Philippe Silberzahn souligne que les prévisions, loin d'être neutres et objectives, reflètent souvent nos identités et préjugés.
L'exemple du rapport Théry sur les "autoroutes de l’information" de 1994, rédigé par Gérard Théry, Alain Bonnafé et Michel Guieysse, illustre comment les prévisions peuvent être faussées par des visions limitées et des extrapolations trop simplistes.
Ce rapport, destiné au Premier Ministre de l’époque, Edouard Balladur, évaluait l’avenir des autoroutes de l’information et le rôle potentiel d’Internet.
À cette époque, Internet était reconnu mais rapidement écarté comme étant inadapté à des fins commerciales en raison de son "mode de fonctionnement coopératif" et de son incapacité présumée à fournir des services de qualité en temps réel pour la voix ou les images.
Les auteurs ont jugé Internet sur la base de ses capacités initiales, sans envisager son potentiel d'évolution, ce qui reflète une première erreur majeure d'extrapolation.
Ils ont supposé que le futur serait une simple extension du présent, minimisant ainsi le potentiel d'Internet qui, à l'époque, ne représentait qu'un douzième du chiffre d'affaires mondial des services engendrés par le Minitel.
Une deuxième erreur provient de leur raisonnement en ceteris paribus, où ils ont assumé que les conditions existantes resteraient constantes.
Cette approche a omis de prendre en compte la dynamique de croissance d'Internet et ses développements futurs.
Comparer Internet au Minitel en 1994 était comme comparer un novice à un vétéran en fin de carrière, sans reconnaître la phase de croissance rapide que le premier commençait à peine à expérimenter.
La troisième erreur soulignée par Philippe Silberzahn est le biais identitaire.
Les auteurs, influencés par leur expérience avec le Minitel et leur position au sein de France Telecom, ont jugé Internet à travers le prisme de leurs expériences et convictions préexistantes.
Cela a mené à sous-estimer l'ouverture et la flexibilité d’Internet, considérant ces caractéristiques non pas comme des atouts mais comme des faiblesses.
Au même moment, des visionnaires comme Marc Andreessen, Jim Clark et Jeff Bezos exploitaient précisément ces qualités d'Internet pour créer des entreprises révolutionnaires comme Netscape et Amazon.
Ces développements contrastent vivement avec la perspective limitée des auteurs du rapport, démontrant ainsi les risques de l'arrogance épistémique et des prédictions technocratiques qui ne reconnaissent pas leurs propres limites.