Accompagnement pastoral & suicide assisté

Comme vous le savez, je suis pasteur.

Pour la première fois, j'ai été confronté de près, dans le cadre de mon ministère ces dernières semaines, à cette question du suicide assisté (avec l'intervention demandée d'Exit et une entrée en matière de leur part des plus surprenante, j’aurais bien des choses à dire là sur ce que j’ai vécu et les zones d’ombres constatées).

Au lendemain de cette fin de vie programmée, je tire quelques conclusions :

D'abord, qu'il est extrêmement difficile d'y être confronté. Rien ne nous y prépare, les repères sont rares et il faut se saisir de ceux que l'on trouve (parmi lesquels ce débat de belle qualité d’Infrarouge).

La souffrance (qu’elle soit physique, morale ou psychique) est certes dévastatrice et il me semble impossible de juger le ressenti de mon prochain : il y a des situations indicibles qui peuvent conduire à des extrémités, et je fais le choix de renoncer à juger.

La souffrance doit donc toujours être accompagnée, et de nombreuses ressources professionnelles existent, sans compter les trésors des relations humaines et autres investissements personnels.

Mais je constate que la Mort est encore plus dévastatrice que la souffrance dans ces incidences, comme elle est plus définitive et radicale, même si elle intervient, à priori, relativement paisiblement. Même si, en fonction des convictions spirituelles, la perspective de la vie éternelle doit être prise en compte. Les gens qui restent sont profondément et durablement impactés. Le choc est considérable.

Comme pasteur, la question se pose : Accompagner, oui, mais jusqu’où ?

En l’espèce, je l'ai fait au plus près de ma conscience, non sans mal, non sans avoir dit, avec grâce et compassion, à plusieurs reprises et de diverses manières que je ne pouvais pas me reconnaître dans ce choix qui est en tout contraire à tout ce que je crois, ce que je professe, ce pour quoi je vis. 

Alors que je suis convaincu qu'aucun des maux dont une personne atteste souffrir ne peut pas être valablement accompagné par le Seigneur et la communauté chrétienne (et quantité d’autres lieux solidaires et autres compétences professionnelles), j’ai beaucoup, longuement et attentivement écouté, cherché sincèrement à comprendre, à mesurer. Et ensuite, j'ai tâché d'ouvrir des fenêtres, de mettre en évidence des perspectives, de développer un nouveau regard sur la vie et les circonstances... ici sans succès, ce qui me pèse, comme aux proches de la personne, famille et amis, qui ont entendu qu’ils n’étaient pas suffisants.

Après mûre réflexion et prières, après avoir pris le temps des conseils avisés de diverses personnes compétentes, après avoir pris aussi le temps de la concertation avec le Conseil de l'EEM (qui a été remarquable) - et pour des questions de secret professionnel c’est complexe - j’ai choisi en conscience de marquer une limite infranchissable devant une culture de la mort et une déification du choix personnel en opposition complète avec la foi chrétienne qui professe la Vie (en abondance) et le décentrement de soi pour laisser Dieu agir, restaurer, sauver. 

Je suis donc allé aussi loin que possible dans l'accompagnement (qui est au coeur de l'ethos pastoral), mais n’ai pu transgresser en conscience ce qui est au coeur même de ma foi en Christ. Ma solidarité concrète s’est arrêtée au seuil de la mort choisie.

Je suis absolument convaincu que nous allons vivre de plus en plus souvent semblables situations, parce qu’aujourd’hui, comme jamais, la Vie (et Celui qui la donne et la reprend) dans tout ce qui la compose du premier au dernier souffle, est relativisée, marchandisée et parfois clairement méprisée.

https://www.rts.ch/play/tv/emission/infrarouge?id=404386