91,76% des actifs franciliens NE TRAVAILLENT PAS dans le secteur de Paris Ouest la Défense
Sous ce titre un brin provocateur, nous proposons d'ouvrir une chronique sur le travail hybride, les nouveaux espaces de travail, l'emploi et les territoires, les mobilités de la vraie vie, l'impact du bâtiment tertiaire dans nos réalités économiques et comment se modifie en profondeur un modèle, maintenant très difficilement tenable.
Nous le ferons, en dix articles, à partir de l'angle du "lieu de l'activité économique", car lapalissade... on est toujours quelque part pour travailler. Mais ne compter pas sur nous pour y trouver un regard "mainstream". Nous n'hésiterons pas à pointer les dystopies que ces visions partielles ou partiales entrainent et qui finissent, parfois, par se transformer en réalités pénibles. Pour autant, promis, notre regard ne sera jamais acerbe ou "aigri" sur un monde qui se termine.
Car ce monde, nous en sommes les co-auteurs, ou pour le moins de dociles complices, nous la génération X. Nous pensions collectivement que la limite serait toujours repoussée par le progrès technique, nous avions tort. Alors, ce monde est aujourd'hui tel qu'il est, avec ses extraordinaires avantages et ses désordres majeurs. Et ces désordres engagés ne feront pas machine arrière. Le Shift Project, le démontre. Le rapport rédigé principalement par Donella Meadows en 1972 disait déjà, la réalité que nous vivons aujourd'hui. En effet, bien que les prévisions du modèle world1 ont été établies avec un "super ordinateur du MIT" dont la puissance de calcul est certainement bien inférieure au moindre smartphone de 2022, ce rapport du Club de Rome est terriblement actuel - 50 déjà, aujourd'hui même ! (1) hasard du calendrier.
Pourquoi partir du "lieu de l'activité" ?
Le bâtiment (résidentiel + tertiaire) pèse 45% des consommations énergétiques (2). Le tertiaire pèse la moitié de cela. Mais en fait, il pèse beaucoup plus, parce qu'il faut y aller et en revenir. Et bien souvent, chaque matin et chaque soir. On y livre ou l'on en extrait des tonnes de marchandises. Il faut l'entretenir avec des prestataires extérieurs. Des clients, des fournisseurs et des sous-traitants s'y déplacent chaque jour. L'impact du bâtiment, c'est donc bien plus que lui même. Le bâtiment du "lieu de l'activité", c'est également cet espace irremplaçable des relations humaines. Le travail est structurant (il suffit d'en être privé pour le comprendre assez vite). Les temps passés pour y aller et en revenir se comptent en années de vie au terme d'une carrière. Là où l'on travaille c'est bien souvent là où l'on se fait des amis (parfois des rivaux aussi), peut-être même une compagne ou un compagnon pour un long chemin de vie. Le lieu de l'activité économique peut être aussi une catastrophe pour ses riverains. (Une centrale nucléaire, un aéroport, une usine, ce sont des milliers d'emplois et des dizaines de milliers de riverains affectés par du bruit et des nuisances visuelles, sonores, olfactives, sans compter les risques et pollutions liés).
Bref, qu'on le veuille ou non, nos sociétés sont, pour beaucoup, organisées autour du "lieu de l'activité économique". Donc par tous les moyens il faut en optimiser l'utilisation, en allonger la durée de vie (y compris par la modification de destination), et élaborer de nouveaux modèles d'usages.
Finalement c'est porter un autre regard sur le "lieu du travail" et le considérer, pourquoi pas, comme un nouveau commun. Mais ça, nous y reviendrons plus tard.
La tâche est immense et multiforme. Beaucoup s'y emploient déjà bien évidemment. Mais tout reste à faire encore. Tout reste à inventer. Avec deux contraintes supplémentaires : faire avec moins et sans délai !
Cette chronique est donc ouverte, offerte à vous, pour que vous puissiez aussi y contribuer. Apporter votre connaissance, votre savoir-être, votre savoir-faire. Personne ne dispose de "la" solution, de "la" recette miracle. Ce que nous savons, toutes et tous, c'est qu'il faut agir vite, très vite.
Ainsi, c'est une chronique des solutions que nous vous proposons.
A partir de nos réponses, certes, car c'est celle que nous connaissons le moins mal !
C'est un nouveau "commun" que nous vous proposons de construire
Nous ne ferons pas dans le "marketing", dans la "vision d'un monde parfait" - Vous savez celle des publicités automobiles dans lesquelles une vaisseau de 1,4 tonne bourré de calculateurs glisse en silence sur le parfait ruban de bitume d'une belle avenue... sans aucune voiture autour de lui ....
Nous sommes ancrés dans la vraie vie.
Celle des banlieusards qui suent dans un RER bondé, celle des salariés du clic qui partagent leur vie entre l'écran et la cuisine. Celle des "cadres et professions intermédiaires" qui explosent sous les normes, le travail découpé, les réunions "zoom" et la perte de sens. Celle des commerciaux pour lesquels une "discopathie lombaire L4S1" diagnostiquée à 35 ans a une réelle signification au quotidien. Celle des médecins du travail qui détectent les pudiques "TMS", "RPS" ou "TS" parce qu'on ose même plus appeler un "chat" ... un "chat".
Celle aussi des rires et des passions. La réalité vécue du travail émancipateur. Du service produit qui délivre à son bénéficiaire un réel avantage tangible. Celle du bel ouvrage réalisé avec passion et expertise. Celle de la satisfaction du jeune contremaitre parvenu au réglage parfait de la Kurtz Ersa à compensateur automatique de pression.... Ou celle de la réalité vécue par cette équipe qui vient de remporter l'appel d'offres pour la continuité de son exploitation des ateliers de réparation nautique dans un port qu'on disait perdu... etc. etc. La satisfaction du travail se joue chaque jour, chaque minute, parfois même à la seconde près pour un régulateur du SAMU, un aiguilleur du ciel ou l'alerte sonore qui interpelle l'aide soignante.
Ce mélange entre "travail", "immobilier", "mobilité" et "territoire" sera vu dans un sens qui inclut des réponses pragmatiques, immédiatement applicables pour réduire réellement l'impact écologique, la mise en oeuvre de réponses plus supportables d'un point de vue environnemental. C'est principalement de l'innovation lowtech (avec un soupçon de hightech), mais c'est de l'innovation.
Commençons par le commencement : "le récit"
L'effet de loupe qu'impose un secteur aussi dynamique que Paris Ouest la Défense avec son paysage de tours visuellement réparties de chaque coté du gigantesque rectangle maintenant connu jusqu'à Sydney ou Kuala Lumpur empêche un autre regard. Il invisibilise les réalités vécues par des millions de salariés, d'indépendants ou bien d'autres typologies "d'actifs".
C'est quelque chose qui nous a interpellé durant le confinement avec ses moultes reportages télévisuels sur les "bénéfices" formidables du télétravail. On y voyait tantôt un couple de cadres qui avait choisi de s'expatrier... à Versailles (si, si, vérifiez) ou en Normandie, puis le lendemain la douce vie angevine d'un développeur du web. "L'hybridation" est pourtant le dernier avatar d'un monde ou l'emploi n'a jamais autant été parcellisé, saucissonné en tranche, désincarné par la "web conf". Le taux de burn-out n'a jamais autant été élevé. Des étudiants se sont suicidés durant la période du confinement parce qu'ils voyaient leur avenir leur échapper totalement. Un tout jeune cadre dans l'immobilier nous a raconté il y a moins de 15 jours qu'il sort à peine de deux contrats en alternance durant lesquels il n'a jamais vu, physiquement, ses employeurs. Alors,.... le métavers, il comprend à peu près ce que cela peut donner dans la vraie vie !
Nous savons toutes et tous ce que signifie ces "oxymores" comme "croissance verte" ou "croissance négative". Nous ne sommes pas des lapins de six semaines, et encore moins vous, cher lecteur, chère lectrice. On comprend même parfaitement où cela nous mène. En tous cas, où leurs auteurs veulent nous emmener.
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Non, le télétravail dans la cuisine ou le salon, n'est pas durablement le Nirvana du travail.
Oui, nous perdons de manière mesurable de la connaissance et du savoir-faire, quand les gens ne se croisent plus à la machine à café.
Non, il n'est plus supportable de faire 4 heures de trajets pour aller ouvrir un ordinateur (Selon les derniers baromètres de l'INRIX, la France possède le triste score d'avoir 16 villes placées dans le top 100 des villes où l'on perd le plus de temps dans les encombrements et de n'en avoir aucune parmi les 100 les plus vertueuses). (3)
Hier matin, l'un des co-auteurs de cette chronique racontait : "le hasard de la presse m'a conduit à la lecture d'un long article sur la promotion d'une construction "bas carbone" en matière d'immobilier tertiaire. On se réjouit de cela, dans un premier temps. Rapidement m'est venue une réflexion : si c'est pour que ces bâtiments aient toujours un taux réel d'occupation en journée de 50% et que seule une minorité (91,8% des actifs franciliens ne travaillent pas dans le quartier Paris Ouest la Défense) puisse en profiter, n'aura t-on pas fait tout ce chemin pour trop peu ?"
Peut-être un peu exagéré, mais nous avions le titre de notre chronique et l'angle d'approche :
Les 468.000 salariés qui se déplacent chaque jour dans le "T4" (c'est ainsi que l'on appelle en jargon, le quartier de Paris Ouest la Défense pour Etablissement Public Territorial 4 -> "EPT4" ->"T4") représentent à eux seuls un enjeu considérable pour l'économie. C'est absolument certain. D'autant que ce quartier concentre la plupart des sièges sociaux des plus grandes entreprises de notre pays, voire d'Europe. Le mode d'organisation du travail dans ce secteur de 6.000 hectares (1,1% de la superficie du pays) est donc un laboratoire du travail en France.... Oui et non. D'abord parce qu'il représente moins de 2% des emplois du territoire national. Et qu'il est indéniable que la structuration des entreprises pourvoyeuses d'emplois, la typologie des métiers, l'échelle des rémunérations etc... ne sont pas représentatifs de l'ensemble. Attention, nous ne jouons pas "une France" contre une "autre France". Nous affirmons simplement que "T4" ou plus globalement les territoires de la boucle de l'ouest parisien ne sont pas représentatifs de la réalité de tout le pays. La spécialisation territoriale crée des espaces qui ne sont pas homogènes entre-eux. Et donc, les solutions qui peuvent être mises en oeuvre ici ne sont pas automatiquement reproductibles, voire rarement reproductibles. Pourtant, elles peuvent avoir, à elles seules, un impact substantiel sur l'économie.
Pourtant, ce sont de ces solutions dont on parle le plus souvent. Alors, qu'il reste un peu plus de 5.200.000 franciliens et 20.000.000 de salariés hors Ile-de-France. Autant dire l'extrême majorité.
Cette "invisibilisation" est une construction du récit. Elle n'est pas uniquement due au fait que les journalistes préfèrent interviewer les passants du Monop' de Motte-Picquet-Grenelle pour rentrer plus tôt à la "cantoch" de la Maison de la Radio ou des studios de TF1. Ça, c'est une fable. Les rédactions font ce qu'on leur demande.
Invisibiliser, c'est ne pas dire le réel.
Invisibiliser, c'est faire comme si des situations vécues comptaient pour peu, trop éparpillées pour faire sens. Invisibiliser, c'est tenter de remplacer une réalité par une vision fantasmée. Cela produit les gilets jaunes, les convois de la liberté, mais aussi les complotistes, les platistes et les mouvements sectaires. Parce qu'invisibiliser ne transforme pas la réalité. Une température de 39,8° ne baisse pas quand on casse le thermomètre !
Alors pour construire les solutions, il faut modifier le récit. Et çà, c'est vous, lecteurs et lectrices de cette chronique qui pouvez le faire. Car si vous êtes arrivés à cette étape de la lecture, c'est que le sujet vous intéresse, vous interpelle.
Prenons un exemple très concret, un peu technique, certes, mais très concret. Et c'est sur cet exemple que nous terminerons ce numéro "0"
Peu d'acteurs de la profession l'auront relevé, mais le calcul de la consommation du bâtiment dans le cadre du décret tertiaire, tel qu'il est produit sur la plateforme "OPERAT", donne une place prépondérante au "taux d'occupation effectif". Pourtant, ce sont d'abord et avant tout les mesures de rénovation (isolation, CVC, menuiserie, toiture...etc) qui sont promues.
Savez-vous qu'en prenant les mesures adaptées pour augmenter de 10% le taux d'usage effectif, alors vous réalisez 25% de l'objectif à atteindre en 2030 ? Et en plus, en vous procurant un revenu supplémentaire. Parfois la réponse est plus proche qu'on le pense.
À la semaine prochaine ! Et dans l'intervalle n'hésitez pas à commenter, raconter votre vécu, à produire vos idées.
Les cofondateurs de Loopartoo et Bewell Conseil SAS - Dourdan, le 1er mars 2022
(1) le Rapport du couple Donnella et Dennis Meadows et de l'équipe du MIT a été présenté au public le 1er mars 1972 et édité en octobre 1972. Il n'a jamais été au programme des lycées, ni des grandes écoles.
(2) Source ministère de l'écologie.
(3) Inrix Global Traffic Scorecared - Selon l'INRIX, il y a encombrement quand la vitesse moyenne d'un véhicule devient inférieure à 65% de la vitesse moyenne globale constatée au même endroit.