3 raisons de l'échec des modes en management (et quelques pistes de solution)
En management, les modes se succèdent années après année : un concept apparait et de nombreuses entreprises se jettent dessus en pensant que c’est la chose à faire, la plupart du temps juste parce que les autres le font. Déjà, le simple fait que ces modes existent n’est pas très bon signe (pourquoi changer si souvent quand quelque chose marche ?).
Pour prendre juste l’exemple du management de la performance, nous avons eu droit au « forced ranking » (où les salariés sont classés les uns par rapport aux autres selon une loi normale – illégal en France), puis dernièrement nous avons appris qu’il fallait supprimer les ratings de performance et maintenant c’est l’entretien annuel qu’il faudrait supprimer au profit de feedbacks permanents. Pourquoi pas… Jusqu’à ce qu’on nous dise dans quelques années, qu’en fait, l’entretien annuel ce n’était pas si mal parce que, figurez-vous, les managers ne donnent pas plus de feedbacks qu’avant et qu’on a donc remplacé quelque chose par… rien.
Si ces modes se suivent, c’est parce qu’en général elles ne fonctionnent pas. Et ce pour 3 raisons :
Elles ne reposent sur aucune validation scientifique mais sur des fictions sur les salariés
Quasiment aucune étude scientifique d’efficacité n’est menée dans les entreprises (nous avons tenté d’apporter notre modeste contribution avec S. Bernard-Curie et J.L Monestes - Lien). Certes c’est difficile, notamment pour trouver un groupe contrôle par rapport auquel mesurer l’efficacité, mais nous n’avons, en général, au mieux, que des études de cas (type Harvard Business Review), la plupart du temps écrites par les instigateurs de la mesure eux-mêmes (comme ça on est bien sûr de l’objectivité).
Faute de validation, les nouvelles idées en management sont donc le plus souvent élaborées à partir de l’idée qu’on se fait de leur impact sur le comportement organisationnel. Hélas, ces idées finissent souvent par devenir des prophéties auto-réalisatrices :
- Si vous mettez en place des systèmes de récompenses individuelles parce que vous pensez que les humains ne marchent qu’à la compétition, ils vont finir par se comporter de façon individualiste et compétitive (vous vouliez davantage de collaboration ? Dommage…).
- Vous pensez que les salariés ne sont intéressés que par l’argent. Si vous avez taylorisé leur travail de sorte qu’il ne présente plus aucun intérêt, en effet, l’argent est tout ce qu’il reste…
- Vous pensez que les salariés sont des tire-au-flanc qui lèvent le pied dès que vous avez le dos tourné et vous mettez donc en place des contrôles partout. Alors oui, il y a des chances qu’ils fassent en sorte de retrouver un peu de liberté en tentant d’y échapper.
Elles sont appliquées sans tenir compte du contexte
Une idée n’est bonne que si elle est adaptée au contexte spécifique et aux objectifs visés. C’est pourquoi ce qui peut être une bonne idée dans une entreprise peut être une mauvaise dans une autre. Prenons l’exemple des politiques de « High potentials » :
- Si votre entreprise repose sur quelques stars uniquement (un styliste par exemple dans une entreprise de mode), alors ce type de politique peut avoir du sens parce que sans elles, votre activité se trouve à risque.
- Mais si vous êtes dans un cabinet de conseil, par exemple, où tous vos consultants sortent des mêmes écoles et font à peu près le même type de travail, et qui se comparent donc entre eux, vous risquez de démotiver vos troupes en vous focalisant uniquement sur quelques « high pot », alors même que vous avez besoin de tous-tes pour faire tourner votre business.
De la même manière, si vous êtes dans une culture où le feedback régulier est très présent, peut-être que l’entretien annuel est une perte de temps (c’est aussi un peu une obligation légale en France…). Mais dans le cas contraire, en limitant les entretiens formels, vous aurez juste diminué les moments d’échange.
Elles ne sont pas intégrées dans l’ensemble des autres processus RH
C’est ce qu’on a vu fleurir avec les mesures sur le stress ou encore la bienveillance. Mettre une salle de détente, une conciergerie ou promulguer une journée de la bienveillance ne sert à rien si tous les autres processus à l’œuvre vont à l’opposé. C’est plus facile à faire que de revoir ses politiques de ressources humaines ou l’organisation du travail, ça fait bien, mais c’est totalement inutile sans cela. Même chose pour les journées sans email, ou la déconnexion des serveurs le weekend : le problème sous-jacent restant le même (trop de mails ou trop de travail), cela déplace juste le temps d’email à un autre moment et c’est du travail « déconnecté » qui est mis à la place sur les temps de repos.
Au final, ce sont 4 critères qu’il faut prendre en compte pour s’en sortir :
- Etre au clair sur les valeurs et objectifs : ce qu’on sait par la théorie de l’auto-détermination, c’est que les humains veulent de la contribution (être utiles), de l’autonomie (être libres) et de la connexion (être en lien). Cela veut dire que ce qui fonctionne le mieux, c’est ce qui simplifie la tâche des salariés (le besoin de contribuer fait qu’ils sont pour une immense majorité efficaces et motivés quand on ne leur met pas des bâtons dans les roues), favorise l’entraide et la bienveillance (le besoin de connexion est plus fort que le besoin de compétition si on ne fait pas pencher la balance dans le mauvais sens) et laisse davantage la main à ceux qui connaissent leur travail plutôt que de décider pour eux (besoin d’autonomie)
- Adapter ses politiques RH au contexte spécifique : ce qui veut dire avoir identifié les variables opérationnelles qui vont favoriser ou, au contraire, faire échouer telle ou telle mesure, et ne pas chercher à faire la même chose partout.
- Assurer la cohérence entre les politiques : de sorte que tout (organisation, KPIs, reconnaissance…) aille dans les mêmes directions. Au final, c’est ce qui est encouragé, observé et récompensé qui a du poids. Le reste n’est que bavardage et incantation.
- Garder les yeux ouverts : l’expérience est le meilleur remède aux idées idiotes qui se trouvent dans nos têtes. Quand une initiative ne fonctionne pas, c’est nous qui avons tort, pas la réalité qui n’a rien compris…
Au final, ces modes correspondent souvent à de vrais enjeux et préoccupations. Elles peuvent même être de bonnes idées. Mais pas toujours, et surtout pas partout. Donc gardons un œil ouvert avant de foncer tête baissée.
Office Manager @quitoque
7 ansTrès intéressant, comme toujours.
Partner at KPMG Advisory France
7 ansPertinent, concret, utile, et drôle : comme toujours ! Merci Christophe !
Retired KPMG Partner
7 ansParfaitement juste. Vivons Le temps présent et faisons en sorte de ne pas singer pour singer