4ème crise de la mondialisation : Quel bilan, quel après (Réflexion au 24ème jour de confinement). « Histoire d’impasses, histoire d’en rire ? »
4ème crise de la mondialisation : Quel bilan, quel après (Réflexion au 24ème jour de confinement).
« Histoire d’impasses, histoire d’en rire ? »
Cela prêterait à sourire si ce n’était aussi grave. Les situations sont souvent très complexes et nous exposent à des impasses avec lesquelles nous composons. Parfois nous nous en écartons, parfois nous les empruntons. Toutefois, il ne viendrait à personne l’idée d’en créer davantage alors que les circonstances s’en charge déjà, sauf à y chercher un possible repli ou à poser une stratégie paradoxale. Alors je m’interroge. Comment expliquer, face à cette crise majeure et complexe du Covid19, que notre gouvernement gâche son énergie et notre temps à manœuvrer pour sortir des impasses qu’il s’impose ?
Qu’est-ce qu’une impasse ? (Illustrations inspirées du Petit Larousse) : Plusieurs illustrations peuvent en être donnée. On pense par exemple à "faire l’impasse", lorsqu’on néglige d’étudier une des matières d’un examen en espérant être interrogé sur celles qui nous sont davantage favorables. L’impasse peut également illustrer une situation ne présentant pas d’issue favorable comme lorsqu’on se retrouve face à une difficulté qui ne trouve pas de solution satisfaisante pour être dépassée. On pense enfin à une voie sans issue, une voie qui, si elle peut permettre le stationnement automobile, oblige systématiquement au demi-tour ou à la marche arrière. Dans tous les cas, et même lorsque l’impasse est pensée comme un refuge, l’impasse est soit un pari, soit un dilemme, soit un cul de sac. Les impasses peuvent s’imposer à nous par les circonstances, faire l’objet de stratégies ou bien résulter de maladresses. Mais toujours, elles obligent à des manœuvres, représentent un risque, créent de l’incertitude, génèrent tensions et conflits.
« Vous me suivez ? » Prenons un exemple pour illustrer le propos : Vous devez prendre un avion à l’aéroport Paris Charles de Gaulle. Un taxi vient vous chercher à votre domicile tôt le matin. Vous êtes installé dans le véhicule et vous commencez à vous projeter dans votre journée, une journée importante pour vous et votre entreprise. Malheureusement le chauffeur se perd dans votre quartier, entre dans une impasse que vous ne connaissiez pas vous-même. Après une centaine de mètre, il doit rebrousser chemin. Puis, à cause de son GPS, s’égare à nouveau dans une voie coupée par des travaux pourtant matérialisés à l’intersection précédente. Il ne fait aucun doute à ce moment, surtout si le temps vous est compté, que vous serez inquiet, impatient voire agacé devant l’incertitude de réussir ou non à prendre votre avion à l’heure convenue. Votre confiance quant à la capacité du chauffeur à vous amener à temps s’étiole, comme la confiance en vous pour l’organisation de votre voyage décidée à la hâte l’avant-veille. Le stress vous gagne, vous êtes en sueur. Ce début de journée vous a déjà épuisé. La journée risque d’être pénible. Alors bien sûr, vous n’avez pas polémiqué, vous n’avez pas blâmé le chauffeur. Vous n’avez pas mis en cause ses compétences ni-même son efficacité. Non pas par indifférence ou résignation, non ! ce n’était tout simplement pas le moment, tout affairé qu’il était à rattraper le temps perdu pour bien faire. Ce qui est certain en revanche, c’est que vous vous êtes promis de ne plus jamais faire appel à lui, que ce soit pour les trajets personnels ou professionnels. Cela vous a servi de leçon.
Sans intention de polémiquer - mais par nécessité d’exercer l’esprit critique et pour tenter de répondre à la question posée - je retiendrai ici quelques exemples d’impasses que le gouvernement s’est imposées depuis plusieurs semaines et quelques-unes que je pressens déjà, tellement la reproduction quasi mécanique de ce processus semble parfaitement ancrée.
· Impasses dogmatiques : Au début de la pandémie, des voix s’élevaient pour réclamer un contrôle aux frontières. Ce n’était pas une proposition originale ni même incohérente, d’autres pays avaient en effet pris de telles dispositions. Ce n’était tout simplement pas "Européen Correct". On nous expliquait alors que le virus n’avait pas de passeport… Tout le monde pressentait pourtant que si le virus n’avait effectivement pas de passeport il avait cependant un vecteur essentiel : Le voyageur. Le gouvernement en rejeta l’idée, comprise comme un entrisme nationaliste et populiste nauséabond. La bien-pensance ne s’embarrasse pas de l’analyse, ni le dogmatisme ne s’embarrasse de pragmatisme, de logique et de bon sens. Pourtant quelques jours plus tard, marche arrière ou demi-tour... Fini le populisme. Les frontières européennes ont été fermées puis vint le tour des frontières nationales. Depuis, l’Europe a montré son inconséquence dans la gestion technique de la crise et dans la solidarité intra-communautaire. Notre président invoque à présent la nécessaire reconquête de souveraineté. Les frontières ont été réduites pour chacun d’entre nous aux limites de nos habitations respectives. Cela s’appelle le confinement.
· Impasse de communication : Vous vous rappelez surement ? Les masques et les tests étaient inutiles de l’avis des experts. Les masques devaient être dédiés aux seuls personnels soignants, les tests aux seuls malades manifestant des symptômes avancés de la maladie. La porte-parole du gouvernement nous expliqua alors que la pose d’un masque chirurgical pouvait être dangereuse et relevait d’une compétence médicale, elle-même ne sachant pas le mettre. Puis, nous entendîmes les personnels soignants s’inquiéter du manque de moyens, les policiers sommés de donner leurs protections à ces derniers, les EHPAD démunis, les personnels et salariés exposés. Et nous comprimes que les masques et les tests étaient d’autant plus inutiles que nous n’en avions pas en stock suffisant. Nous comprîmes également que la 6èmepuissance économique mondiale ne pouvait pas protéger sa population, non pas parce qu’elle n’en avait pas les moyens, mais parce que la politique est depuis trop longtemps subordonnée à l’économie et à la finance au point même que le mot politique a perdu de son sens. On nous explique depuis que la communication des débuts visait à ne pas inquiéter l’opinion. Mais qu’est-ce qui a été le plus inquiétant, la vérité ou le chemin pour y parvenir ? Puis enfin le gouvernement resserra sa communication à travers ce qu’on appelle aujourd’hui « le parler vrai », « la nécessaire transparence », des vertus redécouvertes ou plus vraisemblablement instrumentalisées. Des commandes ont été signées, des usines réaffectées. La recherche a été mobilisée pour développer des tests sérologiques. Aujourd’hui, et alors que les moyens ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux, le conseil scientifique et nos dirigeants incitent les habitants à produire par eux-mêmes des masques alternatifs en tissu dans la perspective de rendre son port obligatoire. Que de temps perdu, d’impréparation, d’approximation, de manœuvres engagées pour reconnaitre ce que chacun avait compris…
· Impasse politique : L’impasse dans laquelle l’exécutif s’est également mis tout seul concerne l’exercice de l’autorité et de la responsabilité. En effet, dès le début de la crise, le gouvernement a probablement cherché à légitimer ses décisions par un recours systématique, au moins dans le discours, à l’avis des experts. Un comité scientifique ayant été créé. Toutefois, depuis quand, les experts sont-ils légitimes au nom de leur expertise pour décider politiquement de sujet relevant de l’intérêt général. Comme je l’écrivais il y a quelques jours, aucun expert scientifique (le GPS du taxi) n’a la vision globale des enjeux, des équilibres économiques et sociaux, du contexte géopolitique, de l’intérêt général qui déterminent en grande partie une décision de cet ordre. S’enfermer dans cette posture, tout au moins en apparence, c’était pour le gouvernement et le Président de la république prendre le risque : de perdre leur pouvoir d’agir, car conditionné durablement à l’avis des experts scientifiques ; d’être perçus comme incapables de décider au niveau qui est le leur, c’est-à-dire, d’exercer légitimement la responsabilité supérieure de l’état ; d’être impliqués dans des querelles de chapelles, des controverses entre experts, des conflits d’intérêt, ce qui n’a pas manqué d’apparaître. Depuis, le premier ministre et le ministre de la santé et des solidarités semblent avoir pris le leadership sur la gestion de crise. La communication semble davantage calée, la décision lisible et assumée.
· Impasse stratégique : Durant la 3ème semaine de confinement, le gouvernement a évoqué sur sa propre initiative la perspective de déconfinement. Peut-être était-ce là aussi pour rassurer ou faire patienter la population sur l’issue prochaine du confinement. Ou bien était-ce pour nous aider à nous projeter dans un après qui chante. Ou encore pour nous signifier que les mesures prises enregistraient des premiers résultats ? Quoi qu’il en soit, mesurant in-extrémis le risque de s’enliser dans un débat naissant qui mobiliserait à coup sûr toutes les forces politiques et sociales du pays alors même que le pic pandémique n’était pas encore atteint, et surtout, sentant la faute qu’aurait constituée un tel signal si les Français avaient relâché leur engagement dans le confinement et les gestes barrières, le gouvernement a coupé court à ce qu’il présenta comme une hypothèse qu’il était prématuré de poser. OuFFF mais tout de même !
· Nous aurions pu évoquer encore les impasses d’ordre économique et social lorsque l’exécutif a fait machine arrière en seulement deux jours appelant au confinement puis à poursuivre le travail.
Ce ne sont que quelques exemples d’impasses parmi de nombreuses autres et je ne suis pas certain que les catégories proposées ici soient tout à fait signifiantes. Quoi qu’il en soit, elles sont intéressantes en cela qu’elles structurent la mémoire lorsque le moment venu il faudra se rappeler. Sans être devin, nous pouvons percevoir de nouvelles impasses que nos architectes ont déjà ouvertes :
· Impasse technique : La nouvelle impasse dans laquelle le gouvernement s’est déjà engagé est celle concernant le recours au traitement hydroxychloroquine associé à l’antibiotique azithromycine. Parce que la controverse est ardente sur son usage et ses bienfaits, le gouvernement a tranché : Des essais seront pratiqués sur un échantillon plus important de patients, sur des cas de pathologies avancées, dans différents hôpitaux et dans le respect du processus quasi normal d’évaluation. Problème, certains médecins avancent non-seulement que ce traitement est plus efficace lors des premiers symptômes constatés mais aussi, que l’urgence impose de réduire les procédures d’évaluation d’autant que ces molécules sont bien connues. En conséquence, non seulement les résultats des essais thérapeutiques risquent d’être biaisés d’après certains professionnels et chercheurs, mais de toute façon, le rythme d’évaluation constitue une perte de temps intolérable pour les soignants convaincus de la pertinence des produits. Imaginez seulement l’impasse dans laquelle le gouvernement pourrait être si par bonheur, on constatait dans quelques semaines que ce traitement permet effectivement de diminuer suffisamment la charge virale pour faciliter la guérison. Imaginez la chasse aux responsables (le politique ou l’expert) et les communications pour justifier encore et encore les décisions. Entendez les controverses qui opposeraient médecins et scientifiques, pour savoir qui d’un tel ou d’une telle mérite les louanges de la raison. Et surtout, imaginez la réaction de la population qui criera à juste titre le gâchis de temps pour mieux ressentir la perte injuste d’un proche, d’un ami, d’un parent. Cette impasse, à ce stade, ressemble à un piège abscond dont il est difficile de s’extraire. Un moyen toutefois de sortir de cette impasse serait pour le gouvernement que l’efficacité du traitement soit validée dans une association différente que celle proposée par le Pr Didier Raoult. Et c’est d’ailleurs l’objet de l’expérimentation annoncée cette semaine par l’institut pasteur consistant en un essai dit de "chimioprophylaxie" associant l'hydroxychloroquine et une combinaison différente (lopinavir – ritonavir), commercialisée sous le nom de Kaletra. Sur ce sujet particulier, il aurait été pourtant possible d’éviter l’impasse en acceptant dès le début et dans le contexte de "guerre" savamment répété qu’une région volontaire bénéficie du traitement proposé par l’institut Marseillais afin de mesurer sur 3 semaines les éventuels bienfaits. Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, associé à plusieurs élus et professionnels de santé ont d’ailleurs écrit la semaine dernière au premier ministre pour que l’île soit expérimentale. Quelle réponse ?
· Nous pourrions citer également l’annonce que les impôts ne seraient pas augmentés « quoi qu’il en coûte », ou encore, celle d’Emmanuel Macron invoquant la nécessité de recouvrer notre souveraineté sanitaire…Que d’attentes, que d’interprétations possibles pour quelles options ?
Alors pour finir et répondre à la question de départ « comment expliquer que notre gouvernement s’engouffre dans les impasses qu’il s’impose lui-même », j’ai peu de réponses assurées à apporter. La première toutefois est l’amateurisme. Un amateurisme impensable à ce niveau de responsabilité, qui ferait rire si ce n’était aussi grave. Un amateurisme qui fait que nos dirigeants apprennent au jour le jour des murs qui se dressent devant eux et qu’ils prennent de plein fouet par impréparation. Cet amateurisme déjà observé que nous allons payer cash cette fois encore. La seconde est la suffisance. Celle qui se traduit par le regard condescendant que porte notre élite politique sur la population, les territoires, les corps intermédiaires et l’expérience de terrain. Cette suffisance qui se complait et prospère si bien dans notre système politique pyramidal et Jacobin. Toutefois, toutes ces impasses, toutes ces erreurs ne peuvent trouver pour seules origines l’amateurisme et la suffisance. Quand bien-même nous le constatons, ce serait trop simple pour ne pas dire simpliste de s’en tenir à ces deux réponses. Nous confondrions en effet la cause et les symptômes. Toutes ces impasses, toutes ses erreurs semblent plus fondamentalement résulter d’une tension inconsciente entre des convictions libérales ancrées (le marché a toujours raison) et la conversion circonstancielle à l’intérêt général. Expliquons : l’urgence sanitaire impose à nos dirigeants de refouler leur catéchisme libéral face au nécessaire élan humaniste sur la préservation de la vie humaine. Seulement, et alors qu’ils tentent de cacher leur profonde conviction sous un vernis tout frais d’humanisme, ce refoulement reste bien fragile et réapparaît sous forme de lapsus, de mots incongrus ou d’actes manqués (des contradictions intenables ou de décisions inconsidérées). Même si cette troisième proposition renvoie à un phénomène humain déjà décrit par S Freud, il n’empêche que l’on est en droit d’attendre du sommet de l’état l’épaisseur politique qui consiste à ne pas confondre la finalité politique et la gestion d’un état avec celles d’une entreprise quand bien-même s’agirait-il d’une start-up. L’incapacité à faire le pas de côté pour voir autrement et l’incapacité à appréhender l’essentiel dès le début de la crise traduisent une incompétence fautive de l’exécutif. Toutes ces erreurs sont moins le fait d’autres personnes que de ceux qui sont à la tête de l’état depuis trois ans.
Je conclurai que nos élites politiques en général et notre gouvernement en particulier nous prennent pour des citoyens infantiles, naïfs, incapables de comprendre le monde en marche et ses enjeux, incapables de porter une critique objective de l’action publique. Alors qu’ils savent que l’accès à l’information est facilité depuis Internet et que l’esprit critique et le débat politique sont des sports nationaux, ils agissent et communiquent comme si ceux à qui ils s’adressent n’avaient aucune consistance. La crise que nous traversons nous montre une fois encore, comme le dit Michel Onfray, que « nous sommes gouvernés par un enfant » c’est-à-dire par un personnel politique en cours de maturation, trop encombré de ses croyances pour écouter et voir la réalité telle qu’elle est pour beaucoup de français et d’européens. Il nous reste pour le moment à garder en mémoire tous ces errements et à nous mobiliser pour que le moment venu nous exigions des comptes et surtout des changements. Pour qu’enfin l’ordre politique et démocratique s’impose à nouveau, c’est-à-dire, pour qu’au nom du peuple l’économie serve la politique et pas l’inverse comme souvent dans les entreprises...
AVOCATE
4 ansUne analyse originale et intéressante, bravo et merci Philippe pour ces partages