20 ans d’expérience mais surtout 
20 ans de rencontres humaines enrichissantes

20 ans d’expérience mais surtout 20 ans de rencontres humaines enrichissantes

Dans mon article précédent, j’expliquais à quel point il était important pour moi de transmettre et de tenter de guider lorsqu’ils le demandent, les jeunes qui arrivent dans ce monde de la mode que j’explore depuis 20 ans. Ce faisant, bien évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher de jeter un regard dans le rétroviseur sur les personnes qui m’ont marqué et m’ont permis de trouver ma place dans ce monde qui peut être déroutant.

Mentors. Guides. Inspirations

Au rang des créateurs, je ne peux que penser à Mr Alaïa que j’ai eu la chance de suivre dès 2002 et ce jusqu’à ce qu’il nous quitte.

Novice dans ce métier je ne mesurais probablement pas la chance que j’avais de côtoyer ce génie absolu. Il travaillait en famille et rentrer chez Mr Alaïa c’était un peu comme rentrer en religion.

Il y avait dans son équipe un esprit rare de recherche, de bonne humeur et de travail.

Tous les jours, inlassablement, sans se prendre au sérieux.

Mon amie et collaboratrice Annflor Sangan est arrivée dans son studio quasiment au début de mon aventure de tanneur. Aujourd’hui encore, nous nous sentons orphelins de ce créateur.

Pourquoi lui ?

Car il était CURIEUX… Inlassablement. Curieux de mode. Curieux de matières. Mais surtout et avant tout Curieux des gens et leur témoignait un intérêt profond et réel…

Moi qui n’y connaissais rien à la mode, je n’avais pas hésité à le lui dire du haut de la naïveté que l’on a forcément lorsque l’on a la vie devant soi.

D’aucun ne m’aurait prêté aucune attention voir rejeté.

M. Alaïa lui, m’a invité à un voyage incroyable dans le monde de la haute couture.

Il me mit ainsi au défi un jour de trouver la couture d’une veste prototype sur laquelle il travaillait.

Après m’avoir laissé 30 minutes dans une pièce seul avec cette veste, il est revenu constaté mon échec, et il prît le temps de me montrer. Il prît le temps de me transmettre non seulement le virus de mon métier, mais aussi l’amour de la patience et du travail bien fait.

Il m’apprît également que l’on peut se tromper, l’important étant de savoir apprendre, se corriger, réparer et avancer.

Lorsque je le livrais mal (ce qui forcément arrive parfois dans le travail du cuir), il était capable de colère homérique. Mais derrière cette colère se cachait toujours un large sourire.

Un sourire accompagné de bienveillance, car il savait que j’avais appris, que j’allais refaire, recommencer pour tenter d’atteindre et satisfaire son exigence.

C’est pourquoi la transmission me tient tellement à cœur vis-à-vis des novices.

Car Mr Alaïa m’a fait comprendre que le secret de la longévité dans notre métier c’est de rester curieux, cette curiosité c’est le souffle de vie qui amène à se confronter, à explorer et essayer…

L’échec n’est que la préparation au succès de demain car c’est le chemin qui compte…

Le temps comme ingrédient

Dans un autre style et un autre domaine (la chaussure), j’ai également bénéficié de la passion de Mr Massaro.

Lui et Mr Alaïa travaillaient de concert.

Ils partageaient ce même regard amusé sur le monde, et cette même capacité à expliquer en rendant tangible leurs arts grâce à des anecdotes de vie…

Mr Massaro me présenta sa collection de formes et me montra combien les pieds de ses clientes prestigieuses avait évolué dans le temps. Il me montrait les fêlures du temps qui passe et comment il avait chaussé ses pieds, comment il avait trouvé des astuces pour composer et soulager.

Lui aussi m’apprît qu’aucun défi n’est insurmontable en termes de fabrication. Il faut juste laisser le temps au temps pour essayer, se tromper et recommencer avant de trouver.

C’est pourquoi ma rencontre avec David Rosenblum de l’atelier ABR Paris il y a une dizaine d’années a renforcé mon amour pour mon métier.

M’initiant à d’autres domaines que les vêtements, les accessoires et la chaussure, il m’a initié à l'artisanat d’art.

Il m’a appris combien tout part d’un dessin, d’une envie, d’une vision pour la rendre intemporelle par l’objet créé.

Le tout en travaillant une de nos matières ancestrales, si complexe et si mystérieuse : le parchemin. David, ayant tel un chat vécu tant de vies, a repris le flambeau de l’atelier de son papa, qui a tout connu, de la création de l’après-guerre jusqu’aux années 80.

Finalement, parler avec un maître d’art c’est aussi se confronter au passé pour voir l’avenir… car combien de réalisations réussies par hasard, par chance et de manière empirique ?

Le questionnement du Candide

Prendre confiance, développer le goût de l’expérimentation.

C’est aussi l’histoire de ma tannerie BODIN-JOYEUX et de celui qui m’a donné ma chance : Mr Frédéric Bodin.

Il a su voir quelque chose que je ne soupçonnais pas chez moi….

D’ailleurs j’aime souvent évoquer dans mes présentations et mes échanges avec les différents publics que je suis amené à rencontrer, ce novice qui un jour demanda comment le cuir était mis en rouleau, car dans sa tête il s’agissait d’un tissu comme un autre.

Souvent les gens sourient à l’évocation de ce jeune sot, qu’ils imaginent forcément inadapté à ce métier…

Ne pas comprendre spontanément qu’un cuir est forcément lié à la peau de l’animal ne laisse pas présager un grand succès dans mon métier.

J’aime évoquer ce débutant car sa naïveté avait deux qualités : l’authenticité et la curiosité.

Vous l’avez peut-être compris mais c’était moi lors de mon tout premier entretien d’embauche quand Mr Bodin me demanda si j’avais des questions sur ce travail…

La vie est parfois surprenante….

Et sans travail, le talent ne permet rien.

Et surtout pas de promouvoir pendant 20 ans, ce « tissu » comme un autre.

Alors comme toujours, échangeons, soyons curieux mais soyons pragmatiques et tolérants…

On a le droit de ne pas savoir, mais l’important c’est d’oser demander et avoir soif d’écouter et essayer de comprendre.

Je suis fort non pas de vingt ans d’expérience, mais de vingt ans de rencontres avec des passionné(e)s qui continuent à m’inspirer et me montrer la voie, qu’ils soient encore parmi nous ou déjà partis…

#cuir #leather #mode #fashion #artisantdart #madeinfrance #abrparis #tannerie #tannery

Stéphanie Bui

Journaliste indépendante : savoir-faire, métiers, tourisme, régions, lifestyle +10 ans dans l'industrie de la mode | Création de contenu métiers, industrie, tourisme. | Consultante en communication institutionnelle

3 ans

Quel bel article inspiré et inspirant ! Merci Thomas pour cette invitation - j'oserais même écrire méditation -  à apprécier l'essentiel qui ne se dévoile pas d'emblée, à chérir les inspirations et les enseignements récus, et enfin à les transmettre. Avec toute mon admiration pour ce vingtième anniversaire !

Priscilla Ivry Miseria

Accompagnement, orientation, transition pro, formation

3 ans

Bravo Thomas pour ce beau texte ce sens du  partage et ta bienveillance. 

Charlotte MOTTA

Gerante et manager chez Atelier Beauté

3 ans

Bravo

Christelle Colace

À la recherche d’un stage en design graphique print ou web

3 ans

Un bel article qui retrace aussi un peu mon histoire. La vie est faite de rencontres et de bonnes surprises ! Gardons cela en tête en ces temps pour le moins difficiles ! Merci pour votre optimisme !

Emmanuel FOURAULT

Co-founder & Sales Manager @ICTYOS Marine Leathers Tannery | FORBES 30 under 30 Europe

3 ans

Très belle rétrospective de ton parcours et de ta vision (très inspirante) de notre métier 👏

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