ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 septembre 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 5, point 1 — Compétence en matière contractuelle — Article 5, point 3 — Compétence en matière délictuelle — Articles 18 à 21 — Contrat individuel de travail — Contrat de directeur de société — Cessation du contrat — Motifs — Mauvaise exécution du mandat et comportement illicite — Action en constatation et en indemnisation — Notion de ‘contrat individuel de travail’»

Dans l’affaire C‑47/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays‑Bas), par décision du 24 janvier 2014, parvenue à la Cour le 30 janvier 2014, dans la procédure

Holterman Ferho Exploitatie BV,

Ferho Bewehrungsstahl GmbH,

Ferho Vechta GmbH,

Ferho Frankfurt GmbH

contre

Friedrich Leopold Freiherr Spies von Büllesheim,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur), MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 janvier 2015,

considérant les observations présentées:

pour Holterman Ferho Exploitatie BV, Ferho Bewehrungsstahl GmbH, Ferho Vechta GmbH et Ferho Frankfurt GmbH, par Me P. A. Fruytier, advocaat,

pour M. Spies von Büllesheim, par Mes E. Jacobson et B. Verkerk, advocaten,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme A.‑M. Rouchaud‑Joët, M. M. Wilderspin et M. G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mai 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, points 1 et 3, ainsi que du chapitre II, section 5 (articles 18 à 21) et de l’article 60, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant, d’une part, Holterman Ferho Exploitatie BV (ci‑après «Holterman Ferho Exploitatie»), Ferho Bewehrungsstahl GmbH (ci‑après «Ferho Bewehrungsstahl»), Ferho Vechta GmbH (ci‑après «Ferho Vechta») ainsi que Ferho Frankfurt GmbH (ci‑après «Ferho Frankfurt») (ci‑après ensemble les «quatre sociétés») et, d’autre part, M. Spies von Büllesheim au sujet de la responsabilité de ce dernier en tant que gérant desdites sociétés et d’une demande visant à le condamner au paiement de dommages et intérêts.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La convention de Bruxelles

3

L’article 5 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence juridictionnelle et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972 L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci‑après la «convention de Bruxelles»), est libellé comme suit:

«Le défendeur domicilié sur le territoire d’un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1)

en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée; en matière de contrat individuel de travail, ce lieu est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail; lorsque le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, l’employeur peut être également attrait devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur;

[...]»

Le règlement no 44/2001

4

Le considérant 13 du règlement no 44/2001 énonce:

«S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.»

5

L’article 5 du règlement no 44/2001est libellé comme suit:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

1)

a)

en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

b)

aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis,

c)

le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;

2)

[...]

3)

en matière délictuelle ou quasi‑délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

[...]»

6

L’article 18, qui fait partie de la section 5, intitulée «Compétence en matière de contrats individuels de travail», du chapitre II du règlement no 44/2001 prévoit, à son paragraphe 1:

«En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 4 et de l’article 5, point 5.»

7

L’article 20, paragraphe 1, du même règlement dispose:

«L’action de l’employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile.»

8

L’article 60, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 énonce:

«Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé:

a)

leur siège statutaire;

b)

leur administration centrale, ou

c)

leur principal établissement.»

Le droit néerlandais

9

Le code civil (Burgerlijk Wetboek, ci‑après le «BW»), contient un livre 2, intitulé «Personnes morales», qui prévoit, à son article 2:9:

«1.   Tout dirigeant est tenu, à l’égard de la personne morale, d’accomplir correctement sa mission. Relèvent de cette mission toutes les tâches de gestion qui n’ont pas été assignées à un ou plusieurs autres dirigeants par ou en vertu de la loi ou des statuts.

2.   Tout dirigeant est responsable de la marche générale des affaires. Il est responsable pour le tout à raison d’une mauvaise gestion, à moins que, compte tenu notamment des fonctions assignées à autrui, aucun reproche sérieux ne puisse être formulé à son encontre et qu’il n’ait pas fait preuve de négligence dans l’adoption des mesures destinées à prévenir les conséquences de la mauvaise gestion.»

10

Le livre 6 du BW, consacré au «[r]égime général du droit des obligations», contient un titre 3, intitulé «Délit et quasi‑délit», qui prévoit, à son article 6:162:

«1.   Celui qui commet envers autrui un acte illicite pouvant lui être imputé est tenu de réparer le dommage subi par ce dernier.

2.   Sont réputés illicites, sauf fait justificatif, l’atteinte à un droit ainsi que l’acte ou l’omission contraire à une obligation légale ou à une règle non écrite qui énonce ce qui est admis dans la vie en société.

3.   Un acte illicite peut être imputé à son auteur s’il peut être attribué à sa faute ou à une circonstance de laquelle il doit répondre en vertu de la loi ou des conceptions retenues par la société.»

11

Dans le livre 7 du BW, intitulé «Contrats spéciaux», le titre 10, relatif au «[c]ontrat de travail», dispose, à son article 7:661:

«1.   Le travailleur qui, lors de l’exécution de son contrat, cause un dommage à l’employeur ou à un tiers que l’employeur est tenu d’indemniser de ce dommage n’est pas responsable à cet égard vis‑à‑vis de l’employeur à moins que le dommage ne résulte de son dol ou d’une imprudence délibérée. Compte tenu notamment de la nature du contrat, une conclusion différente de celle retenue à la phrase précédente peut être tirée des circonstances de l’espèce.

2.   Une dérogation au paragraphe 1 et à l’article 170, paragraphe 3, du livre 6 au détriment du travailleur n’est possible qu’en vertu d’une convention écrite et pour autant que le travailleur soit assuré à cet égard.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

Il ressort de la demande de décision préjudicielle que Holterman Ferho Exploitatie est une société holding établie aux Pays‑Bas. Elle détient trois filiales de droit allemand, à savoir Ferho Bewehrungsstahl, Ferho Vechta et Ferho Frankfurt, toutes établies en Allemagne.

13

Par décision du 25 avril 2001, l’assemblée des associés de Holterman Ferho Exploitatie a nommé M. Spies von Büllesheim, un ressortissant allemand qui a son domicile en Allemagne et qui était également gérant et fondé de pouvoir des trois filiales allemandes, directeur de cette société.

14

Le 7 mai 2001, Holterman Ferho Exploitatie et M. Spies von Büllesheim ont conclu une convention, rédigée en langue allemande, qui confirme la nomination de ce dernier en qualité de directeur («Geschäftsführer») et décrit ses droits et obligations à cet égard (ci‑après le «contrat du 7 mai 2001»).

15

Le 20 juillet 2001, M. Spies von Büllesheim est devenu gérant de Holterman Ferho Exploitatie.

16

Ainsi qu’il ressort des éléments fournis par les parties lors de l’audience, M. Spies von Büllesheim aurait également détenu des actions de Holterman Ferho Exploitatie, la majorité des actions de cette dernière étant cependant détenues par M. Holterman.

17

Le 31 décembre 2005, il a été mis fin au contrat liant M. Spies von Büllesheim à Ferho Frankfurt et, le 31 décembre 2006, aux contrats le liant à Holterman Ferho Exploitatie, à Ferho Bewehrungsstahl et à Ferho Vechta.

18

En raison de prétendues fautes graves dans l’exercice de ses fonctions, les quatre sociétés ont intenté une action en constatation et dommages‑intérêts contre M. Spies von Büllesheim devant le Rechtbank Almelo (Pays‑Bas).

19

Lesdites sociétés soutiennent, à titre principal, que M. Spies von Büllesheim a mal exercé son mandat de gérant et que, à ce titre, sa responsabilité est engagée à leur égard en vertu de l’article 2:9 du BW. Elles ont également invoqué le dol ou l’imprudence délibérée dans l’exécution de son contrat de travail au titre de l’article 7:661 du BW. À titre subsidiaire, les quatre sociétés font valoir que les fautes commises par M. Spies von Büllesheim dans l’exercice de ses fonctions constituent un comportement illicite au titre de l’article 6:162 du BW.

20

M. Spies von Büllesheim soutient que les tribunaux néerlandais ne sont pas compétents pour connaître du litige.

21

Le Rechtbank Almelo a jugé qu’il n’était compétent ni au titre de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 ni au titre du point 3 de cet article.

22

Le Gerechtshof te Arnhem a confirmé le jugement du Rechtbank Almelo.

23

S’agissant de la demande de Holterman Ferho Exploitatie, fondée sur une mauvaise gestion de celle‑ci par M. Spies von Büllesheim, le Gerechtshof te Arnhem a jugé que le règlement no 44/2001 ne désigne les juridictions d’aucun for en particulier, de sorte que, en principe, c’est la règle figurant à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 qui s’applique. Partant, M. Spies von Büllesheim ne pourrait être attrait que devant le juge allemand.

24

S’agissant de la demande de Holterman Ferho Exploitatie, fondée sur la responsabilité de M. Spies von Büllesheim pour mauvaise exécution du contrat du 7 mai 2001, le Gerechtshof te Arnhem est d’avis que ce contrat doit être qualifié de «contrat individuel de travail» au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 44/2001. En vertu de l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement, l’action de l’employeur ne pourrait donc être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile. Dès lors que M. Spies von Büllesheim a son domicile en Allemagne, aucune compétence ne serait reconnue au juge néerlandais pour connaître des actions introduites de cette demande.

25

Selon le Gerechtshof te Arnhem, ce raisonnement vaut également pour autant que l’action de Holterman Ferho Exploitatie relève des matières délictuelle ou quasi‑délictuelle. Une action en matière délictuelle ou quasi‑délictuelle présentant un lien avec la demande en matière de «contrats individuels de travail» au sens de l’article 18 du règlement no 44/2001 ne serait pas susceptible d’aboutir à la compétence du juge néerlandais, puisque le chapitre II, section 5, de ce règlement contiendrait une règle spéciale de compétence qui déroge aux règles contenues à l’article 5, points 1 et 3, dudit règlement.

26

Les quatre sociétés ont introduit un pourvoi en cassation contre le jugement du Gerechtshof te Arnhem devant la juridiction de renvoi.

27

Dans leur pourvoi, elles reprochent au Gerechtshof te Arnhem d’avoir commis une erreur de droit ou de n’avoir pas suffisamment motivé son arrêt. Ces reproches portent sur l’interprétation et l’application des règles de compétence pertinentes prévues par le règlement no 44/2001, à savoir les dispositions combinées des articles 5, points 1, sous a), et 3, 18, paragraphe 1, et 20, paragraphe 1, de ce règlement. Les quatre sociétés reprochent, en particulier, au Gerechtshof te Arnhem d’avoir considéré que le juge néerlandais n’était pas compétent en ce que leurs demandes sont fondées sur le non‑respect par M. Spies von Büllesheim de ses obligations dans le cadre de ses fonctions de directeur de Holterman Ferho Exploitatie.

28

Le Hoge Raad der Nederlanden relève que, en droit néerlandais, une distinction est faite entre, d’une part, la responsabilité d’une personne en sa qualité de gérant d’une société au titre d’un manquement à son obligation d’exécuter correctement les tâches qui lui incombent en droit des sociétés en vertu de l’article 2:9 du BW ou au titre d’un «comportement illicite» au sens de l’article 6:162 du BW et, d’autre part, la responsabilité incombant à cette personne en tant que «travailleur salarié» de cette société, indépendamment de sa qualité de gérant, au titre «d’un dol ou d’une imprudence dans l’exécution de son contrat de travail» au sens de l’article 7:661 du BW.

29

La question de savoir si les juridictions néerlandaises sont compétentes ou non pour connaître de l’affaire nécessite, de l’avis du Hoge Raad der Nederlanden, un examen du rapport existant entre, d’une part, les règles de compétence prévues au chapitre II, section 5 (articles 18 à 21), du règlement no 44/2001 et, d’autre part, celles qui sont définies à l’article 5, points 1, sous a), et 3, de ce règlement. Plus particulièrement, la question qui se pose est celle de savoir si ladite section 5 s’oppose à ce que les dispositions dudit article 5, points 1, sous a) et 3, trouvent à s’appliquer dans un cas comme celui de l’espèce, dans lequel le défendeur est assigné par une société, non seulement en sa qualité de gérant, du fait qu’il a mal exercé ses fonctions ou bien qu’il a agi de manière illicite, mais également, indépendamment de cette qualité, du fait de son dol ou imprudence délibérée lors de l’exécution du contrat de travail conclu avec ladite société.

30

Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Les dispositions du chapitre II, section 5 (articles 18 à 21), du règlement no 44/2001 doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que le juge applique l’article 5, initio et point 1, sous a), de ce règlement ou l’article 5, initio et point 3, dudit règlement dans un cas comme celui de l’espèce dans lequel le défendeur est assigné par la société dont il est le gérant non seulement en sa qualité de gérant, du fait qu’il a mal exercé ses fonctions ou qu’il a agi de manière illicite, mais également, indépendamment de cette qualité, du fait de son dol ou de son imprudence délibérée lors de l’exécution du contrat de travail conclu entre lui et ladite société?

2)

a)

En cas de réponse négative à la première question, la notion de ‘matière contractuelle’ prévue à l’article 5, initio et point 1, sous a), du règlement no 44/2001 doit‑elle alors être interprétée en ce sens qu’elle vise notamment un cas comme celui de l’espèce dans lequel une société assigne une personne en sa qualité de gérant de cette même société en raison du manquement à son obligation d’exercer correctement les fonctions qui lui incombent en droit des sociétés?

b)

En cas de réponse affirmative à la deuxième question, sous a), la notion de ‘lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée’ prévue à l’article 5, initio et point 1, sous a), du règlement no 44/2001 doit‑elle alors être interprétée en ce sens qu’elle vise le lieu dans lequel le gérant a exercé ou aurait dû exercer les fonctions lui incombant en droit des sociétés, ce qui, en règle générale, sera le lieu de l’administration centrale ou du principal établissement de la société en cause, au sens de l’article 60, paragraphe 1, initio ainsi que sous b) et c), dudit règlement?

3)

a)

En cas de réponse négative à la première question, la notion de ‘matière délictuelle ou quasi‑délictuelle’ prévue à l’article 5, initio et point 3, du règlement no 44/2001 sur la compétence doit‑elle, dès lors, être interprétée en ce sens qu’elle vise un cas tel que celui de l’espèce dans lequel une société assigne une personne en sa qualité de gérant de cette société en raison du mauvais exercice des fonctions qui lui incombent en droit des sociétés ou en raison d’un comportement illicite?

b)

En cas de réponse affirmative à la troisième question, sous a), la notion de ‘lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’ prévu à l’article 5, initio et point 3, du règlement no 44/2001 doit‑elle dès lors être interprétée en ce sens qu’elle vise le lieu dans lequel le gérant a exercé ou aurait dû exercer les fonctions lui incombant en droit des sociétés, ce qui, en règle générale, sera le lieu de l’administration centrale ou du principal établissement de la société en cause, au sens de l’article 60, paragraphe 1, initio ainsi que sous b) et c), dudit règlement?»

Sur les questions préjudicielles

31

À titre liminaire, il convient d’observer que la juridiction de renvoi, dans la mesure où elle est saisie, conformément aux règles du droit national, d’un recours visant à mettre en cause la responsabilité d’une personne tant en sa qualité de directeur qu’en sa qualité de gérant de société ainsi que sur une base délictuelle, interroge la Cour sur l’interprétation des dispositions du règlement no 44/2001 relatives à la compétence judiciaire, respectivement, en matière de contrats individuels de travail, au sens du chapitre II, section 5 (articles 18 à 21), du règlement no 44/2001, en «matière contractuelle», au sens de l’article 5, point 1, de ce règlement, et en «matière délictuelle ou quasi‑délictuelle», au sens de l’article 5, point 3, dudit règlement.

32

À cet égard, la seule circonstance qu’un demandeur indique dans sa requête plusieurs titres de responsabilité ne suffit pas pour considérer qu’une telle action est susceptible de relever de chacune des dispositions invoquées. En effet, il n’en va ainsi que si le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations découlant de ces dispositions, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir, par analogie, arrêt Brogsitter, C‑548/12, EU:C:2014:148, point 24).

Sur la première question

33

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions du chapitre II, section 5 (articles 18 à 21), du règlement no 44/2001 doivent être interprétées en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle une société assigne en justice une personne ayant exercé les fonctions de directeur et de gérant de cette société afin de faire constater des fautes commises par cette personne dans l’exercice de ces fonctions et d’en obtenir réparation, elles font obstacle à l’application de l’article 5, points 1 et 3, de ce règlement.

34

Il y a lieu de relever d’emblée que la question de l’application des règles spéciales d’attribution de compétence judiciaire prévues à ladite section du règlement no 44/2001 ne se pose, en l’occurrence, que si M. Spies von Büllesheim peut être considéré comme ayant été lié par un «contrat individuel de travail», au sens de l’article 18, paragraphe 1, de ce règlement, à la société dont il a été directeur et gérant, pouvant ainsi être qualifié de «travailleur» au sens du même article, paragraphe 2.

35

Force est de constater que, d’une part, le règlement no 44/2001 ne définit ni la notion de «contrat individuel de travail» ni celle de «travailleur».

36

D’autre part, la question de la qualification du lien entre M. Spies von Büllesheim et ladite société ne saurait être résolue sur le fondement du droit national (voir, par analogie, arrêt Kiiski, C‑116/06, EU:C:2007:536, point 26).

37

En effet, pour assurer la pleine efficacité du règlement no 44/2001 et notamment dudit article 18, les notions juridiques que celui‑ci contient doivent être interprétées d’une manière autonome qui soit commune à l’ensemble des États membres (arrêt Mahamdia, C‑154/11, EU:C:2012:491, point 42).

38

Dans la mesure où le règlement no 44/2001 remplace la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de cette convention vaut également pour celles de ce règlement, lorsque les dispositions de ces instruments communautaires peuvent être qualifiées d’équivalentes (arrêt Zuid‑Chemie, C‑189/08, EU:C:2009:475, point 18).

39

En ce qui concerne l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, disposition qui a servi de fondement à l’adoption des articles 18 à 21 du règlement no 44/2001, la Cour a déjà jugé que les contrats de travail présentent certaines particularités en ce qu’ils créent un lien durable qui insère le travailleur dans le cadre d’une certaine organisation des affaires de l’entreprise ou de l’employeur et en ce qu’ils se localisent au lieu de l’exercice des activités, lequel détermine l’application de dispositions de droit impératif et des conventions collectives (arrêt Shenavai, 266/85, EU:C:1987:11, point 16).

40

Cette interprétation est corroborée par le point 41 du rapport de MM. Jenard et Möller, sur la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 16 septembre 1988 (JO 1990, C‑189, p. 57), selon lequel, s’agissant de la notion autonome de «contrat de travail», on peut considérer qu’elle suppose un lien de dépendance du travailleur à l’égard de l’employeur.

41

Par ailleurs, s’agissant de la notion de «travailleur», la Cour a jugé, à titre d’interprétation de l’article 45 TFUE ainsi que de plusieurs actes législatifs de l’Union, tels que la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (JO L 348, p. 1), que la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle‑ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (voir, dans le contexte de la libre circulation des travailleurs, arrêt Lawrie‑Blum, 66/85, EU:C:1986:284, points 16 et 17, ainsi que, dans celui de la directive 92/85, arrêt Danosa, C‑232/09, EU:C:2010:674, point 39).

42

Il convient de tenir compte de ces éléments également à l’égard de la notion de «travailleur» au sens de l’article 18 du règlement no 44/2001.

43

Pour ce qui est de la finalité du chapitre II, section 5, du règlement no 44/2001, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 13 de celui‑ci, ce règlement vise à assurer aux parties les plus faibles des contrats, dont les contrats de travail, une protection renforcée, dérogeant aux règles générales de compétence.

44

Il importe, à cet égard, de rappeler que les dispositions figurant à ladite section 5 présentent un caractère non seulement spécifique, mais encore exhaustif (arrêt Glaxosmithkline et Laboratoires Glaxosmithkline, C‑462/06, EU:C:2008:299, point 18).

45

C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, en s’appuyant sur les critères rappelés aux points 39 et 41 du présent arrêt, si, en l’occurrence, M. Spies von Büllesheim, en sa qualité de directeur et de gérant de Holterman Ferho Exploitatie, a accompli pendant un certain temps, en faveur de cette société et sous la direction de celle‑ci, des prestations en contrepartie desquelles il percevait une rémunération et était lié par un lien durable qui l’insérait dans le cadre d’une certaine organisation des affaires de cette société.

46

S’agissant plus précisément du lien de subordination, l’existence d’un tel lien doit être appréciée dans chaque cas particulier en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations existant entre les parties (arrêt Balkaya, C‑229/14, EU:C:2015:455, point 37).

47

Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner dans quelle mesure M. Spies von Büllesheim était, en sa qualité d’actionnaire de Holterman Ferho Exploitatie, à même d’influer sur la volonté de l’organe d’administration de cette société dont il était gérant. Dans cette hypothèse, il y aura lieu d’établir qui était compétent pour lui donner des instructions et pour contrôler la mise en œuvre de celles‑ci. S’il devait s’avérer que cette capacité d’influence de M. Spies von Büllesheim sur ledit organe n’était pas négligeable, il conviendrait de conclure à l’absence d’un lien de subordination au sens de la jurisprudence de la Cour sur la notion de travailleur.

48

Dans le cas où la juridiction de renvoi devait, à l’issue de l’examen de l’ensemble des éléments mentionnés ci‑dessus, constater que M. Spies von Büllesheim a, en sa qualité de directeur et de gérant, été lié à Holterman Ferho Exploitatie par un «contrat individuel de travail» au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, il lui appartiendrait d’appliquer les règles de compétence prévues au chapitre II, section 5, du règlement no 44/2001.

49

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les dispositions du chapitre II, section 5 (articles 18 à 21), du règlement no 44/2001 doivent être interprétées en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle une société assigne en justice une personne ayant exercé les fonctions de directeur et de gérant de cette société afin de faire constater des fautes commises par cette personne dans l’exercice de ses fonctions et d’en obtenir réparation, elles font obstacle à l’application de l’article 5, points 1 et 3, de ce règlement à condition que ladite personne ait, en sa qualité de directeur et de gérant, accompli pendant un certain temps en faveur de cette société et sous la direction de celle‑ci des prestations en contrepartie desquelles elle percevait une rémunération, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la deuxième question

50

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que l’action d’une société contre son ancien gérant en raison d’un prétendu manquement à ses obligations lui incombant en vertu du droit des sociétés relève de la notion de «matière contractuelle». En cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi demande si le lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été exécutée ou doit être exécutée correspond au lieu visé à l’article 60, paragraphe 1, sous b) et c), de ce règlement.

51

Cette question est pertinente pour la solution de l’affaire au principal dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait, après examen des éléments fournis en réponse à la première question, que M. Spies von Büllesheim n’a pas exercé ses fonctions en tant que travailleur de Holterman Ferho Exploitatie.

52

Pour répondre à la première partie de la deuxième question, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la notion de «matière contractuelle» visée à l’article 5, point 1 du règlement no 44/2001 présuppose l’existence d’un engagement librement assumé d’une partie envers une autre (voir arrêt Česká spořitelna, C‑419/11, EU:C:2013:165, point 46).

53

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 46 de ses conclusions, M. Spies von Büllesheim et Holterman Ferho Exploitatie ont librement assumé des engagements mutuels en ce sens que M. Spies von Büllesheim a choisi de diriger et de gérer cette société et celle‑ci a pris l’obligation de rémunérer cette activité, de sorte qu’il peut être considéré que leur relation est de nature contractuelle et, par conséquent, que l’action de la société contre son ancien gérant en raison du prétendu manquement à son obligation d’exercer correctement les fonctions lui incombant en droit des sociétés relève de la notion de «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 .

54

En effet, il apparaît, à cet égard, que l’activité d’un gérant crée des liens étroits de même type que ceux qui s’établissent entre les parties à un contrat et qu’il est, par la suite, légitime de considérer que l’action de la société contre son ancien gérant en raison du prétendu manquement à son obligation d’exercer correctement les fonctions lui incombant en droit des sociétés relève de la notion de «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 (voir, par analogie, arrêt Peters Bauunternehmung, 34/82, EU:C:1983:87, point 13).

55

S’agissant de la question du «lieu», au sens de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001, où l’obligation qui sert de base à la demande a été exécutée ou doit être exécutée, il convient de distinguer si ladite action relève de l’article 5, point 1, sous a), ou bien de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, de ce règlement.

56

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, compte tenu de la hiérarchie établie entre le point a) et le point b) par le point c) de cette disposition, la règle de compétence prévue à l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001 n’a vocation à intervenir que de manière alternative et, par défaut, par rapport aux règles de compétence figurant à l’article 5, point 1, sous b), de celui‑ci (arrêt Corman‑Collins, C‑9/12, EU:C:2013:860, point 42).

57

Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un contrat dont l’obligation caractéristique est une prestation de services sera qualifié de «fourniture de services» au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du même règlement (arrêt Car Trim, C‑381/08, EU:C:2010:90, point 32). La notion de «services» implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération (arrêt Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, EU:C:2009:257, point 29).

58

Dans le cadre du droit des sociétés, dans la mesure où l’obligation caractéristique de la relation juridique existant entre le gérant et la société gérée implique une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération, cette activité doit être qualifiée de «fourniture de services» au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 44/2001.

59

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer quel est le lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.

60

Compte tenu du libellé de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 44/2001, selon lequel c’est le lieu de l’État membre où, «en vertu du contrat», les services ont été ou auraient dû être fournis qui est déterminant, le lieu de la fourniture principale des services doit être déduit, dans la mesure du possible, des dispositions du contrat lui‑même (arrêt Wood Floor Solutions Andreas Domberger, C‑19/09, EU:C:2010:137, point 38).

61

Dans l’affaire au principal, il est constant que le contrat du 7 mai 2001 ne contenait aucune clause exigeant que M. Spies von Büllesheim exerce ses activités nécessairement dans un endroit précis.

62

Toutefois, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, dans les statuts de Holterman Ferho Exploitatie ou dans tout autre document qui définit les obligations du gérant à l’égard de cette société, si le lieu de la fourniture principale des services de M. Spies von Büllesheim peut en être déduit.

63

Si ni les dispositions des statuts de Holterman Ferho Exploitatie ni aucun autre document définissant les obligations du gérant à l’égard de la société ne permettent de déterminer le lieu où les services ont été principalement fournis par M. Spies von Büllesheim, il convient, dans ce cas, de prendre en considération le fait que ces services ont été fournis pour le compte de cette société.

64

Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 57 de ses conclusions, en l’absence de toute précision dérogatoire dans les statuts de la société ou dans tout autre document, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer le lieu dans lequel M. Spies von Büllesheim a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat, à condition que la fourniture des services sur le lieu en question ne soit pas contraire à la volonté des parties telle qu’elle ressort de ce qui a été convenu entre elles. À cette fin, il peut être tenu compte, en particulier, du temps passé sur ces lieux et de l’importance de l’activité qui y est exercée, le juge national devant déterminer sa compétence au regard des éléments de preuve qui lui sont soumis.

65

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que l’action d’une société contre son ancien gérant en raison d’un prétendu manquement aux obligations lui incombant en vertu du droit des sociétés relève de la notion de «matière contractuelle». En l’absence de toute précision dérogatoire dans les statuts de la société ou dans tout autre document, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer le lieu dans lequel le gérant a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat, à condition que la fourniture des services sur le lieu considéré ne soit pas contraire à la volonté des parties telle qu’elle ressort de ce qui a été convenu entre elles.

Sur la troisième question

66

Par sa troisième question, le Hoge Raad der Nederlanden demande, en substance, si l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que, dans la mesure où le droit national applicable permet d’ester en justice simultanément sur la base d’une relation contractuelle et d’actes délictueux ou quasi‑délictueux, cette disposition recouvre un cas tel que celui en cause dans l’affaire au principal, dans lequel une société attrait une personne en justice tant en sa qualité de gérant de cette société qu’en raison d’un comportement illicite. Dans l’affirmative, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire correspond à celui visé à l’article 60, paragraphe 1, sous b) et c), de ce règlement.

67

À l’instar de la deuxième question, cette troisième question est pertinente pour la solution de l’affaire au principal dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constate, après examen des éléments fournis en réponse à la première question posée, que M. Spies von Büllesheim n’a pas exercé ses fonctions en tant que travailleur de Holterman Ferho Exploitatie.

68

Il est de jurisprudence constante que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 s’applique à toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, de ce règlement (voir, notamment, arrêt Brogsitter, C‑548/12, EU:C:2014:148, point 20 et jurisprudence citée).

69

Ainsi qu’il ressort de la réponse apportée à la deuxième question, la relation juridique existant entre une société et son gérant doit être qualifiée de «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001.

70

Par conséquent, dans la mesure où le droit national permet de fonder une demande de la société contre son ancien gérant sur un prétendu comportement illicite, une telle demande est susceptible de relever de la «matière délictuelle ou quasi‑délictuelle» au sens de la règle de compétence visée à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 seulement si elle ne se rattache pas à la relation juridique de nature contractuelle entre la société et le gérant.

71

Si, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles du gérant, il conviendra de conclure que la juridiction compétente pour se prononcer sur ce comportement est celle désignée à l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001. Dans le cas inverse, la règle de compétence énoncée à l’article 5, point 3, de ce règlement s’applique (voir, par analogie, arrêt Brogsitter, C‑548/12, EU:C:2014:148, points 24 à 27).

72

À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété de manière autonome et stricte (arrêt CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 37 et jurisprudence citée). S’agissant du lieu où «le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire» figurant à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, il convient de rappeler que ces termes visent à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou l’autre de ces deux lieux (arrêt Coty Germany, C‑360/12, EU:C:2014:1318, point 46).

73

Aux termes d’une jurisprudence constante, la règle de compétence prévue à l’article 5, point 3, dudit règlement est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (arrêt CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 39 et jurisprudence citée).

74

En effet, en matière délictuelle ou quasi‑délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves (arrêt CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 40).

75

L’identification de l’un des points de rattachement reconnus par la jurisprudence rappelée au point 72 du présent arrêt doit donc permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis, si bien que ne peut être valablement saisie que la juridiction dans le ressort de laquelle se situe le point de rattachement pertinent (arrêt CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 41 et jurisprudence citée).

76

S’agissant du lieu de l’évènement causal, il convient, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 65 de ses conclusions, de prendre en compte que ce lieu peut se situer à l’endroit où M. Spies von Büllesheim exerçait ses tâches de gérant de la société Holterman Ferho Exploitatie.

77

Quant au lieu de la matérialisation du dommage, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce lieu est celui où le dommage allégué par la société se manifeste concrètement (en ce sens, arrêt CDC Hydrogen Peroxide, C‑352/13, EU:C:2015:335, point 52).

78

En l’occurrence, pour déterminer où le comportement illicite de M. Spies von Büllesheim dans l’exercice de ses fonctions de gérant a pu produire le dommage, la juridiction de renvoi, sur la base des éléments dont elle dispose, devra tenir compte du fait que la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit» ne saurait être interprétée de façon extensive au point d’englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu.

79

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles une société assigne en justice son ancien gérant en raison d’un prétendu comportement illicite, l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que cette action relève de la matière délictuelle lorsque le comportement reproché ne peut pas être considéré comme un manquement aux obligations incombant au gérant en droit des sociétés, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. Il appartient à celle‑ci d’identifier, sur la base des circonstances factuelles de l’affaire, le point de rattachement le plus étroit avec le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage et avec le lieu de la matérialisation de celui‑ci.

Sur les dépens

80

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

1)

Les dispositions du chapitre II, section 5 (articles 18 à 21), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doivent être interprétées en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle une société assigne en justice une personne ayant exercé les fonctions de directeur et de gérant de cette société afin de faire constater des fautes commises par cette personne dans l’exercice de ses fonctions et d’en obtenir réparation, elles font obstacle à l’application de l’article 5, points 1 et 3, de ce règlement à condition que ladite personne ait, en sa qualité de directeur et de gérant, accompli pendant un certain temps en faveur de cette société et sous la direction de celle‑ci des prestations en contrepartie desquelles elle percevait une rémunération, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

2)

L’article 5, point 1, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que l’action d’une société contre son ancien gérant en raison d’un prétendu manquement aux obligations lui incombant en droit des sociétés relève de la notion de «matière contractuelle». En l’absence de toute précision dérogatoire dans les statuts de la société ou dans tout autre document, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer le lieu dans lequel le gérant a effectivement déployé, de manière prépondérante, ses activités en exécution du contrat, à condition que la fourniture des services sur le lieu considéré ne soit pas contraire à la volonté des parties telle qu’elle ressort de ce qui a été convenu entre elles.

 

3)

Dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles une société assigne en justice son ancien gérant en raison d’un prétendu comportement illicite, l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que cette action relève de la matière délictuelle lorsque le comportement reproché ne peut pas être considéré comme un manquement aux obligations incombant au gérant en droit des sociétés, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. Il appartient à celle‑ci d’identifier, sur la base des circonstances factuelles de l’affaire, le point de rattachement le plus étroit avec le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage et avec le lieu de la matérialisation de celui‑ci.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.

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