67 millions d'experts en mobilité durable

67 millions d'experts en mobilité durable

67 millions de sélectionneurs d’équipe de France, 67 millions d’épidémiologistes, 67 millions de spécialistes en géopolitique ukrainienne… et depuis quelques jours 67 millions d’experts en mobilité durable.

C’est le charme de l’esprit gaulois, on aime bien se chicaner, hausser le ton, et avoir raison à la fin. Et là, depuis quelques jours les réseaux sociaux se remplissent de photos de stations-service, où chacun y va de son petit commentaire.

Si on simplifie un peu les tendances, nous avons deux camps : les « yakapédalé » face aux « gpalechouayapadebus ». Sur nos Linkedin très axés mobilité durable, les yakapédalé sont ultra sur-représentés, tandis que sur les canaux plus classiques les gpalechoua se font très largement connaître. Il convient bien évidemment de s’accuser selon son camp de destruction de la planète et de mépris social, sinon le débat n’est pas vraiment réussi.

Comme souvent dans ce genre d’affaires, il est probable que la vérité (si tant est que le terme soit adapté ici) se situe quelque part entre les deux : oui de très nombreux trajets effectués en voiture individuelle sont facilement convertibles en vélo ou en marche (25% des trajets en voiture font moins de 3 km au global en France, et ce chiffre monte à 40% en agglomération selon l’INSEE), mais oui très clairement de très nombreuses catégories de personnes n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture individuelle, surtout en milieu rural.

Si la question a fortement émergé auprès du grand public ces derniers jours, elle n’est évidemment pas nouvelle dans notre petit milieu du transport et de la mobilité, et elle fait l’objet de l’article 1 de la Loi d’Orientation des Mobilités, votée en décembre 2019, qui vise entre autre à « Renforcer les offres de déplacements du quotidien, améliorer la qualité et la sécurité des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux et en assurer la pérennité, remédier à la saturation des villes et de leurs accès et améliorer les liaisons entre les territoires ruraux ou périurbains et les pôles urbains ».

En attendant une idée lumineuse pour sauver définitivement le monde, quelques considérations d’observateur de ces questions de mobilité, notamment en milieu rural et périurbain :

  • La volonté politique est très souvent là, et trans-partisane. Les élus hostiles ou indifférents au sujet se font très rares, et c’est déjà une bonne chose. En 13 ans de métier, le changement observé est assez spectaculaire. Bon, il y a un biais : les élus indifférents ou hostiles au sujet ne lancent généralement pas d’études, et donc nous les rencontrons moins.
  • La loi LOM a impulsé une réflexion dans de très nombreux territoires, notamment ruraux, mais le temps long de l’action publique fait que peu de changements sont d’ores et déjà perceptibles. Les études que l’on mène ont une légère tendance à patiner au moment où on évoque les choix fiscaux à effectuer. On n’a rien sans rien, et la mobilité est une matière qui peut coûter cher, selon ce que l’on souhaite faire. Il y a souvent un décalage entre les intentions exprimées en début de projet, et la réalisation finale.
  • A propos de fiscalité, la LOM prévoit qu’un EPCI peut lever le Versement Mobilité si et seulement si elle organise au moins un service régulier. OK, mais dans de nombreux territoires peu denses, il est indéniable que le potentiel pour organiser une ligne régulière efficiente est insuffisant. On se retrouve donc parfois à présenter un raisonnement par l’absurde avec un projet de ligne régulière qui n’a pas d’autre utilité que celle de générer un scénario avec des rentrées fiscales. Un peu dommage.
  • « Il n’y a pas de transports en commun ici ». Dans 80% des cas cette affirmation, qu’elle émane d’un élu local ou bien d’un commentateur de réseau social, est fausse. La France est bien mieux couverte en transport que ce que l’on se figure souvent, même si on peut discuter fréquences, adaptation des horaires et qualité de service. Il y a un gros travail de communication à mener, notamment au niveau des Régions pour promouvoir les cars interurbains. Sur de nombreux territoires l’offre augmente de façon significative, même si on peut rétorquer qu’on part de bas. Mais toujours est-il qu’une ligne qui passe de 2 à 4 allers-retours, et bien c’est un doublement d’offre, et ça se salue.
  • Néanmoins, il est très difficile voire illusoire de se dire qu’on va remplir les cars de salariés qui auront revendu leur voiture. Mettre une ligne ne veut pas dire qu’elle sera plébiscitée, car l’autocar malgré ses mérites et ses progrès induit une certaine rigidité qui rend le report modal difficile. Je serais quand même curieux de connaître quelques stats de fréquentation commerciale sur les lignes interurbaines ces dernières semaines, pour avoir une idée des effets immédiats de ce mini choc pétrolier. Si un transporteur me lit…
  • Le covoiturage est de l’avis général une solution adaptée au problème, mais les collectivités locales ont encore un peu de mal à trouver leur juste rôle dans cette affaire.
  • Le vélo est en train de sortir à vitesse grand V de son image de mode de déplacement urbain, presque snob. Oui, on peut pédaler à la campagne, et même sous la pluie et quand il fait nuit si on a les infrastructures et équipements qui vont bien. Et ça n’est pas tout à fait gratuit, mais presque.
  • Le piéton est en train de regagner ses lettres de noblesse, d’autant plus qu’il ne coûte pas bien cher en terme d’action publique, et qu’on peut souvent lui faciliter la vie sans se lancer dans des grands projets.
  •  La démobilité devient un sujet très pris au sérieux. Commerces itinérants, tiers-lieux… le champ des possibles est vaste.

Last but not least, en sillonnant la France, on observe que le mitage périurbain (que ça soit par des lotissements ou par des zones d’activité) est encore et toujours un sport national. Tant que cela continue, aucun SRADDET ni SCoT ni PMS d’aucune sorte ne pourra régler le problème de façon efficace.

Voilà, on peut continuer à s’invectiver par réseaux sociaux interposés, mais ça ne fera pas consommer moins d’essence. Alors qu’une politique de mobilité bien ciblée, couplée à une politique foncière stricte, si.

Très instructif Vincent notamment preneur d'un article prochain pour approfondir la notion de "démobilité" (choisie et/ou subie...)

Philippe B.

Fondateur de MOBIDREAM solutions de mobilité décarbonée solidaire

2 ans

Nous proposons une solution de mobilité décarbonée solidaire pour les territoires ruraux. Bien en peine de décider les élus que nous contactons à tenter une expérimentation. Il est effectivement très difficile de faire bouger les lignes malgré les dispositions de la loi LOM.

François GUYOT

Directeur du Syndicat Pyrenia

2 ans

Merci Vincent pour cette analyse très complète

Guillaume Beitz

Directeur senior - Conseil au secteur public

2 ans

Très juste Vincent BART !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets