La nouvelle indigence télévisuelle
Le sujet est particulièrement sensible. L’univers des médias est secoué, et très fortement même depuis une dizaine d’années, par l’irruption des nouvelles technologies. La concurrence des réseaux sociaux et le déluge de messages qui les inonde, troublent la qualité de l’information et suscitent des inquiétudes. Cynthia Fleury rappelait que « les médias n’ont pas d’obligation scientifique comme les universitaires, mais ils ont une obligation d’information plurielle, de qualité, prouvée. Ils sont aussi garants de cet accès, pour tous les citoyens, à cette parole-là.[1]» Les médias traditionnels sont dépassés par ces nouvelles agoras, où la parole perd chaque jour un peu plus de son crédit. Cette évolution rappelle l’importance vitale pour les individus et les sociétés de la parole comme facteur d’équilibre relationnelle. Touchez à la parole et tout le corps social chancelle.
Hélas, les chaînes d’information en continue, en saturant l’espace médiatique télévisuel, participent à ce trou d’air, et nourrissent le brouillard informationnel. L’information, politisée comme jamais, cède le pas à l’invective. L’injonction et la prescription souvent moralisante teintent les paroles. Les drames et les faits divers viennent flatter la mauvaise curiosité, et font perdre l’essentiel. Tous les sujets, traités sans interruption, donnent l’impression d’une désinvolture voire d’un manque de sensibilité effrayant. On ne vous aide plus à penser, on pense pour vous. Tels des forçats du commentaire, les équipes se succèdent pour assurer les commentaires des commentaires, des captures de tweets, des petites phrases… L’expression engloutie l’expertise. L’impartialité s’est envolée. Le clash, on le sait, fait le cash. Le brouhaha de l’information inquiète, la plainte permanente insécurise. L’influence se gagne par l’audience et l’audience par la défiance. C’est la nouvelle indigence télévisuelle. La télé divertit et fait diversion. Qui se soucie encore d’une vie ? Qui fera silence, ne serait-ce qu’un instant pour respecter les personnes dont la mort est évoquée à l’antenne… Le silence est le paria des plateaux. La télé enfile les tragédies humaines, mais « the show must go on » ! Il n’y a pas de répit, il faut du débit.L’information bat au rythme de la seconde.[2] La crédibilité de la parole est progressivement anéantie. Celle des politiques, celles des commentateurs, et finalement celle de tout le monde.
Marielle Macé, dans son livre « Respire », rappelle que l’air que nous respirons, est l’air du temps. Il est fait des paroles que nous mettons dans l’espace et que les autres respirent.
(Voir le texte intégral > https://lnkd.in/e8h8UKxR)
[1] Cynthia Fleury – L’Opinion, 28 décembre 2022
[2] https://lnkd.in/eZXh6aXR