’activités économiques (ZAE), outil privilégié de développement des activités économiques pour les EPCI (Crépin, 2010). Les zones d’activités économiques ont donc été répertoriées et intégrées dans la base de données géolocalisées. Leur croisement avec les données environnementales a ainsi permis de générer un tableau de synthèse et des cartes mettant en évidence l’empiètement des zones d’activités sur les périmètres protégés.
17L’approche précédente a été complétée par l’analyse du contenu des documents de planification spatiale ainsi que la réalisation d’entretiens semi-directifs, enregistrés et retranscrits. Le guide d’entretien a été structuré en trois entrées afin de répondre aux objectifs fixés et recueillir des informations sur le contexte institutionnel et la planification dans les deux domaines considérés (économie et environnement). Il s’agit de : la stratégie des acteurs du territoire en matière de développement des activités économiques, l’arrivée de l’environnement dans les politiques locales de développement économique et la planification stratégique des enjeux économiques et environnementaux.
18Les acteurs territoriaux rencontrés, 29 répartis dans les quatre territoires, sont principalement des techniciens de structures intercommunales (services développement économique ou aménagement de communautés, syndicats portant un SCoT), ceci afin de caractériser le contexte institutionnel, le projet de territoire et l’état de la planification dans les domaines économiques et environnementaux. Il s’agit ici de cibler le contenu des politiques de développement économique et les contradictions ou les convergences entre exercice de planification et logiques de localisation des activités économiques.
19Les SCoT des aires urbaines étudiées englobent des EPCI centraux et des EPCI périphériques. Cette distinction est importante à deux titres : d’une part les capacités d’ingénierie ne sont pas les mêmes et d’autre part les dynamiques économiques diffèrent. Le marché local immobilier et de l’emploi est dominé par le pôle urbain central qui rassemble jusqu’aux deux-tiers de la population et trois-quarts des emplois de l’aire urbaine (cas de Nantes, Rennes et Tours). Les EPCI centraux sont doublement avantagés pour élaborer leurs politiques de développement économique
Tableau 2. Profil de spatialisation du développement économique des EPCI centraux étudiés
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Communauté urbaine de Marseille Provence Métropole
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Communauté urbaine Nantes Métropole
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Communauté d’agglomération de Rennes Métropole
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Communauté d’agglomération Tour(s) Plus
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Projets phares en centre ville
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Euroméditerranée (600 000 m2 bureaux)
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Ile de Nantes (350 ha, 300 000 m2 bureaux)
EuroNantes (600 000 m2 bureaux)
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Quartier de la Courrouze (120 ha, 140 000 m2 bureaux).
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Magasins généraux (35 000 m2)
Projet Mame
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Zones d’activités existantes
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67 ZA
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124 ZA
3 630 ha
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35 ZA
2 500 ha
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43 ZA
1 500 ha
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Zones d’activités en projet
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160 ha
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250 ha
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385 ha
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98 ha
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Source : auteurs
20Au regard des éléments collectés lors des entretiens, les politiques de développement économique élaborées par les EPCI sont d’autant plus diversifiées que le territoire couvert est de grande taille et abrite des fonctions métropolitaines. Ainsi, à Marseille et Nantes, des grands projets économiques et urbains sont développés au cœur même de la ville : Euroméditerranée (168 ha) et l’Île de Nantes (350 ha). Ces deux projets mêlent des opérations de réhabilitation d’espaces dégradés ou de friches industrielles avec la création de logements et de surfaces de bureaux. Les objectifs affichés sont à la fois de reconquérir des espaces délaissés, mais aussi de modifier l’image de l’ensemble de l’agglomération et de la hisser au rang de métropole européenne dynamique. Les communautés d’agglomération de Rennes et de Tours conduisent aussi des opérations de reconversion de friches économiques ou militaires. Mais ces opérations sont plus modestes et, bien qu’affichant une volonté de mixité fonctionnelle, elles sont essentiellement axées sur le logement car la demande d’une localisation centrale de la part des acteurs économiques est assez réduite. S’inscrivant apparemment dans une logique de ville compacte, les projets de requalification nécessitent une volonté locale allant bien au-delà de la réduction des externalités environnementales surtout lorsque le marché foncier local ne peut compenser les surcoûts liés à la réhabilitation. Ceci peut être illustré, à Tours, par l’abandon du projet de réhabilitation des magasins généraux mais aussi par les projets jamais aboutis d’immeuble de bureaux sur une dalle enjambant la voie ferrée ou de « pont habité » sur la Loire. Des évènements extérieurs, comme l’arrivée du TGV à Rennes ou à Marseille, sont utilisés comme catalyseurs pour initier des opérations de renforcement de l’offre de bureaux en centre-ville.
21Pour leur part, les EPCI périurbains s’insèrent dans un marché immobilier et d’emploi local qui est dominé par le pôle urbain central. Les stratégies périurbaines de développement sont alors définies en rapport à celle de l’EPCI centre. Un EPCI périurbain peut avoir une action « d’opportunité » en se contentant d’ouvrir des zones d’activités et espérer capter le « trop plein » des implantations. Il se pose ainsi en concurrent de l’EPCI centre. Une autre stratégie est de type « différenciée » ou « complémentaire ». Il s’agit ici d’attirer des activités économiques sur des segments de marchés spécifiques ou « innovants » (Nadou, 2013) par rapport à l’EPCI centre. Ces deux stratégies dépendent de la capacité et de la volonté de l’EPCI à susciter un développement plus qualitatif. C’est le cas de la Communauté de Communes de l’Est Tourangeau, du Val d’Ille à Rennes, ou de la communauté d’agglomération d’Aix-en-Provence, qui se positionnent sur les niches de type « éco-activités » ou de haute valeur ajoutée (pôles d’excellence) qui sont peu développés, au final, dans les EPCI centres respectifs des grands territoires considérés.
22Néanmoins, l’implantation de zones d’activités dans les espaces agricoles n’est pas l’apanage des EPCI périurbains. Les EPCI de grande taille mènent aussi des opérations de création de zone d’activités. Les raisons mises en avant sont la crainte d’une évasion des entreprises vers les EPCI voisins ou l’identification, comme à Rennes, de besoins pour des entreprises nécessitant de grandes surfaces.
23Au final, il n’y a pas de spécialisation de l’EPCI dans un certain type de développement : les EPCI centraux visant les activités à la recherche de centralité, les EPCI périphériques privilégiant les activités à la recherche de foncier. La ligne de partage est plutôt entre les EPCI dont la stratégie vise à susciter un développement spécifique et ceux qui mettent en avant une ressource banale : du foncier viabilisé accessible. Dans le deuxième cas, comme les quatre territoires étudiés bénéficient d’une bonne desserte autoroutière, la prime va à l’EPCI qui est capable d’offrir immédiatement du foncier. Ceci conduit à une offre qui dépasse très largement la demande.
24L’examen des documents de planification et du SCoT en particulier, montre en première lecture une orientation prononcée pour la thématique du développement durable. Ainsi, et même si le premier concerne le rayonnement métropolitain, trois des six titres du Document d’Orientations Générales (DOG) de Marseille-Provence-Métropole sont ainsi orientés : « Le littoral, une identité forte à ménager ; Promouvoir un rapport exemplaire entre ville et nature ; Restructurer durablement l’armature urbaine » (DOG MPM : 2-3). La partie 1 du DOG de Rennes débute par « la trame verte et bleue, préservation du socle territorial et grands équilibres du territoire » (p.5), avec un premier thème sur « la sauvegarde du capital environnemental ». De la même manière, le premier des quatre cahiers du SCoT de l’Agglomération Tourangelle s’intitule « La nature, une valeur capitale », alors que le DOG de Nantes apparaît comme celui qui affiche le moins explicitement la thématique, plutôt centré en priorité sur l’organisation spatiale et les mobilités (Demazière, 2012). à partir de ces premiers constats la question est de savoir si l’intégration des enjeux environnementaux dans les documents de planification dépasse, ou non, la rhétorique.
25La superposition de la localisation des activités économiques et les enjeux liés à la biodiversité, données issus du Système d’Informations Géographiques permet de quantifier le croisement entre ces deux variables (tableau 3). Que ce soit pour les zonages de préservation de la biodiversité ou pour la prévention des risques naturels, il s’agit d’enjeux, et donc de données, qui ont été définies au niveau national et qui supposent une appropriation par les acteurs locaux.
Tableau 3. Nombre de zones d’activités localisées sur les zones de préservations de la faune ou de la flore
Région urbaine
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Marseille/Aix-en-Provence
|
Nantes/Saint-Nazaire
|
Rennes
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Tours
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Surface de la région urbaine en protection forte
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3 %
|
1,6 %
|
0 %
|
0,1 %
|
Surface de la région urbaine en protection moyenne
|
Non disponible
|
12 %
|
0 %
|
12 %
|
Surface de la région urbaine en protection faible
|
9 %
|
17 %
|
1 %
|
5 %
|
Nombre de zones d’activités empiétant sur une zone réglementée ( % par rapport au nombre total)
|
36 (19 %)
|
63 (26 %)
|
8 (4 %)
|
12 (7 %)
|
Source : Barrado et al., 2012
26Il est tout d’abord important de souligner que les quatre sites étudiés ne présentent pas la même biodiversité. Les régions urbaines de Marseille et de Nantes comprennent des estuaires, des zones de contact entre les eaux douces et les eaux salées et des zones de marais particulièrement riches en habitats d’intérêts remarquables. Dans la région urbaine de Tours, les zones humides se limitent à la vallée de la Loire. La région urbaine de Rennes présente, quant à elle, une biodiversité ordinaire, qui fait peu l’objet de dispositifs de protection. Par ailleurs, c’est pour Nantes et Marseille que le nombre de zones d’activités empiétant des zones de protection de la biodiversité est le plus important. En regardant les dates de création des périmètres de protection et d’implantation des zones d’activités, nous observons que les périmètres de protection ont été délimités après la réalisation de la plupart des principales zones d’activités. En revanche, il ressort qu’il est difficile de renoncer à un site de développement stratégique une fois celui-ci implanté comme le montrent les extensions des zones industrialo-portuaires de Saint-Nazaire et de l’étang de Berre qui se poursuivent en dépit de la création dès les années 1970 du Parc Naturel Régional de Brière et du Comité Intérêt Patrimonial Camargue Biosphère.
Tableau 4. Nombre de zones d’activités localisées en zone inondable
Région urbaine
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Marseille-Aix-en-Provence
|
Nantes/Saint-Nazaire
|
Rennes
|
Tours
|
Surface de la région urbaine concernée par le risque d’inondation
|
87,7 %
|
46,2 %
|
71,9 %
|
38 %
|
Nombre de zones d’activités empiétant sur une zone réglementée ( % par rapport au nombre total)
|
77 (40 %)
|
45 (18 %)
|
35 (34 %)
|
39 (27 %)
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Source : Barrado et al., 2012
27Tout comme pour les périmètres de protection de la biodiversité, les Plans de Prévention des Risques inondation (PPRi) sont de création récente et souvent postérieure à la création des zones d’activités. Cependant, à la différence de la biodiversité pour laquelle la prise de conscience est récente, les risques naturels sont identifiés et font l’objet de mesures de protection depuis plusieurs décennies. On constate que les quatre agglomérations ont installé des activités économiques en zone inondable, même si Nantes et Tours se détachent. Nantes peut être considérée comme la plus vertueuse, mais le chiffre est sous-estimé compte tenu de l’obstruction menée par les élus locaux pour la réalisation du PPRi : les démarches lancées par l’État suite à la loi de 1995 n’ont toujours pas abouti, les collectivités locales et l’État étant en désaccord quant à la méthode de calcul de la zone inondable. En attendant de trouver un accord, Nantes a poursuivi l’urbanisation de l’Île de Nantes (Gralepois et al., 2011). À l’inverse, à Tours le nombre de zones d’activités en zone inondable est relativement élevé au regard du total des surfaces concernées par le risque. Cela s’explique par le manque d’espace dont ont souffert certaines communes entièrement inondables. Là aussi, il existe un décalage entre les collectivités et les services de l’État. Les municipalités dont les documents d’urbanisme prévoyaient des ZAC avant la prescription des PPR conservent leurs droits de construire dans ces zones même si elles sont inondables. La mise en œuvre des PPR n’a pas stoppé les projets d’urbanisation elle a entrainé une situation de négociation entre l’état et les communes (idem). La création récente d’EPCI aux territoires incluant les plateaux a conduit à l’abandon partiel de cette stratégie.
28Dans tous les cas considérés, le croisement des périmètres de protection avec la localisation des zones d’activités montre des chevauchements (tableaux 3 et 4). Or, les entretiens ont révélé que les indicateurs visant à mesurer les impacts environnementaux des activités économiques n’existent pas au niveau local. Un rapport du Centre d’Analyse Stratégique (2011) consacré « aux aides publiques dommageables à la biodiversité » abonde en ce sens. Il montre que les collectivités engagent des actions qui favorisent l’étalement urbain et ne disposent pas des outils d’évaluation de l’impact environnemental de leurs politiques publiques de développement. Autrement dit, les praticiens de l’aménagement ne disposent pas de données permettant de prendre en compte de façon systématique l’empreinte spatiale et les conséquences environnementales induites, d’un côté, par l’action (souvent publique) d’aménagement d’espaces à vocation économique, de l’autre, par le fonctionnement des entreprises, générateur d’externalités environnementales négatives.
29Ceci implique que, dans les exercices de planification stratégique spatialisée que nous avons examinés, les indicateurs économiques et les indicateurs environnementaux (qui existent notamment à travers l’état initial de l’environnement) ne sont pas croisés. Les acteurs reconnaissent que l’approche des indicateurs reste encore trop sectorielle, sans partage d’informations géo-localisées entre les chargés de développement économique et les chargés de la planification spatiale. Ils avouent que l’exercice de planification a vocation à fixer les grands principes d’organisation spatiale des activités humaines et non à traiter leur impact environnemental. Pour les praticiens de l’aménagement, celui-ci est abordé dans les plans locaux d’urbanisme, documents d’échelon inférieur.
30La réduction de la consommation de foncier, notamment pour favoriser la préservation des espaces naturels et agricoles apparaît comme un objectif au cœur des priorités des SCoT étudiés. Cependant, le doute subsiste quant à la volonté et aux actions réelles de limitation de l’étalement économique proprement dit. Les SCoT de Nantes-Saint-Nazaire, Marseille et Tours contiennent tous une démarche de réduction de l’étalement économique qui n’est pas véritablement finalisée. En tous les cas, celle-ci ne trouve pas de traduction explicite (dans des objectifs chiffrés) dans les orientations annoncées. Rennes se démarque des trois autres cas étudiés.
- 8 Les études de l’Insee (Pays de la Loire, juillet 2012, n° 106) prévoient une croissance démographiq (...)
31À Nantes, qui connaît de fortes pressions démographiques depuis une vingtaine d’années8 et un étalement urbain significatif du fait de la localisation résidentielle vers les zones « rurbaines », le SCoT affiche sur le papier une volonté des décideurs d’assoir une meilleure organisation et répartition spatiale des activités et des pôles résidentiels. La méthode préconisée consiste notamment en une hiérarchisation des pôles urbains et en une répartition plus équilibrée des activités. Cependant, concernant cette répartition spatiale, la contrainte ou le caractère prescriptif sont peu présents. Le SCoT renvoie la politique de développement économique aux EPCI (conformément à leurs compétences).
32Le SCoT de l’agglomération de Tours se situe sensiblement dans la même approche, bien qu’il soit réalisé plus récemment et qu’il soit soumis aux obligations découlant du Grenelle de l’environnement. Les prescriptions n’existent pas ou très peu, et l’énoncé pose clairement le recours au libre exercice de la compétence développement économique des EPCI : « En termes de développement économique, chacun des territoires a des besoins qui lui sont propres. En ce sens, le projet reconnaît le rôle des EPCI dans l’aménagement, l’extension mesurée ou la reconversion de sites ou zones d’activités reconnues d’intérêt communal ou communautaire. Le déploiement des activités économiques de proximité que ce soit dans les centralités existantes ou dans les sites dédiés est ainsi organisé à leur échelle » (cahier du SCoT, n° 4, p. 20).
Tableau 5. Synthèse des orientations des SCoT et degré d’articulation économie/environnement
Source : auteurs
33À Tours et Nantes, le SCoT est un lieu de mise en commun d’actions développées à l’échelle des EPCI. Il s’agit, pour concilier les intérêts de chacun, d’additionner les stratégies de développement économique et, en particulier, les enveloppes foncières qui y sont attachées. Selon ces logiques, les EPCI continueront à mener leurs actions de développement économique, de la même façon avant et après le SCoT. On constate un morcellement à l’échelle du grand territoire dans la prise en compte des enjeux de développement économique et leur mise en rapport avec l’environnement.
34À Marseille (Communauté urbaine Marseille Provence Métropole), la topographie du territoire et la forte concentration, dans la zone centrale de la ville de Marseille, des habitants et des activités qui en découlent, mais aussi la croissance démographique, entraînent une pénurie de foncier qui pousse à une régulation et à une action publique. Les solutions s’orientent davantage vers les zones périphériques car le cœur de ville a été reconquis par le projet Euroméditerranée pour des activités essentiellement tertiaires. Le passage entre le SCoT et l’action publique locale devrait être d’autant plus aisé que le SCoT est réalisé à l’échelle de l’EPCI. L’élaboration du SCoT de la Communauté Urbaine a été l’occasion d’une prise de conscience des acteurs locaux de la rareté du foncier et d’une nécessité d’agir pour une plus grande préservation de l’espace. Cette régulation ne peut s’exprimer cependant que dans les limites intercommunales ; elle ne fait pas sens à l’échelle de la région urbaine. La stratégie de développement économique de Marseille-Provence-Métropole tente de rationaliser un foncier qui est rare, mais les effets de l’utilisation de ce dernier restent à interroger. La zone d’aménagement concertée des Florides, fondée sur une démarche d’attraction des entreprises, a été l’occasion pour la Communauté Urbaine de travailler sur ces questions de consommation d’espace. Le projet se situant dans une zone à fort enjeu environnemental (inondation, périmètre Natura 2000 et Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type II), des mesures ont été engagées, comme la réalisation de 30 % d’espaces verts de la surface totale, ainsi que l’acquisition pour le compte du Conservatoire du littoral de vingt hectares. Ces actions correspondent aux mesures compensatoires imposées par la loi et ont été une condition à la levée du veto de la préfecture.
Carte 1. Implantation des nouvelles zones d’activités et trame verte et bleue sur le Pays de Rennes (les chiffres en violet indiquent les surfaces des futures zones d’activités)
Source : Pays de Rennes, 2007
35À Rennes, une cartographie et des chiffres précisent les réserves foncières qui seront allouées pour les activités économiques dans les dix prochaines années sur le territoire du SCoT (carte 1). Le caractère prescriptif y est davantage montré. Surtout, la réflexion du SCoT a conduit les décideurs à rechercher une spatialisation plus systématique, par l’identification de sites de développement stratégiques qui sont nommés et quantifiés, et qui figurent dans le document. Des zones sont réservées pour le développement économique, mais elles sont hiérarchisées en fonction des activités, de même que le nombre d’hectares maximum autorisés à l’urbanisation est spécifié sur des vignettes (en violet, cf. carte 1). Les nouvelles zones d’activité économique doivent également répondre à des exigences en matière d’intégration paysagère et doivent s’insérer dans des logiques économiques et d’accessibilité d’ensemble. Ces lieux réservés et apposés par le SCoT délivrent un cadre plus précis afin de limiter l’étalement économique, d’autant plus que ces réserves foncières ont été déterminées et situées en fonction des corridors écologiques, en particulier en confrontation avec la trame verte et bleue.
36L’élaboration des SCoT s’étire sur plusieurs années et s’inscrit pour les quatre cas étudiés dans un paysage intercommunal différent. Il ressort que c’est davantage la qualité des coopérations intercommunales et donc la gouvernance qui a un effet sur le contenu que les évolutions règlementaires.
Tableau 6. Processus d’élaboration des SCoT « centraux » à Marseille, Nantes, Rennes et Tours
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Année de création de la communauté urbaine ou d’agglomération et structure intercommunale prééexistante
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Nombre d’EPCI participant au SCoT
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Année de lancement du processus d’élaboration
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Année d’adoption du SCOT
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Marseille
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2000 (Communauté de communes créée en 1993)
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1 : Communauté urbaine Marseille Provence Métropole
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2005
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2012
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Nantes
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2001 (District créé en 1992)
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6 : Communauté urbaine Nantes Métropole, Communauté d’agglomération de Saint-Nazaire, 4 communautés de communes
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2004
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2007
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Rennes
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2000
(District créé en 1970)
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5 : Communauté agglomération Rennes Métropole, 4 communautés de communes
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2004
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2007
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Tours
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1999
(SIVOM à la carte créé en 1995)
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4 : Communauté agglomération Tour(s) plus, 3 communautés de communes
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2005
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2013
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Source : auteurs
37L’élaboration des SCoT a débuté sensiblement à la même date pour les quatre aires étudiées. Néanmoins, la durée du processus n’est pas la même. La réalisation a été rapide pour Nantes et Rennes et relativement longue pour Marseille et Tours (cf. tableau 6). L’allongement du processus pour Marseille est dû aux élections municipales de 2008 qui ont conduit à un changement de majorité à la communauté urbaine. Pour Tours, le processus s’est éternisé et c’est l’approche des élections municipales de 2014 qui a poussé à son achèvement ; le contexte règlementaire a connu un changement modifiant le contenu du SCoT. Dans les autres cas, les SCoT ont été approuvés avant le 1er juillet 2012, date d’entrée en vigueur des décrets d’application des SCoT dits « Grenelle ». Marseille Provence Métropole s’est même hâtée de reprendre le processus interrompu par le changement de majorité communautaire pour faire approuver son SCoT le 29 juin 2012. L’agglomération de Tours ayant fait approuver son SCoT en 2013 a été obligée de prendre en compte les nouveaux objectifs de réduction de l’étalement urbain. Néanmoins, c’est le SCoT du pays de Rennes qui est le plus vertueux et celui de Tours est le moins contraignant. Le renforcement de la réglementation aurait logiquement pu conduire à une situation inverse. Nous pensons que la qualité de la coopération intercommunale et intercommunautaire – forte à Rennes, faible à Tours – explique les orientations inscrites dans les SCoT (cf. tableau 5).
38Par ailleurs, les périmètres institutionnels varient (cf. tableau 6). Cette situation entraîne des modes de coordination et de gouvernance variés entre acteurs institutionnels publics. Le SCoT de Marseille-Provence-Métropole est à l’échelle de l’EPCI, qui est la Communauté urbaine. Le SCoT de l’agglomération tourangelle est à une échelle élargie. Il dépasse la Communauté d’Agglomération, puisque trois Communautés de communes viennent s’ajouter à son périmètre (ce qui représente environ 75 % de la population et des emplois de l’aire urbaine). Rennes et Nantes constituent deux autres cas. Le SCoT du Pays de Rennes est, comme son nom le laisse entrevoir, calqué sur le périmètre du syndicat mixte du Pays de Rennes ; alors que le SCoT Nantes-Saint-Nazaire s’attache à relier les deux agglomérations motrices de la Loire-Atlantique par la rive Nord de l’estuaire de la Loire, s’inspirant ici de l’exemple de la Directive Territoriale d’Aménagement, mais sur un périmètre plus restreint.
39Le périmètre du SCoT Marseille-Provence-Métropole montre les difficultés d’un dialogue élargi entre élus, à l’échelle de la région urbaine, qui se restreint donc à l’EPCI (Douay, 2007). À Tours, et peut-être bien plus à Nantes, on constate l’influence forte des affinités politiques où les communautés de communes (ou d’agglomération) sont dirigées largement par des élus affiliés aux mêmes partis politiques. Les SCoT reconnaissent la primauté des EPCI en s’attachant à enregistrer les projets de chaque EPCI. Celui de Rennes, basé sur le périmètre du Pays de Rennes apparaît comme l’expression d’une volonté de rapprochement entre les territoires de projets préexistants au SCoT, capitalisant sur des formes de coopération déjà ancrées.
40La démarche de planification spatiale stratégique à l’échelle d’un grand territoire, sur le temps long, est censée fournir aux acteurs locaux un point de référence pour les politiques à mener dans leurs périmètres et compétences respectifs. Par l’agrégation d’acteurs qu’il provoque et par son aspect multithématique, le SCoT est, en théorie, facilitateur de la prise en compte intégrée des enjeux économiques et environnementaux à une échelle élargie. Néanmoins, nos études de cas montrent que la réflexion de la planification à l’échelle de la région urbaine est plus engagée lorsque se développent, dans la durée, et au préalable, des constructions intercommunales et des relations intercommunautaires. Les acteurs publics locaux ont du mal à se défaire des stratégies de développement pensées à l’échelle intercommunale (en lien avec les intérêts communaux). À l’intérieur des périmètres de planification stratégique, les EPCI sont en concurrence pour attirer des activités économiques et soutenir leur développement. Dans ce cadre, la limitation des consommations foncières n’est pas une priorité.
- 9 À Rennes, par l’intermédiaire d’un questionnaire. Les chambres consulaires participent à la démarch (...)
41Pour énoncer l’objectif d’une économie prenant effectivement en compte la contrainte de limitation des consommations foncières, ne faudrait-il pas que la planification puisse mobiliser les acteurs économiques et débouche sur des mesures qui les concernent ? Les entreprises ne sont que marginalement associées à l’élaboration de la planification stratégique9. Comment dès lors engager avec elles (et avec d’autres acteurs : profession agricole, écologues, associations de consommateurs…) un dialogue sur les superficies et locaux nécessaires, les déplacements des salariés, les nuisances ? Ce déficit en amont ne conduira-t-il pas les collectivités à gérer en aval les conséquences de projets de territoires qui marquent plus une volonté de croissance que de développement territorial durable ?
- 10 Art. L. 122-1-5 du Code de l’urbanisme.
- 11 Selon le Code de l’urbanisme (Art. L. 122-1-3 et L. 122-1-5 (II)), le PADD doit fixer les objectifs (...)
42Les lois Grenelle annoncent-elle une homogénéisation des pratiques locales de planification ? On peut en douter. En effet, si parmi les documents qui composent un SCoT, le document d’orientations et d’objectifs « arrête des objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain, qui peuvent être ventilés par secteur géographique »10, aucun élément chiffré n’est posé par l’État. Le grand nombre d’acteurs légitimes pour intervenir en matière économique (15 à 20 EPCI dans les régions urbaines que nous avons étudiées) conduira à ce qu’un SCoT affiche des offres foncières, peut-être revues à la baisse, mais excédant la demande des entreprises, et parfois des projets mal localisés (car mal desservis). De plus, si les SCoT doivent désormais déterminer les conditions qui permettent d’assurer la protection de la biodiversité, aucune norme n’est fixée11. En revanche, la loi oblige désormais les maîtres d’ouvrage des SCoT à procéder à une analyse des résultats de l’application du SCoT, dans les domaines de l’environnement, transports et déplacements, maîtrise de la consommation d’espace et implantation commerciale. Ce bilan doit être fait au plus tard à l’expiration d’un délai de six ans à compter de la délibération approuvant le schéma, et suivi d’une délibération sur son maintien en vigueur ou sur sa révision partielle ou complète.
43Cette obligation est porteuse d’une responsabilisation des collectivités, mais la décision leur revient toujours. Du reste, une étude consacrée à la phase de suivi d’un panel de douze SCoT approuvés depuis au moins deux ans, révèle la grande diversité des situations (Certu et al., 2012). L’étude porte notamment sur la définition d’indicateurs de suivi, dans l’objectif de mesurer les impacts des orientations générales et des prescriptions du document d’orientations générales. Les auteurs constatent que « tous les établissements porteurs de SCoT ne mettent pas en place un suivi de l’application de leur document (d’année en année) en vue de procéder à d’éventuelles actions correctrices "dès que possible" (…). Ils attendent, pour s’y intéresser, la phase de bilan obligatoire » (Certu et al., 2012 : 2). Les auteurs l’expliquent par le fait que ces actions correctrices peuvent induire une modification voire une révision du SCoT et donc engendrer un coût financier qui peut apparaître élevé. Mais, dans le même temps, d’autres territoires dépassent le suivi-évaluation de l’efficacité du SCoT, obligatoire à l’horizon de six ans, et s’attachent à définir des indicateurs rattachés à l’évaluation environnementale du SCoT. Ces indicateurs ont pour objectif de surveiller les pressions induites par les orientations du SCoT sur les données environnementales. Enfin, face à une démarche de définition et de suivi d’indicateurs qui est complexe, se pose la question de son appropriation par les élus, puisque c’est sur la base des résultats donnés par les indicateurs que seront prises des décisions importantes. Là aussi la variété est la règle. L’étude met en exergue le SCoT du Pays de Rennes, qui présente le tableau de bord de suivi du SCoT et ses résultats dans les commissions thématiques du Pays de Rennes, associant les personnes publiques associées. Selon cette étude, la chef de projet du SCoT Pays de Rennes affirme que « le processus d’appropriation par les techniciens et les élus des enseignements (et des limites) des indicateurs de suivi compte autant (sinon plus) que les résultats » (Certu et al., 2012 : 6).
44Ce propos confirme les résultats de nos études de cas, à savoir que la planification rennaise est en phase avec les lois, voire devance leurs prescriptions. Mais il montre aussi, en creux, que les territoires français affrontent très diversement les enjeux et démarches issus des lois Grenelle. À notre sens, la maturité de la coopération intercommunale va continuer à peser dans le traitement de l’économie par la planification spatiale.