3- Installation des Moose sur le plateau voltaïque de Naba Ouedraogo à  Naba Soarba (1435 à 1540 environ)

3- Installation des Moose sur le plateau voltaïque de Naba Ouedraogo à Naba Soarba (1435 à 1540 environ)

L’installation des Moose se fait sous la forme d’une prise de contrôle des communautés d’agriculteurs déjà installées, agriculteurs  indifféremment qualifiés de Nyonyose (contre qui la princesse Yennenga menait déjà les guerres pour le compte de son père le roi de Gambaga). Pour autant le terme de nyonyoga/nyonyose n’étant pas utilisé en dehors de la langue moore, on n’est pas certain que ces agriculteurs ne soient pas eux-mêmes des Moose.

Comment se fait cette prise de contrôle ?

Elle prend plusieurs formes si l’on en croit les récits des griots du Mogho Naba :

-          D’après les griots du Mogho Naba, les chefs Nyonyose de la région de l’Oubritenga demandèrent à Zoungrana de leur « remettre un fils capable de les diriger et de les défendre contre les attaques de leurs voisins de Kaya quand il serait adulte ». Ils lui envoyèrent aussi Pougtoenga, une jeune fille qu’ils lui firent rencontrer par magie et dont est né Oubri, successeur de Zoungrana et fondateur du royaume d’Oubritenga.

Ainsi donc, une tradition fait de cette installation la conséquence d’accords conclus entre agriculteurs nyonyose et cavaliers-guerriers dagomse.

 

-          Cependant, les griots disent aussi qu’Oubri instaura les cicatrices moose, celles-ci ayant pour but de permettre la reconnaissance de ses sujets afin que « nul ne les réduise en esclavage, ne les vende ou ne les tue sauf en conséquence d’un jugement régulier ». De cela il semble que l’installation ait bien pris la forme d’une conquête guerrière pour forcer à la soumission de ces agriculteurs, dont ces cicatrices traditionnelles seraient la marque.

Il s’agit d’une interprétation, puisque par exemple les Mossah du nord Cameroun portent les mêmes cicatrices, alors que les deux groupes se sont séparés au début du XIIIe siècle. Cependant cette interprétation laisse assez clairement sous-entendre que les villages nyonyose sont « par défaut » des terres de razzia et de pillage.

 

A qui vont ces cantons qui entrent dans la sphère du royaume ?

Il est intéressant de noter le rappel qui est fait par les griots du lien entre chefs de villages et  Mogho Naaba. Cette précision laisse penser qu’il y a dans l’attribution des villages à des membres de la famille une logique assez proche de la logique de l’apanage : il est attribué aux frères du Mogho Naaba ou à ses fils « non-régnants » une population vivant sur une terre définie (pas la terre elle-même) pour les consoler du trône, ou pour garantir leur fidélité au nouveau roi (avec des succès hasardeux).

Cependant contrairement à l’usage français de la royauté, le droit d’aînesse n’est pas le seul entrant en ligne de compte pour déterminer la succession, comme le montrent plusieurs anecdotes rappelées par la tradition orale des griots (qu’on pourrait appeler discours officiel ou politique ou moral de la royauté moagha :

-          Rawa, le fils aîné de Naaba Ouedraogo, ne monte pas sur le trône puisqu’il part fonder le Rawatenga (dans le Yatenga actuel), c’est le second fils Zoungrana qui y monte

-          Bilgo, le fils aîné de Naaba Oubri refuse la royauté et demande en échange la permission de devenir Naaba de Dilogo (dans le sud) ;

-          Plus tard, le fils aîné de Naaba Zoetre Bousma est écarté du trône « car il a la peau rougeâtre » mais il reçoit en échange la chefferie de Dilougou (le nom est très proche de Dilogo) et prend le nom de Zabi « en raison d’un adage qui dit : nug tar kon zabé (celui qui a du bien ne fait pas la guerre) qu’il aurait prononcé en recevant cette chefferie. Une autre version avance le fait qu’il était borgne.

-          Naaba Gningnemdo, fils aîné de Naaba Soarba ne fut nommé « Mogho Naaba  qu’avec beaucoup de réticence » car il était fils de Soarba et d’une de ses filles donc né d’un  inceste.

Ainsi donc, il semble qu’un conseil choisit le Mogho Naaba parmi les enfants du Naaba en exercice.


L'arbre à palabres (banian ou baobab selon les régions), l'agora du sahel, symbole d'une culture de délibération et de dialogue

Il peut d’ailleurs arriver que ce soit un frère qui succède à un frère comme ce fut le cas pour Naasbiré qui succéda à Naskiemdé. Celui-ci avait pourtant d’après la tradition au moins un enfant auquel il a laissé la chefferie de Louda (Boussouma) qu’il avait lui-même fondée du vivant d’Oubri.

Pourquoi la terre est-elle ainsi attribuée ?

Ce n’est pas la terre qui est attribuée aux chefs de guerre (nakomsé) mais les gens qui la peuplent. La « seigneurie » de la terre reste aux tega soba nemba, anciens chefs des communautés villageoises. Cette ancienne structure sociale ne disparaît pas mais subsiste et se superpose à la structure guerrière des nakomsé. Dans des régions et à des époques où l’argent ne circule pas en abondance, l’entretien des guerriers, des chevaux et de leur armement passe par une assise foncière. Cependant, les guerriers n’étant pas gens d’agriculture, ils sont simplement entretenus par les communautés villageoises, un peu comme les chefs francs et leurs gardes étaient entretenus par les communautés gallo-romaines qui groupées autour des évêques restèrent la structure administrative et économique des royaumes francs.

Pour Dominique Zahan et d’autres historiens se pose d’ailleurs la question de savoir s’il s’agit d’une « invasion » impliquant des ethnies différentes ou d’une mutation sociale ayant touché la société moagha.

Une autre motivation est sans doute d’assurer la défense de ces terres contre les razzias de leurs voisins. Ainsi par exemple lorsque les Nyonyose de la région de Ouagadougou demandent la protection de Zoungrana contre leurs voisins. C’est dans ce cadre qu’Oubri devient plus tard le Mogho Naaba de l’Oubritenga. Mais c’est peut-être aussi dans ce cadre que Zoungrana nomme ses oncles à des chefferies de cette région.

Ceci aurait le mérite d’expliquer l’apparente contradiction qu’il y a entre des chefferies dans le centre-ouest du Burkina Faso remontant à Ouedraogo à un moment où ce dernier règne sur la région sise entre Tenkodogo et le Ghana. Leurs chefs descendent de Ouedraogo, mais il est fort possible que ces chefferies aient été créées à l’époque de son fils Zoungrana.

Cependant, le but de ces inféodations est aussi d’entretenir les gens d’armes des nakomsé, d’enrichir ces derniers et de les fidéliser à la personne du Mogho Naaba. Pour autant l’hérédité de ces seigneuries produit les mêmes effets que dans les royaumes mérovingiens ou dans l’empire carolingien : une tendance à un morcellement que seul peut contrarier un effort constant du roi.

Ainsi dès cette époque, Rawa, mais aussi Ouamentango ou Rimso fondent des royaumes indépendants du royaume de Tenkodogo, puis de l’Oubritenga.



Louis-Xavier BABIN-LACHAUD

Artisan des mots - Analyse de manuscrits - Diagnostic littéraire - Relecture rigoureuse et bienveillante - Prête-plume

5 mois

Merci pour la mention, Pierre GUERET.

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