C'est non sans émotion que je partage la décision rendue ce jour par le Conseil d'État après pourvoi en cassation formé par l'association Biodiversité sous nos pieds, dont je suis co-Président, contre l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Grenoble le 16 novembre 2022.
Il y a quasiment 4 ans jour pour jour, en effet, Biodiversité sous nos pieds naissait à l'IEP de Grenoble sous l'initiative d'une poignée d'étudiants. Jamais nous n'aurions imaginé remporter un pourvoi devant la juridiction dont nous apprenions à peine le fonctionnement et les arrêts les plus illustres.
L'émotion laissant place à l'analyse, il convient de rappeler que le TA de Grenoble avait rejeté, pour défaut d'urgence, notre demande de suspension d'un arrêté du préfet de la Haute-Savoie autorisant la destruction de 46 espèces animales protégées en vue de la restructuration du domaine skiable de Rochebrune à Megève.
L'article L. 521-1 du code de justice administrative exige en effet deux conditions pour que la suspension d'une décision administrative puisse être ordonnée : une situation d'urgence (i) et un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de ladite décision (ii).
Or, le juge des référés du TA de Grenoble avait, en l'espèce, retenu qu'eu égard l'état d'avancement des travaux (travaux préparatoires de terrassement et de génie civil déjà achevés, défrichement déjà réalisé pour près de 90% de la surface autorisée), l’atteinte aux espèces protégées était déjà très largement consommée, de sorte que la condition d’urgence ne pouvait plus être regardée comme remplie.
C'est précisément ce critère de "l'état d'avancement des travaux" qui a provoqué la censure de la part du juge de cassation. En effet, le Conseil d'État a annulé l'ordonnance sous l'angle de l'erreur de droit (point 7).
Autrement dit, le Conseil d'État a jugé que ce critère de "l'état avancé des travaux" n'était pas pertinent, qu'il ne pouvait être utilement utilisé pour appliquer l'article L. 521-1 du CJA en matière de dérogation espèces protégées.
Selon le Conseil d'État, le juge des référés devait davantage, au regard de notre argumentation, "examiner si l’impact des travaux restant à effectuer sur les espèces protégées pouvait conduire à regarder la condition d’urgence comme remplie".
Il s'agit à mon sens d'une décision à mettre relation avec deux précédents CE, 3 juill. 2020, n° 430585 et CE, 14 déc. 2022, n° 462280, par lesquels le Conseil d'État, réglant lui-même les affaires au fond, avait décidé que le fait que des travaux ou des aménagements aient déjà été réalisés ne s'oppose pas à ce que la condition d'urgence puisse être regardée comme remplie au sens de l'art. L. 521-1 du CJA.
Espérons que ces décisions viennent éviter toute "tentation" (Dorian Guinard) des porteurs de projet et de l'administration de réaliser les travaux le plus rapidement possible afin de faire échec aux requêtes en référé-suspension des associations dirigées contre les dérogations EP.