Post de Cédric Vallet

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✍️ Rédacteur | Prête-plume | Auteur indépendant | Auto-édition 📚

Multiplex partout, rugby nulle part (© Boucherie Ovalie) Samedi dernier, j’ai vécu une expérience déstabilisante pour un supporter du Stade toulousain : le match de mon équipe fétiche n’était pas programmée en prime-time mais durant la case de 17h en même temps que trois autres parties. N’étant pas abonné à Canal, je me suis rendu à un pub bien décidé à voir mes rouges et noirs défier ceux d’Oyonnax… et d’apprendre sur place que l’abonnement dudit pub ne nous proposait que d’assister au multiplex retransmis par Canal+. Si j’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur, je ne peux pas dire que l’expérience fût agréable. N’ayant pas un regard assez connaisseur sur le football, je ne m’avancerai pas à juger de la pertinence de ce format dans la diffusion télévisée de ce sport. Je suis en revanche certain qu’il ne l’est pas à celle du rugby. Le principe du multiplex (passer d’un stade à l’autre en fonction des actions “chaudes” les plus marquantes des 4 matches simultanés) instaure au centre des décisions de la réalisation une idée très connue des cinéphiles : cadrer quelque chose, c’est retrancher tout le reste.  En configuration normale, la diffusion d’un évènement sportif opte pour les angles supposés mieux montrer le jeu. En multiplex, elle questionne d’abord la légitimité de ce qui mérite d’être montré au spectateur. Ici, le choix des images piochées s’est portée sur une sélection favorisant outrageusement les actions pouvant modifier les scores de chaque match. Cette focalisation invisibilise de fait toutes les actions ne permettant pas de nourrir la narration classique du sport : celle qui se concentre sur le tableau d’affichage… celle qui parle des vainqueurs et des perdants. Les phases stratégiques (occupation, jeu au pied, possession) ou les zones d’affrontement (conquête, défense, impacts, jeu au sol) se retrouvent ainsi entièrement absentées. Et tant pis si ce sont ces variables qui donnent les clés d’analyse les plus pertinentes d'un match. Leur impact sur le résultat n’étant pas immédiat, elles sont soustraites de la diffusion. Paradoxalement, à force de vouloir tout montrer des actions importantes, le tournis du multiplex appauvrit le pouvoir analytique de ses images. Curieuse expérience de panoptique étourdie, le multiplex a beau montrer le moindre point marqué sur chacun des quatre terrains, il ne permet la compréhension réelle d’aucun des matches qu’il diffuse. Par essence, il ne restitue que les conséquences et néglige les causes. Pour quiconque aspire à réfléchir stratégiquement et à restituer l’objet de ses réflexions, cet exemple doit alerter. Il illustre les limites fondamentales d'une synthèse dont le cadrage néglige la profondeur logée derrière les effets. À force de retrancher et de décontextualiser on ne parle que de la partie émergée de l’iceberg sans jamais rien dire de celle qui est immergée… et on risque de perdre la substance même du sujet que l'on traite.

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