1850-1960 : Une colonisation douloureuse
Vers 1850, l’Afrique francophone fut colonisée par les troupes de l’empereur français Napoléon III. Cette colonisation se traduisit par une multiplicité de guerres un peu partout sur les territoires. Mais les rapports de force étaient inégaux : la France possédait une technologie armée beaucoup plus sophistiquée. Malgré cette inégalité, de nombreux Africains firent preuve de résistances héroïques, sans économie d’intrépidité.
Ajoutons que, lors de la Conférence de Berlin à la fin du XIXe siècle, les puissances européennes se partagèrent, à la règle, la carte d’Afrique et ses richesses. Sans tenir compte des logiques territoriales historiques, la France découpa ensuite les territoires d’Afrique francophone selon des modalités administratives. Elle organisa le territoire en huit zones. Chacune était gérée par un administrateur colonial, et l’ensemble était commandé par un gouverneur général (basé à Saint-Louis puis à Dakar, au Sénégal).
Pendant ces périodes, ces peuples d’Afrique furent victimes d’une hémorragie démographique abondante. Le sang coula sans relâche. Un peu partout, disettes et famines gangrénèrent la dignité des femmes et des hommes qui tentaient de se battre pour leur liberté. Leurs cultures furent brûlées, les récoltes abandonnées, les réserves alimentaires pillées. L’amour-propre des habitants fut jeté à la rivière de l’indifférence satisfaite, tandis que le mensonge de la « mission civilisatrice » était érigée en vérité martelée.
De l’accumulation des violences sur les corps et les esprits, les révoltes africaines sont nées. Jusqu’en 1920 et même au-delà, les tentatives de résistance des dissidents émergèrent. Ces tentatives furent réprimées par le feu, dans le sang, souvent dans le mensonge : le colon bâtissait des légendes atroces sur ces Africains résistants.
Mais les tragédies font les héros et, durant ces périodes, des personnages se distinguèrent par des actes exceptionnels de résistance. Avec bravoure, ils firent face aux événements et marquèrent l’histoire malgré les campagnes de dénigre- ment successives orchestrées par les colons. Aujourd’hui, ces braves constituent des exemples très positifs pour la jeunesse africaine, ils font partie intégrante de leur identité, à l’instar d’Amicar Cabral ou de Samory Touré.
Dans ce contexte, l’esclavagisme prit de l’ampleur : d’abord système commercial légal, il devint une idéologie : une philosophie à visage sanguinaire dont le vernis extérieur promouvait les valeurs civilisatrices.
Alexis Moréno analyse à ce propos que, à la longue, ce vernis idéologique réussit l’exploit morbide de faire croire partiellement aux colonisés à la justification de leur propre oppression. Ils furent présentés comme des êtres engourdis et travaillés de l’intérieur par les fièvres des coutumes ancestrales, ainsi les Européens se donnèrent un cadre philosophique pour justifier un mercantilisme colonial légal.
À ce titre, des milliers d’Africains furent faits prisonniers par les troupes coloniales. Sur les marchés, ils furent vendus aux officiers prônant les idéaux falsifiés de l’égalité. C’est par la force que certains Africains furent intégrés dans le corps de l’armée et de la police française. Pour protéger le commerce des intérêts étrangers, il fallait bien sécuriser le périmètre des échanges commerciaux. Au lieu de faire venir les forces de sécurité de la métropole, il était plus économe de former et d’enrôler les autochtones sur place. Ainsi, un corps de militaires composé exclusivement d’Africains, les « tirailleurs sénégalais », fut constitué à partir de 1857.
Au prétexte d’une posture humanitaire, des « villages de liberté » furent créés entre 1887 et 1910. C’est dans ces villages que les captifs venaient se réfugier : le colon leur promettait l’obtention d’un certificat de liberté sitôt qu’ils franchiraient les portes de ces antres. Mais ces lieux étaient en fait destinés à servir de réserves en main-d’œuvre au colon(17). Ce n’est qu’à partir de 1905 que ces soi-disant refuges d’esclaves commencèrent à être abolis.
Dans le même temps, les colons installèrent des comptoirs commerciaux. Avec ces comptoirs, ils parvinrent à imposer de nouvelles organisations administratives. Sans tenir compte des us et coutumes locaux, les règles du dominant ne ménageaient aucunement les demandes africaines de disposition spécifique.
Dans la surenchère de la violence politique, celle-ci s’étendit à la question fiscale. Sur ce plan, les colons obligèrent les Africains à payer de lourds impôts. Les plus indigents furent forcés d’effectuer des travaux d’intérêt général. Ainsi, c’est sous le fouet de la contrainte que l’esclave africain a construit des ponts, des routes et des voies ferrées(18). Mais aussi des écoles, des hôpitaux, des routes bitumées et des aérodromes. À ce propos, le sociologue Alexis Moréno s’interroge : est-ce suffisant pour décomplexer le point de vue de certains historiens qui consiste à attribuer un rôle positif à la colonisation ? Des effets structurels positifs bien sûr ! Les faits sont là ! Mais à quel prix ? Au prix du sang et de la bassesse abjecte d’une froide raison européenne sourde aux cris de l’émotion humaine ! Le pays des droits de l’homme s’est fourvoyé dans l’arrogance de sa pureté. La pureté politique est dangereuse et l’histoire le montre. Elle conduit lamentablement dans le mur de la purification.
L’autre figure de la pureté ayant joué un rôle dans la colonisation est la religion catholique. Accompagnés des missionnaires, les colons installèrent des écoles. Avec le principe de l’éducation morale en bandoulière, ces missionnaires obligèrent les chefs africains à y envoyer leurs fils. En signe de résistance, certains chefs présentèrent non pas leurs fils, mais les enfants de leurs propres esclaves. Ces derniers grandirent avec l’idée de se libérer du joug du groupe dominant, ce qui déstabilisa pour longtemps l’ordre social africain.
Aussi l’institutionnalisation de l’école en Afrique fut un échec total. Les enfants désertèrent l’école, leurs parents la jugeaient pernicieuse. Et puis, il est important de rappeler que, jusqu’au milieu des années 1960, le colon apprenait aux petites têtes brunes que leurs ancêtres étaient des Gaulois...
Vers la fin des années 1920, un système ferroviaire fut mis en service sur une partie du territoire de l’Afrique de l’Ouest. Les réseaux routiers se développèrent progressivement. À partir de 1930, des camions en nombres limités pouvaient atteindre presque toutes les régions du continent. Par contre, le territoire militaire(19) nigérien fut longtemps négligé sur les plans de l’emploi, des équipements et de l’école(20). Ainsi, on peut noter qu’en 1960, la jeunesse nigérienne éduquée représentait à peine 5 % de la population(21).
Il faudra attendre 1946 pour que le travail forcé en Afrique soit supprimé par Félix Houphouët-Boigny. Ce ministre français d’origine ivoirienne deviendra plus tard le premier président de la Côte d’Ivoire.
Durant les deux guerres mondiales, des milliers d’Africains furent enrôlés de force pour défendre les intérêts français. En première ligne, ces courageux furent les premiers fauchés par les tirs allemands. Entre 1914 et 1918, deux cent mille tirailleurs sénégalais se battirent dans les rangs français. Entre 1939 et 1945, près de cent quarante mille Africains rejoignirent les troupes militaires de l’Hexagone.
Un tiers d’entre eux mourront. Un grand nombre seront blessés ou resteront invalides ou traumatisés. Ce n’est qu’au début des années 1960 que ce corps militaire fut dissout.
Clés pour la communication
Les périodes de l’esclavage et de la colonisation constituent des séquences historiques douloureuses. Elles continuent d’alimenter les ressentiments et les préoccupations actuelles des africains. Ces crimes contre l’humanité possèdent un caractère sociologique incontournable. Ils alimentent encore les conversations des gens. Ils participent à la construction de leurs opinions.
Il faut comprendre que c’est sans considération pour la culture africaine que les Européens ont tenté d’imposer leur vision du monde. La vision sahélienne était, pour eux, dépourvue de toute signification(22). Le mépris dynamisait la relation entre le fort et le faible. Selon le psychiatre Frantz Fanon : « Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, aux pullulements, aux grouillements, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire(23). »
Mordant, cet intellectuel engagé rajoute : « Avec la colonisation, la première chose que l’indigène a appris, c’est de rester à sa place, à ne pas dépasser les limites ; c’est pourquoi les rêves de l’indigène sont des rêves musculaires, des rêves d’action, des rêves agressifs. Je rêve que je saute, que je nage, que je cours, que je grimpe. Je rêve que j’éclate de rire, que je franchis le fleuve d’une enjambée, que je suis poursuivi par une meute de voitures qui ne me rattrapent jamais. Pendant la colonisation, le colonisé n’arrête pas de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin. Cette agressivité sédimentée dans ses muscles, le colonisé va d’abord la manifester contre les siens. C’est la période où les Nègres se bouffent entre eux et où les policiers, les juges d’instruction ne savent plus où donner de la tête devant l’étonnante criminalité nord-africaine(24). »
Le sociologue Alexis Moréno explique que cet édifiant passage d’obédience freudo-marxiste nous enseigne les mécanismes et les effets de la violence politique. Avant d’être une violence physique, celle-ci est une violence psychique produite par le côté obscur de la communication politique des colons. Celle-ci a fortement déterminé les horizons conceptuels autant que les identités cassées des Africains à partir desquelles on peut comprendre aujourd’hui l’origine de « l’afro-pessimisme ». C’est-à-dire ce sentiment de fata- lité et de manque de confiance des peuples dans l’avenir et dans leurs propres capacités.
D’après l’écrivaine camerounaise Werewere Liking, les enfants de cette histoire continuent de se voir comme les personnages d’un drame(25). Ils restent déchirés entre la soumission aux normes ancestrales et les valeurs occidentales. Cette « blessure irradiante » de la colonisation, comme la nomme le poète Aimé Césaire, inscrit les Africains dans un processus complexe. Elle participe à la construction d’une mémoire commune. Rien ne saurait effacer les drames vécus durant cette période. Souffrant de discriminations raciales et sociales, les Africains identifient une même origine à leur souffrance : l’esclavage et la colonisation.
Pour les besoins de la communication, ces traumatismes peuvent être évoqués dans une publicité, en première phase d’un scénario, pour attirer l’Attention du public (AIDAR). Ils peuvent être mis en scène avec pudeur et retenue, servant ainsi à faire passer un message fort et vecteur de change- ment. La période de la colonisation reste un symbole puissant mais traumatisant pour de très nombreuses personnes. Et, quoi qu’en disent les altermondialistes, cette période est révolue. Il faut également retenir que la plupart des expériences en neurobiologie tendent à prouver que les mauvaises nouvelles impactent très rapidement les cerveaux humains(26). En moyenne, le cerveau réagit cinq fois plus vite face au danger que face au plaisir(27). Dans le cortex d’un hominidé, le négatif l’emporte naturellement sur le positif. Cette propension relèverait de l’instinct de protection, de survie. En développement personnel, certaines écoles(28) soutiennent que l’on peut apprendre à penser autrement. Par exemple, pour contrebalancer ces tendances obscures du cerveau, on recommande à l’individu de pratiquer la méditation, de s’entraîner à ressentir la compassion. On crée des autoroutes de la transmission entre les deux hémisphères habitants du crâne.
En communication, on peut instrumentaliser cette attraction naturelle pour le danger. Pour être bref : on attire l’attention de nos cibles. On peut évoquer ces traumatismes tout en les enveloppant d’ambiances à la saveur méditative ou empathique. Retenons tout de même qu’il est intéressant de s’appuyer sur ces douloureux symboles uniquement parce que l’on peut très vite les contrebalancer avec de puissants symboles positifs.
Parmi ces symboles positifs, on peut retenir que de nombreux Africains valeureux et téméraires ont marqué l’histoire. Ces femmes et ces hommes qui participent à amplifier l’auto-estime des Africains constituent autant de références pour la communication. Et ce, au-delà des frontières du temps et du continent : de Samory Touré à Obama, de Luther King à Mandela, de Oumar Tall à Sankara... Les héros d’hier ou d’aujourd’hui ont le soutien des populations. La notoriété des qualités physiques et intellectuelles de ces « demi-dieux » participent à donner une légitimité et une image de marque aux instances et aux choses de la communication. En appuyant nos messages sur les personnalités ou les totems de ces héros, on participe à amplifier la fierté africaine. On participe au changement.
En enchaînant sur ces personnages ou les valeurs qu’ils véhiculent, on suscite l’Intérêt du public, voir même son Désir.
Que l’on souhaite faire la promotion d’une marchandise ou d’un personnage public, il est possible de concevoir les messages de la communication sur la base des actes accomplis par tous ces Africains entrés dans l’histoire. En se montrant créatif, il s’agit de conceptualiser des similitudes entre l’histoire africaine et les choses ou les idées à vendre. Ainsi, en associant les hauts faits de l’histoire dans les messages, nous créons les conditions d’un transfert de prestige du passé vers le présent.
En communication, on peut influencer l’imaginaire de notre public, on peut participer à embellir son théâtre mental. Car, dans une publicité, on peut tout imaginer : l’humain déployant ses plus belles capacités, l’Afrique se développant à très grande vitesse, la confiance et la bienveillance s’installant entre membres de différents groupes... Ou encore, on peut imager ces émotions avec des chaînes qui se brisent, des oiseaux qui s’envolent, des lionnes qui partagent... Autant de situations agréables et familières pour nos publics. Pour la communication du développe- ment, il est intéressant de mobiliser les cartes symboliques de la fierté africaine.
Pour finir, retenons qu’en publicité, il devient possible d’imaginer des scénarios qui renverseraient le cours de l’histoire. Souvenons-nous par exemple du film Africa paradis(29) : dans cette œuvre se déroulant en 2033, la prospérité africaine contraste violemment avec la pauvreté et le chômage en Europe. Avec l’émergence de la mondialisation en Afrique et le déclin économique actuel de l’Europe, ce scénario nous montre qu’il est possible qu’un autre avenir se dessine pour l’Afrique.
Se développer, c’est changer vers le mieux, c’est s’adapter aux mutations des sociétés. Ceci, tout en cultivant pleinement sa belle identité.
Étudiant à bamako
6 ansOui le débat est lancé
Merci pour cette histoire. L'histoire d'une civilisation bafoué, piétiné. L'histoire d'une Afrique qui recherche le respect et la reconnaissance des crimes qu'elle à subit (A l'image de ces autres peuples qui aujourd'hui reçoivent même des indemnisations)
##Mais les tragédies font les héros et, durant ces périodes, des personnages se distinguèrent par des actes exceptionnels de résistance. Avec bravoure, ils firent face aux événements et marquèrent l’histoire malgré les campagnes de dénigre- ment successives orchestrées par les colons. ### Aujourd'hui, l'Afrique cherche et pleur ses heros là que le colon à choisi d'effacer de l'histoire.
###Leurs cultures furent brûlées, les récoltes abandonnées, les réserves alimentaires pillées. L’amour-propre des habitants fut jeté à la rivière de l’indifférence satisfaite, tandis que le mensonge de la « mission civilisatrice » était érigée en vérité martelée.### Et certains, comme pour faire l'autruche, se demandent pourquoi nos pays, nos civilisations... sont dans cet État
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6 ans11 avril 1946: suppression du travail forcé en Afrique francophone. - http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=1047