Adieu Tagab

Adieu Tagab

Arnaud Pellabeuf, Adieu Tagab, Les Belles Lettres, 2022, 163 p.

Si la gendarmerie prévôtale a toujours accompagné les unités militaires en opérations extérieures, c’est une mission d’une autre nature que décrit le colonel Arnaud Pellabeuf dans cet essai. En effet, en décembre 2009, cent gendarmes constituent les premières POMLT (Police Operational Mentoring and Liaison Team). Incluses dans la Force internationale d'assistance et de sécurité (International Security Assistance Force ou ISAF) de l'OTAN en Afghanistan, ces équipes ont la mission de conseiller les hommes de la police nationale afghane (Afghan National Police-ANP). Naturellement, les POMLT françaises sont armées par la Gendarmerie nationale et elles agissent dans la zone d’action de la Task Force La Fayette.

L’auteur, alors capitaine et engagé dans le deuxième de ses trois séjours en Afghanistan, nous offre un aperçu du mandat de 6 mois de la POMLT qu’il commande. Nous sommes en 2011, année la plus meurtrière pour les forces françaises avec 26 soldats tués. Chaque chapitre présente un temps fort. Le départ, d’abord, où l’on découvre la problématique de la désignation des gendarmes mais également les délicats au-revoir familiaux. Puis l’arrivée sur le théâtre d’opération, à Bagram, immense base où « on se serait cru dans un film de guerre américain », puis à Tagab, poste avancé d’où opérera la POMLT. Viennent ensuite les échos des premiers combats et, enfin, ceux dans lesquels la POMLT est impliquée. C’est le cas, notamment, de la « journée noire » du 13 juillet 2011 à Joybar où, alors qu’une choura se termine, cinq soldats français et un interprète sont tués par un kamikaze. Pour l’auteur : « Décrire notre état d’esprit à ce moment-là est tout bonnement impossible. Le schéma intellectuel et psychologique d’une attaque suicide est totalement étranger au soldat français. […] de cette incompréhension et de l’horreur brute des faits naissent une rage sourde et une haine de l’ennemi qu’il allait falloir canaliser. » Puis c’est la dernière sortie et la passage par le « sas de décompression » de Paphos et, enfin le retour et la première rencontre, émouvante, avec le fils de l’auteur, Baudoin, né pendant le mandat.

L’ouvrage est également l’occasion de découvrir les difficultés de la mission des gendarmes qui doivent instruire les policiers afghans et leur apprendre à respecter les règles judiciaires. La confiance entre Français et Afghans n’est pas patente alors que certains frayent, plus ou moins clairement, avec les insurgés. Le rôle des interprètes est alors crucial et l’auteur leur consacre quelques pages, justes et belles. Enfin, on ne peut que noter un travail de police loin d’être évident alors que la guerre fait rage.

Ce livre n’est certes pas le premier sur les POMLT françaises (voir, par exemple, Stéphane Bras, Gendarmes en Afghanistan, 2010, Anovi éditions) mais son style clair et les enseignements qu’il transmet sur ce type d’engagement rendent sa lecture indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux opérations extérieures françaises. D’autant que l’auteur ne masque pas ses doutes, parlant notamment de la « chronique d'un désastre annoncé » et qu’il écrit, sans fard, dès l’introduction : « Au moment de quitter l'Afghanistan en 2011 après l'opération racontée dans ce livre, mes gendarmes et moi avions une certitude doublée d'une intuition. Une certitude, d'abord : les forces afghanes étaient très loin d'être au niveau pour tenir le pays après le départ des armées de la coalition. Nous avions participé au mensonge consistant à faire croire l'inverse en passant les indicateurs au vert [...]. Une intuition, ensuite, les horreurs auxquelles nous avions été confrontés au cours du mandat, nous les retrouverions un jour sur notre sol. »


Arnaud Pellabeuf

Colonel, commandant la gendarmerie de la Vendée chez Gendarmerie Nationale

1 ans

Merci Rémy!

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