Comme un goût d’inachevé, une esquisse qui a encore besoin de beaucoup de travail et d’acharnement – atteindre la perfection est toujours si difficile et démentiel. C’est comme approché le divin, ce qui ne peut être vu, ce qui dépasse le cadre restreint de cette jolie planète bleue, si accueillante mais aussi rebelle à toute forme d’esclavage, d’enchaînement : toute l’humanité sait bien qu’elle ne peut se mesurer à toutes les forces universelles qui régissent tout l’Univers, mais elle essaie, elle tente, elle s’obstine. Elle veut le remplacer et dominer toutes ces forces sans en connaître la raison profonde. Une course en avant mu par une seule loi, un seul élan : la Vie pour la Vie. Et tous les hommes, grands et petits, regardent ce ciel qui les attire tant et qu’ils craignent, assurément, sans pouvoir se passer de leurs querelles intestines, muent également par ce besoin viscéral d’expansion, de contrôle sur l’environnement, les êtres, ses congénères. Lui, également, par ce rôle qu’il s’est octroyé, comme une évidence, tente de réduire les aspérités que provoquent l’humanité. Pourquoi a-t’elle acquis cette conscience qui lui fait mesurer toute l’étendue de sa petitesse pendant qu’elle essaie de grandir ? Pourquoi aucun autre être vivant sur cette planète n’a eu cette chance ? Ou mauvaise chance ? Quelle est cette formidable et impensable unité qui a fait prendre conscience à l’homme, sa minusculité ? Et pour compenser, il a bâti des bâtiments, mille fois plus grand que lui, pour atteindre un firmament, sans cesse, fuyant dès son approche. Comme cet horizon qui ne cesse de lui échapper, dont les contours de la planète lui deviennent trop étroits et le font s’envoler au-delà du Rêve : se créer une réalité autre que celle vécue jusqu’à ce jour et qui lui devient insupportable. Ou tout simplement une expansion virale dont il ne connait aucune source et aucun aboutissement… Juste continuer à (se) poursuivre et tant que ça joue, il continue. Advienne que pourra ! Alors, lui, sans se prendre au jeu d’une divinité – ange ou démon – il s’est fixé ce point de mire et il est devenu une sorte de régulateur. Dans le seul but de freiner, un peu, cette course infernale. Il sait la colère qui en est le principal moteur. Il sait l’absurdité de cette manœuvre dont il s’attribue la paternité. Il sait l’insupportable lassitude à côtoyer ses congénères, trop idiots ou laxistes pour comprendre, admettre que cette course est vaine et qu’il vaudrait mieux s’asseoir, un instant, contempler les champs, les arbres, les rivières, les étoiles, les animaux et face au soleil, couchant ou levant ; face à la lune rousse, si proche parfois qu’elle pourrait se laisser caresser, se sentir serein, en paix et ne rien vouloir que cela : contemplation !
Extrait de L'homme couché par Benoit Deville
Merci Infiniment Laurence Gavroy.