100 milliards d'euros par an, c'est l'ordre de grandeur du coût de la réparation des conséquences de dommages corporels en France
Chargé de préparer, pour un panel de chefs d'entreprise, une présentation de mes travaux de recherches en cours et à venir, j'ai cherché à les convaincre du poids économique du dommage corporel (l'argent versé aux victimes, mais aussi les coûts de transaction et de fonctionnement du système indemnitaire). Si j'avais à l'esprit que la France consacre des ressources importantes à l'indemnisation des victimes, j'ai été surpris des résultats de mes recherches. J'avais sous-évalué dans une large mesure l'importance économique de cette matière que je pratique quotidiennement !
J'ai alors posé une question à mon réseau, pour les inviter à se prononcer sur le coût annuel de la réparation des conséquences des dommages corporels, en France - pour savoir si j'étais seul dans mon erreur ! Voici les résultats du sondage.
Mon erreur était donc largement partagée. La bonne réponse a été plutôt donnée par des personnes travaillant dans le secteur des assurances. Les spécialistes du dommage corporel n'ont, pour la plupart, pas trouvé la bonne solution.
Voici quelques éléments d'évaluation. Il ne s'agit pas d'une étude scientifique, la rigueur économique n'est pas présente (certains chiffres intègrent des provisions sur une année, d'autres ce qui est décaissé sur une année; la manière d'environner les coûts n'est pas la même; les années prises en compte divergent...). En outre, les recours entre payeurs ne sont pas déduits : une même dépense est donc susceptible d'être comptabilisée deux fois. Nombre de dépenses, en contreparties, ne sont pas indiquées (par exemple, les frais d'avocats pris en charge par l'AJ ou les assurances défense-recours). Des actions de prévention peuvent intégrer les comptes. Encore une fois, il ne s'agit que de déterminer un ordre de grandeur.
Les accidents du travail et maladies professionnelles
L'article 3 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 indique, pour 2022, des dépenses pour la branche ATMP de 14,2 milliards d'euros. Il faudrait en déduire les recours contre tiers, évalués à 372 millions d'euros par les comptes de la sécurité sociale (p. 155).
Soit 13,9 milliards d'euros.
Les accidents médicaux et autres interventions de l'ONIAM
Le rapport d'activité de l'ONIAM indique 204 millions d'euros de crédit de payement, dont 179,7 millions d'euros allant aux victimes, tous domaines d'intervention confondus.
Soit 0,2 milliard d'euros.
Le Fonds de garantie
Selon le rapport du Fonds du garantie des victimes, le FGAO comptabilise 444,5 millions d'euros de charges (la moitié en dotation aux provisions techniques), le FGTI 1048 millions.
Soit 1,5 milliards d'euros.
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Le FIVA
Selon son rapport, le FIVA verse aux victimes (hors frais de fonctionnement) 274 millions d'euros.
Soit 0,27 milliard d'euros.
Les assureurs
Les assureurs communiquent sur les prestations versées, non sur les coûts de fonctionnement. Les chiffres clefs de l'assurance indiquent :
En tenant compte que les chiffres ci-dessus ne concernent pas que le dommage corporel, mais que celui-ci peut être réparé également par d'autres branches de l'assurance (maritime...), et que les coûts de fonctionnement devraient être ajoutés, le chiffre de 45 milliards d'euros semble être une approximation acceptable.
Soit 45 milliards d'euros.
Et le reste ? Le coût social du handicap, etc.
Une étude de la sécurité sociale amène des précisions sur le coût du handicap. Le droit du dommage corporel n'est qu'en partie concerné. Si cette étude exclut le vieillissement, elle inclut dans ses chiffres le coût du handicap congénital ou acquis suite à une maladie non imputable. Elle indique néanmoins :
à tout cela, il faut ajouter les dépenses liées au dommage corporel qui ne sont pas prises en compte ici : sommes restant à la charge des victimes (en cas de faute de la victime, de non-recours, ou postes considérés comme irréparables, notamment les frais d'avocat; franchises, plafonds de garantie); les prestations servies par des organismes hors champ des différentes études citées (et notamment les assureurs étrangers), etc. Et ce qui appartient à la sphère publique (les dommages et intérêts versés selon l'application des règles de la responsabilité administrative).
En conclusion
Malgré toutes les lacunes de cette petite étude, qui ne peut prétendre à la rigueur scientifique, il peut néanmoins être affirmé que l'ordre de grandeur du coût de la réparation des conséquences des dommages corporels est de100 milliards d'euros par an. Soit à peu près 4% du PIB. Pour le dire autrement, 4% de la richesse produite en France sert à financer le système de réparation des victimes.
Le propos n'est pas ici de dire que les victimes seraient trop indemnisées; il s'agit simplement de plaider pour une prise de conscience de l'importance économique de la matière "droit du dommage corporel", et pour un surcroît d'effort de recherche. Il semble que les domaines ayant une telle importance économique suscitent ordinairement davantage d'attention.
Avocate diplômée en indemnisation du préjudice corporel
2 ansVoilà une donnée très éclairante sur la trop faible prise en charge des victimes dans notre système.
Sociologue et juriste, avocat (Montpellier), président du Collège de déontologie de l’INSERM. — Directeur de la Qualification en droit de l'expertise médico-légale (QUADEM) — Président du Comité éthique et cancer
2 ansInstructif. Je ne crois pas que cette évaluation ait jamais été faite auparavant. Merci Christophe QUÉZEL-AMBRUNAZ Il serait intéressant d’identifier dans cette masse les coûts du conseil juridique et ceux de l’expertise — probablement dérisoires en comparaison. AFQEM Pierre-Yves CHAPEAU
Président @Indemnisation.com
2 ansMerci pour cette étude très instructive Christophe QUÉZEL-AMBRUNAZ !
Co-fondateur Super Capital
2 ansExcellente étude ! Merci Christophe QUÉZEL-AMBRUNAZ 👏