31.8.2017 |
FR |
Journal officiel de l'Union européenne |
C 288/52 |
Avis du Comité économique et social européen sur la «Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne l’application temporaire d’un mécanisme d’autoliquidation généralisé pour les livraisons de biens et prestations de services dépassant un certain seuil»
[COM(2016) 811 final — 2016/0406 (CNS)]
(2017/C 288/06)
Rapporteur: |
Giuseppe GUERINI |
Consultation |
Conseil européen, 25 janvier 2017 |
Base juridique |
Article 113 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne |
Décision de l’assemblée plénière |
13 décembre 2016 |
Compétence |
Section spécialisée «Union économique et monétaire et cohésion économique et sociale» |
Adoption en section spécialisée |
6 avril 2017 |
Adoption en session plénière |
31 mai 2017 |
Session plénière no |
526 |
Résultat du vote (pour/contre/abstentions) |
142/1/1 |
1. Conclusions et recommandations
1.1. |
Le Comité économique et social européen (CESE) accueille favorablement les actions que l’Union européenne déploie pour lutter contre toutes les formes de fraude fiscale et estime que le mécanisme d’autoliquidation, en ce qui concerne la perception de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), peut s’avérer un instrument utile de lutte contre la fraude «carrousel» et la fraude à la TVA. |
1.2. |
L’on ne saurait toutefois permettre que le recours à un mécanisme d’autoliquidation, ayant un caractère dérogatoire par rapport à des principes bien établis en matière de TVA, porte préjudice au marché intérieur; aussi, ce recours doit être temporaire et faire l’objet d’une évaluation de la Commission quant aux éventuelles incidences négatives sur le marché intérieur. Le CESE s’inquiète du risque d’une possible fragmentation du système de TVA que pourraient entraîner les mesures proposés, au regard notamment des initiatives envisagées au cours de la première étape du plan d’action de la Commission sur la TVA, qui est actuellement censée ne s’appliquer qu’à certaines livraisons de biens et non aux services (1). |
1.3. |
Il conviendra notamment d’évaluer si les avantages apportés à la lutte contre les fraudes ne sont pas réduits à néant par les éventuels effets néfastes sur l’homogénéité du marché unique. C’est pourquoi il est nécessaire que la Commission surveille en permanence le fonctionnement du mécanisme d’autoliquidation généralisé (MALG) et conserve le pouvoir d’intervenir en cas d’évolution défavorable. |
1.4. |
Le CESE préconise d’accorder une attention soutenue au principe de proportionnalité, étant donné que le coût de mise en conformité pour la mise en œuvre d’un mécanisme d’autoliquidation qui serait à la charge des petites et moyennes entreprises pourrait être important, qu’il s’agisse des coûts de mise en conformité proprement dit ou des flux de trésorerie, avec le risque de problèmes de liquidités dus au MALG, qui pèseraient en particulier sur les petites et moyennes entreprises (PME). |
1.5. |
Le CESE attire l’attention sur des études (2) qui ont montré que les mécanismes d’autoliquidation et de paiement scindé mis en œuvre jusqu’à présent ont souvent occasionné des problèmes de trésorerie aux entreprises qui respectent leurs obligations fiscales. En d’autres termes, la lutte contre les fraudes fiscales commises par une petite minorité d’entreprises malhonnêtes a causé d’importants problèmes opérationnels à des opérateurs économiques respectueux de la réglementation fiscale, créateurs d’emplois et de valeur sur le marché intérieur. |
1.6. |
Le CESE fait valoir que les solutions retenues pour lutter contre la fraude à la TVA ne sauraient imposer de sacrifices excessifs et disproportionnés aux entreprises qui respectent leurs obligations fiscales, et en particulier aux PME. En effet, comme le CESE l’a précédemment relevé en ce qui concerne le plan d’action de la Commission sur la TVA, les entreprises «de bonne foi» doivent être ménagées et ne pas se voir imposer de nouvelles mesures disproportionnées (3). |
1.7. |
Le CESE observe que la dimension nationale de la lutte contre la fraude fiscale nécessite également que chaque État membre assume la pleine responsabilité du fonctionnement de son système fiscal et qu’il élabore des instruments de lutte contre la fraude à la TVA qui ne portent pas préjudice au fonctionnement des systèmes fiscaux d’autres États membres, ni ne les influencent. |
1.8. |
De manière générale, de l’avis du CESE, les mesures proposées ne devraient pas avoir d’effets négatifs sur les objectifs posés par le plan d’action sur la TVA, ni en entraver ou en retarder la réalisation complète et en temps voulu. Le Comité estime qu’il est maintenant temps de réaliser un progrès qualitatif en la matière afin de soutenir le marché unique et de contribuer à stimuler l’emploi, la croissance, les investissements et la compétitivité. En outre, pour le Comité, il importe de réaliser tous les volets du plan d’action comme un tout indissociable (4). |
1.9. |
Il serait utile, pour le bon fonctionnement de la proposition de la Commission et pour réduire la nécessité de recourir à l’avenir à des dérogations supplémentaires aux principes et aux règles relatifs au fonctionnement du système de la TVA dans l’Union, que les États membres demandeurs de l’application du mécanisme d’autoliquidation généralisé imposent des obligations concrètes et spécifiques de facturation électronique afin de garantir la pleine traçabilité des paiements. |
2. Proposition de la Commission
2.1. |
Par lettre du 7 avril 2016, la Commission européenne a présenté son plan d’action en matière de taxe sur la valeur ajoutée («TVA»). Cette communication sera suivie, dans le courant de l’année 2017, d’une proposition législative visant à réformer et à moderniser l’actuel cadre des règles européennes sur la TVA. |
2.2. |
Le plan d’action de la Commission et la future proposition législative attendue pour 2017 se proposent entre autres de réduire l’écart de TVA — c’est-à-dire la différence entre les sommes qui devraient être perçues au titre des recettes de TVA et celles qui sont effectivement payées — en limitant les fraudes commises dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée. |
2.3. |
En attendant que la réforme du système européen de TVA soit finalisée, et à la demande de certains États membres, la Commission a reconnu l’urgence de permettre temporairement à certains États membres de généraliser la mise en œuvre de mécanismes d’autoliquidation généralisés (MALG). |
2.4. |
La mise en place d’un MALG est prévue par la Commission européenne dans la proposition de directive à l’examen [2016/0406 (CNS)], qui se propose de modifier la directive 2006/112/CE actuellement en vigueur. |
2.5. |
Considérant que le MALG déroge à l’un des piliers de la réglementation européenne en matière de TVA — les paiements fractionnés — la Commission a décidé de permettre la mise en œuvre de ce mécanisme par les États membres à certaines conditions. |
2.6. |
En particulier: a) l’État présente un niveau d’écart de TVA supérieur à la médiane européenne de 5 points de pourcentage; b) l’écart de TVA est dû, à plus de 25 %, à des fraudes de type «carrousel»; c) il doit être établi que d’autres mesures de contrôle ne suffisent pas pour lutter contre la fraude sur son territoire. |
2.7. |
Pour éviter que l’application générale du mécanisme d’autoliquidation ne pose des problèmes en termes de fractionnement du marché intérieur, comme l’ont déjà souligné certains États membres, la Commission a prévu la possibilité de reconsidérer l’application des mécanismes s’il est prouvé que ces derniers ont un impact négatif sur le marché intérieur et sont en contradiction avec les objectifs généraux de l’Union européenne. |
3. Observations générales
3.1. |
La fraude à la TVA est une épidémie européenne qu’il est opportun et utile de combattre. La forme de fraude à la TVA la plus insidieuse est la fraude de type «carrousel», auquel le mécanisme d’autoliquidation dans la gestion de la TVA se propose de faire obstacle. |
3.2. |
Par conséquent, le CESE est favorable à la mise en place de mécanismes adéquats de lutte contre la fraude fiscale, tout en soulignant que toute dérogation par rapport à l’unicité du système européen de TVA doit être temporaire et proportionnée et qu’il y a lieu d’en évaluer soigneusement les éventuelles incidences négatives sur le marché intérieur. Cela surtout compte tenu du fait que l’article 113 du traité, base juridique de la proposition législative de la Commission, prévoit la possibilité d’intervenir en matière fiscale en arrêtant des dispositions touchant à l’«harmonisation» visant à assurer le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence. |
3.3. |
De manière générale, les mesures proposées ne devraient pas avoir d’effets négatifs sur les objectifs posés par le plan d’action sur la TVA, ni en entraver ou en retarder la réalisation complète et en temps voulu. Il est maintenant temps de réaliser un progrès qualitatif afin de soutenir le marché unique et de contribuer à stimuler l’emploi, la croissance, les investissements et la compétitivité. |
3.4. |
En outre, il importe de viser à réaliser tous les volets du plan du plan d’action comme un tout indissociable, car cela permettrait aussi de traiter de manière exhaustive la majeure partie des fraudes à la TVA. |
3.5. |
Le principe de proportionnalité mentionné dans la proposition de la Commission doit donc être respecté en tenant dûment compte, parmi les différents intérêts publics devant être mis en balance, de l’intérêt général consistant à ne pas mettre en péril l’harmonisation des régimes nationaux de TVA dans une perspective de consolidation intégrale du marché intérieur. |
3.6. |
Cela étant, il convient de reconnaître que la politique de lutte contre l’évasion, y compris s’agissant des taxes harmonisées, demeure principalement du ressort des États membres et que les administrations fiscales ont un caractère propre marqué. De même, les connaissances statistiques sur le phénomène de la fraude, tout comme les habitudes et les formes d’évasion et de maintien de l’ordre, sont également ancrées dans des logiques nationales. |
3.7. |
De ce point de vue, un instrument dérogatoire aux règles de l’Union qui est adopté à des fins de lutte contre l’évasion fiscale ou qui est activé par un État membre est conforme au rôle et à la responsabilité des gouvernements nationaux en matière de lutte contre la fraude. À cet égard, la proposition de la Commission est conforme au principe de subsidiarité et permet aux États membres d’intervenir au niveau national pour enrayer les activités illicites dans le domaine fiscal. |
3.8. |
Le CESE observe toutefois que la dimension nationale de la lutte contre la fraude fiscale nécessite également que chaque État membre assume la pleine responsabilité du fonctionnement de son système fiscal et qu’il élabore des instruments de lutte contre la fraude à la TVA qui ne portent pas préjudice au fonctionnement des systèmes fiscaux d’autres États membres, et qui ne les influencent pas non plus. |
3.9. |
La dérogation prévue par la proposition de la Commission dans le cadre du mécanisme d’autoliquidation n’est pas généralisée, mais elle est soumise à des conditions précises et demeure en tout état de cause facultative pour les États membres, lesquels peuvent demander à bénéficier de l’application de la dérogation sous certaines conditions. |
3.10. |
Les États membres qui sollicitent la dérogation au moyen du mécanisme d’autoliquidation doit en effet présenter un niveau d’écart de TVA supérieur de 5 points de pourcentage à la médiane européenne. Si l’on considère que la médiane européenne en matière d’écart de TVA est de 14 %, un dépassement de 5 points de pourcentage semble suffisant pour motiver l’adoption de mesures extraordinaires visant à réduire l’écart de TVA (5). |
3.11. |
De même, la disposition proposée par la Commission, exigeant que les fraudes de type «carrousel» soient à l’origine de plus de 25 % des écarts de TVA semble étayée par des éléments de preuves préliminaires si on les rapporte à la moyenne européenne (24 %) résultant de ce type d’infraction (6). |
3.12. |
Le Comité souscrit à la disposition générale qui prévoit que l’État membre doit rencontrer des difficultés administratives dans la lutte contre les fraudes à la TVA, dans la mesure où cette condition atteste que la mise en œuvre d’un mécanisme généralisé d’autoliquidation constitue la mesure la plus efficace et la mieux proportionnée pour atteindre l’objectif de réduction de l’écart de TVA, conformément à l’intérêt général tant de l’Union que des États membres. |
3.13. |
La proposition de la Commission prévoit que le mécanisme d’autoliquidation est applicable à toute transaction d’une valeur supérieure à 10 000 EUR. Nous estimons que cette règle de minimis est acceptable, au vu des intérêts hétérogènes et difficilement conciliables dont il convient de tenir compte simultanément lorsqu’il s’agit de lutter contre l’évasion fiscale, d’harmoniser les systèmes fiscaux et de simplifier les obligations fiscales pour les entreprises. |
4. Observations particulières
4.1. |
L’analyse d’impact réglementaire effectuée par la Commission montre que l’adoption d’un MALG n’est pas nécessairement la solution magique pour résoudre tous les cas de fraude, et qu’elle pourrait même, au contraire, donner lieu à de nouvelles formes de fraudes ou à des fraudes dans des États membres autres que ceux les plus touchés à l’heure actuelle. Il est dès lors nécessaire que la Commission suive de près le fonctionnement du MALG et conserve le pouvoir d’intervenir en cas d’évolution dommageable au bon fonctionnement du marché unique européen. |
4.2. |
Pour un bon fonctionnement de la proposition législative à l’examen, et pour réduire à l’avenir la nécessité de recourir à des dérogations supplémentaires aux principes et aux règles relatives au fonctionnement du système de TVA dans l’Union européenne, les États membres demandeurs de l’application du mécanisme d’autoliquidation généralisé devraient imposer aux personnes redevables de la TVA des obligations spécifiques de facturation électronique afin de garantir la pleine traçabilité des paiements. |
4.3. |
À cet égard, il y a lieu d’attirer en particulier l’attention sur la possibilité de réduire ou de supprimer les mécanismes d’autoliquidation et de paiement scindé en cas d’utilisation régulière et généralisée de la facturation électronique pour la certification des opérations de vente. Recourir de manière appropriée à ce type de facturation permettrait en effet de vérifier en temps réel le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée et d’éviter des répercussions financières négatives sur de nombreuses entreprises qui respectent leurs obligations fiscales. |
4.4. |
La lutte contre la fraude à la TVA est, sans aucun doute, un objectif qui doit être poursuivi avec force, grâce notamment à l’élaboration de mesures législatives appropriées par les États membres. Il est toutefois nécessaire de noter que la mise en place de mécanismes d’autoliquidation dans les relations entre particuliers et de mécanismes de paiement scindé dans les relations entre entreprises et administrations publiques peut pénaliser lourdement des entreprises qui respectent leurs obligations fiscales. |
4.5. |
En premier lieu, ainsi qu’il ressort de l’analyse d’impact réglementaire proposée par la Commission, le coût de mise en conformité lié à la mise en œuvre d’un mécanisme d’autoliquidation pour les petites et moyennes entreprises sera très important en ce qui concerne les transactions domestiques et encore plus onéreux pour les transactions transfrontières. Selon l’analyse d’impact de la Commission, le mécanisme d’autoliquidation entraîne une augmentation de 43 % des coûts de conformité supportés par les entreprises (7). Bien que l’on escompte qu’une autoliquidation généralisée engendre moins de coûts de conformité qu’une autoliquidation limitée à un secteur donné, il n’en demeure pas moins que lesdits coûts augmenteront considérablement. |
4.6. |
En second lieu; des études (8) ont montré que les mécanismes d’autoliquidation et de paiement scindé mis en œuvre jusqu’à présent ont souvent occasionné des problèmes de trésorerie à nombre d’entreprises qui respectent leurs obligations fiscales. |
4.7. |
En d’autres termes, la lutte contre les fraudes fiscales commises par une petite minorité d’entreprises malhonnêtes a causé d’importants problèmes opérationnels à des opérateurs économiques respectueux de la réglementation fiscale, créateurs d’emplois et de valeur sur le marché intérieur. |
4.8. |
Pour cette raison, le Comité rappelle à la Commission et aux États membres la nécessité de maintenir le principe de proportionnalité dans la proposition de la Commission et dans les différents systèmes juridiques nationaux, afin que la mesure adoptée soit proportionnée à la nécessité de lutter contre la fraude à la TVA sans porter atteinte au marché intérieur. Dans le même temps, en vertu du même principe, les solutions retenues devraient s’attaquer aux activités illicites sans imposer de sacrifices excessifs et disproportionnés aux entreprises honnêtes, et en particulier aux PME. |
4.9. |
Ces considérations sont autant de raisons supplémentaires en faveur du caractère transitoire du mécanisme d’autoliquidation généralisé. Dans le cas contraire, nous assisterions à une aggravation insupportable de la charge bureaucratique, notamment pour les PME, et dans le même temps, à une distorsion des dynamiques du marché unique européen, étant donné le risque grave de voir se différencier les opérations de trésorerie d’entreprises situées dans différents États membres. |
Bruxelles, le 31 mai 2017.
Le président du Comité économique et social européen
Georges DASSIS
(1) JO C 389 du 21.10.2016, p. 43, paragraphe 1.3.
(2) Voir l’étude de la Confédération italienne de l’artisanat (CNA), «Reverse Charge e Split Payment: in Fumo la Liquidità delle Imprese» (Autoliquidation et paiement scindé, ou comment dissiper la trésorerie des entreprises), 2015.
(3) JO C 389 du 21.10.2016, p. 43, paragraphe 1.9.
(4) JO C 389 du 21.10.2016, p. 43, paragraphes 1.1 et 1.2.
(5) SWD(2016) 457 final, p. 18 (disponible en anglais uniquement).
(6) SWD(2016) 457 final, p. 15 (disponible en anglais uniquement).
(7) COM(2016) 811 final, p. 43.
(8) JO C 389 du 21.10.2016, p. 43, paragraphe 1.9.