Égalité femmes-hommes : la presse a un devoir d’exemplarité !
#10Grenelle - N°7
Vendredi dernier, le monde a mis une nouvelle fois les droits des femmes à l’honneur, en cette journée internationale du 8 mars qui, chaque année, permet de faire le bilan sur l’avancée de l’égalité femmes-hommes dans nos sociétés.
Certains diront que les années se succèdent et, avec elles, les discours désolés sur la lenteur des progrès, la vie dure des stéréotypes, des plafonds de verre et des discriminations, sans effet réel sur les 364 jours restants où s’écrit le destin de la moitié de l’humanité.
Et pourtant, les signaux positifs se multiplient dans la nouvelle ère post-#MeToo dans laquelle, depuis 18 mois, nous sommes entrés.
J’en veux pour preuve la forte présence des femmes chez les Gilets jaunes. On peut avoir beaucoup de choses à reprocher aux réseaux sociaux, on ne peut contester qu’ils ont permis de donner, avec les médias traditionnels pour porte-voix, la parole à celles qui nourrissaient en nombre la France silencieuse, davantage touchées que les hommes par la précarité de l’emploi, majoritairement en charge des familles monoparentales, plus souvent unies par les mêmes revendications au sein de ce mouvement disparate qui, depuis trois mois, fait vaciller nos certitudes. Plus enclines aussi à se démarquer des débordements et à concilier leurs luttes avec d’autres grandes causes, telles que l’écologie ou les violences domestiques. L’engagement des femmes dans les contestations n’a rien de révolutionnaire – ce sont elles, déjà, qui étaient allées chercher le Roi à Versailles ! Voyons plutôt dans leur implication actuelle le signe renouvelé qu’une société qui rend mieux visibles ses femmes est une société plus en paix avec elle-même, plus créative aussi peut-être s’agissant de réinventer le lien social.
J’en veux également pour preuve la vitesse à laquelle les directions de rédaction concernées par l’infâme ligue du LOL ont réagi il y a quelques semaines, démontrant que la société ne veut plus fermer les yeux sur les formes multiples de harcèlement et de domination qui s’exercent à l’endroit des femmes. Comme le notait Roger Pol-Droit dans les Échos il y a un an, nous sommes arrivés à un point de « révolution morale » où, après 25 siècles de belles paroles sans prise suffisante sur le réel, « les faits, soudain, deviennent intolérables » et les esprits bougent vraiment.
« Il se peut donc que nous soyons en train de passer, effectivement, des discours d’un jour qui ne changent rien aux actions durables qui changent tout ».
Il suffit de s’intéresser à la dernière enquête de la Banque mondiale sur les droits des femmes au travail pour se convaincre que nous avons enfin franchi, en France à tous le moins – car hélas tant d’autres sociétés du monde peinent à avancer –, le stade de la sensibilisation et de la prise de conscience pour en venir aux actes.
Grâce à une succession inédite de réformes émancipatrices cette dernière décennie, notre pays s’est hissé au 1er rang mondial de l’égalité femmes-hommes au travail aux côtés de la Belgique, du Danemark, de la Lettonie, du Luxembourg et de la Suède. Bien sûr, le combat est loin encore d’être terminé, le sexisme ordinaire subsiste de même que les inégalités de salaire et les freins au développement de carrière de nos consœurs. Mais, selon la Banque mondiale, les six pays nord-européens distingués « reconnaissent les mêmes droits aux femmes et aux hommes dans les domaines analysés » par l’étude ; « Il y a dix ans, aucune économie ne pouvait revendiquer de telles performances. » Un grand pas a donc été réalisé, dont nous ne pouvons que nous féliciter !
Parmi ces « actions durables qui changent tout », celles qui concernent la presse ont une charge symbolique particulièrement forte.
Promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes est en effet un combat culturel au sens large.
L’image que l’on donne des premières, la visibilité qu’on leur accorde, la façon dont on les fait intervenir dans la société, les charges et les métiers qu’elles exercent ou, trop souvent encore, qu’elles n’exercent pas, informent l’inconscient du public dès le plus jeune âge.
Les médias d’information ont une responsabilité immense de ce point vue. C’est à travers eux que se forgent les opinions, s’enracinent les normes, qu’évoluent les mentalités. Comment espérer que notre société progresse s’ils ne donnent pas l’exemple ? Si les femmes qui y travaillent ont trois fois moins de temps de parole, ainsi que le révélait il y a quelques jours une étude de l’INA au sujet de l’audiovisuel ? Si elles ont moins droit à la reconnaissance salariale et aux postes de direction ? Si notre secteur ne reflète pas la société dans sa propre organisation ?
La presse française est en train de connaître un tournant réjouissant à cet égard. Et je ne suis pas peu fier de voir notre Groupe jouer un rôle majeur en faveur de cette évolution.
Le 5 février, les Échos ont en effet signé un accord historique sur la parité femmes-hommes dans l’entreprise. Pour la première fois en France, une rédaction s’est engagée sur des objectifs chiffrés, qui feront désormais partie de l’évaluation des managers : 50 % de femmes à un horizon de cinq ans pour l’ensemble des fonctions hiérarchiques et des postes à responsabilité et à forte visibilité (direction de rédaction, rédaction en chef, chefs de service, correspondants, éditorialistes et enquêteurs). Une nouvelle négociation sera menée au premier semestre 2019 pour réduire les écarts de salaires, et des actions complémentaires permettront de développer la présence de nos collaboratrices dans les interventions extérieures (conférences, tables-rondes, autres médias).
Notre Groupe entend bien poursuivre dans cette voie. Un accord de parité du même ordre est aussi en discussion au Parisien. Nous espérons une signature avant l'été prochain.
Nous pourrions sans doute aller plus loin encore, en nous inspirant par exemple de l’expérience du Financial Times, qui a implanté un bot dans son outil rédactionnel pour détecter les articles citant en trop large majorité des hommes et inviter leurs rédacteurs à donner la parole aux expertes – permettant, in fine, d’attirer davantage de lectrices et d’abonnées ! – ou de celle du New York Times, qui a inventé le métier de « gender editor » afin de réfléchir à la manière dont sont traitées les questions de genre et de droits des femmes au sein du journal. À nous en tous cas de faire preuve d’imagination – et, loin des fantasmes, d’apprendre à nous servir intelligemment de l’IA – pour faire progresser encore la cause de l’égalité femmes-hommes.
Ce n’est aussi qu’une première étape sur le chemin de la diversité. Faire des journaux pour tous, c’est être le reflet de tous, quelle que soit leur sexe, leur âge, leur origine ethnique, sociale et culturelle, leur état de santé ou leurs opinions. Sur tous ces volets, notre Groupe entend être à la pointe du combat. L’information ne saurait être représentative de notre société – et par là-même prétendre à la qualité – si ceux qui la font, prennent le pouls du réel, ne le sont pas.
De la même façon, le futur ne saurait s’écrire à travers des algorithmes conçus par une moitié seulement de l’humanité. C’est forts de cette conviction que nous avons conçu l’édition 2019 de Vivatech. Parce que l’événement est devenu leader en Europe et figure dans le top 3 des manifestations mondiales autour des nouvelles technologies, nous avons là aussi un devoir d’exemplarité. 40 % de femmes sont ainsi attendues parmi les speakers et nous organiserons plusieurs conférences dédiées à la question cruciale de leur place dans la tech, ainsi qu’une remise de prix pour offrir au monde des modèles inspirants.
Faire en sorte que le propos révolutionnaire de Platon n’en soit plus un, que sa cité idéale de La République où « la femme participe naturellement à toutes les occupations, l’homme de son côté participe à toutes également » devienne la cité tout court. Où le monde reconnaisse avec Plutarque, parce que « les faits parl[ent] d’eux-mêmes et ne [sont] pas arrangés pour le plaisir de l’oreille », « que l’excellence de l’homme et de la femme sont une seule et même chose ».
Voilà mon rêve.
Nombreux sont encore les efforts à faire, mais j’ai l’impression de ne l’avoir jamais touché d’aussi près.
@LouettePierre