La Cour de cassation publie un arrêt portant en apparence sur une question anodine : la remise par les greffes des ordonnances rendues par le juge des requêtes aux avocats. La publication s'explique sans doute pour la volonté de transmettre aux juges parfois un peu trop stricts des consignes de bon sens.
La règle sanctionnée est la suivante : lorsqu'il n'est pas fait droit à une requête (procédure non contradictoire aux termes de laquelle une partie peut demander au juge de prendre un certain nombre de mesures conservatoires), un appel peut être interjeté dans les 15 jours. Le point de départ de ce délai est le prononcé de l'ordonnance.
Cette ordonnance étant prononcée dans le secret du cabinet du juge, aucune publicité ne lui est cependant donnée autre que la remise "à la toque" (la boite aux lettres internes servant aux correspondances entre avocats et juridiction) de l'ordonnance rendant la décision. Cette "mise en boite" le jour même du prononcée est une présomption ; il incombe donc à l'avocat qui n'a pas trouvé dans ladite boite l'ordonnance, rendue à une date qui n'est pas toujours connue, de démontrer cette absence.
Probatio diabolica ! Il est naturellement impossible de démontrer directement cette absence puisque par nature, on ne prouve pas l'existence de ce qui n'existe pas (du moins, dans le monde du commun des mortels). L'avocat qui connaît son métier, inquiet de ne pas avoir reçu de réponse à la requête déposée, ne manquera donc d'interroger de manière régulière le greffe pour savoir ce qu'il en est. "Soeur Anne, ...."
En dépit de ses précautions, il n'est pas rare de n'obtenir du greffe une réponse "l'ordonnance est sur le bureau du président", sans autre précision, voire de ne pas obtenir de réponse du tout. Et de découvrir plusieurs semaines après, sans jamais en avoir été informé au préalable, ladite décision dans sa toque, datée de 3 ou 4 semaines. Hors délai d'appel donc.
C'est la mésaventure advenue à un requérant et son conseil. Celui-ci démontrait, courrier à l'appui, avoir écrit à plusieurs reprises au greffe, sans résultat. Ayant toutefois saisi la Cour (qui ne tente rien, n'a rien), celle-ci a balayé l'argument de l'impossibilité de démontrer une remise tardive, en relevant que les éléments produits (les courriers) ne suffisaient pas à détruire la présomption d'une remise au jour du prononcé.
Fort heureusement, dans le courant d'une approche plus souple du carcan de la procédure civile, la Cour de cassation censure la cour en rappelant que la présomption d'une remise est une présomption simple, que la production par l'avocat des courriers de relance du greffe (et en creux l'absence de toute réponse) suffisait à démontrer l'absence de connaissance (Civ. 2ème, 28 mars 2024, n° 22-11.631)
Cette décision est à rapprocher d'une décision du même jour qui promeut une vision moins stricte de la notion de "demande accessoire" et de "demande visant aux mêmes fins" (n° 22-13.419)
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