Adiou Mama!
Mieux que les résolutions qu’on ne tient jamais, les défis qu’on se fixe à soi-même.
Ainsi, en ce début d’année 2024, année Olympique, je me suis fixé mon Olympe-à-Moi, un double défi: Effectuer le trajet Borau, Aragon - Lescar, Béarn, à pied et à vélo.
Borau, petit village d’à peine 80 âmes perché à 1000 mètres au creux d’une magnifique vallée des Pyrénées Aragonaises. Lescar, autrefois village et désormais banlieue de Pau, avec ses centres commerciaux et sa coopérative agricole…
Borau, village natal de Orosia Javierre-Japùn, mère de Joseph Habierre, le premier Espagnol à avoir couru le Tour de France. En 1892, Orosia s’est retrouvée veuve, avec 5 enfants. Justo, son mari, était décédé brutalement. Alors Orosia décida de partir trouver du travail en France. Avec ses 5 enfants, dont un bébé, elle franchit le Somport, suivi la vallée d’Aspe jusqu’à Oloron Sainte-Marie, puis poursuivi son périple jusqu’à Lescar, où elle s’installa pour toujours. A l’Etat-Civil, on transforma le nom “Javierre” en “Habierre”, et “Josémaria” en “Joseph”.
Arrivé en France à l’âge de 4 ans, Joseph a toujours voulu prendre la nationalité Française. Il devra attendre la fin de la Première Guerre Mondiale, pendant laquelle il servit son pays d’adoption dans la Légion Étrangère, pour devenir enfin officiellement Français. C’est pourquoi Joseph a couru les Tours 1909 et 1910 en tant qu’Espagnol, même si lui se considérait Français…
Voici ce qu’écrit Christian Laborde dans son “Abécédaire ébaudissant” du Tour de France :
“Le 5 juillet 1909, Joseph Habierre prend le départ du Tour, sur un vélo Alcyon, dans la catégorie des « isolés ». Sans doute est-il le seul coureur du peloton à parler trois langues le français, l'espagnol et l'occitan. Habierre se bat, seul, comme les autres coureurs isolés. Il se bat et souffre dans la troisième étape Metz Belfort, 259 bornes. Il franchit l'arrivée' en pièces, en morceaux, désossé' mort de chez mort. Le Tour c'est dur, épuisant. Mais casser des cailloux: charrier deux mètres cubes de caillasse par jour, c'est plus dur encore. C'est ce qu'il se dit, Joseph, pour chasser de son esprit l'envie d'abandonner. Il n'abandonne pas et, le 21 juillet, lors de l'étape Toulouse - Bayonne, il sort du peloton pour entrer en tête dans sa ville, Lescar. Joseph Habierre entre en tête dans Lescar. Devant lui, au-dessus de la route, tenue par deux pylônes de bois, une banderole. Elle dit quoi, la banderole ? Elle dit « Vive Habierre ». Et qui l'attend, sur le bord de la route, sous la banderole ? Sa mère, Orosia. sa mère, il dit : merci. À sa mère, il dit « Les cailloux, c'est fini, et je vais voir Paris. Joseph Habierre verra Paris. Il se classe 17e de ce Tour de France remporté par François Faber. Joseph, il fait encore un Tour en 1910, se classant 24e, et s'en va. Il s'en va à Oloron-Sainte-Marie ouvrir une boutique de cycles. Boutique qu'Henri Desgrange lui-même lui demandera de quitter pour rejoindre les routes d'un Tour auquel il fait honneur. En vain. Joseph Habierre ne quittera sa boutique que pour s'engager dans la Légion étrangère et monter au front. Maréchal des logis, blessé à Verdun, Joseph Habierre est décoré de la Médaille militaire, de la Légion d'honneur, et se voit enfin accorder la nationalité française.”
La légende veut qu’en passant devant Orosia, Joseph a lancé un tonitruant “Adiou Mama!”, “Salut Maman” en occitan, et que les murs de la Basse-Ville de Lescar en tremblent encore…
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A bien y regarder, Joseph Habierre peut être considéré comme un grand champion cycliste. 17ème de son premier Tour de France, accompli comme le suivant d’ailleurs en indépendant, “Isolé”, c’est à dire sans équipiers, sans assistance, seul. Avec des exploits phénoménaux, telle cette chevauchée en solitaire dans l’étape Brest - Caen du Tour 1910, 424 kilomètres, quand il est victime d’un ennui mécanique au départ, se retrouve bon dernier, répare, et reprend un à un les coureurs qui le précèdent pour terminer 30ème à Caen, sur 41 classés. A 17 ans, Joseph était casseur de cailloux en semaine et coureur cycliste le week-end, et il gagnait de grandes courses régionales. Sur la mythique étape Luchon - Bayonne du Tour 1910, avec pour la première fois les grands cols, le Tourmalet, l’Aubisque, Joseph fait 23 à l’arrivée, sur 46 classés, à 3h20 du vainqueur Octave Lapize [source: Procyclingstats]. Un grand champion, et un grand Monsieur aussi, qui dédiera sa vie aux autres, dans le Vélo et en dehors: Joseph était très impliqué dans le développement du Sport Amateur ici en Béarn, et dans la vie locale Oloronaise.
Des valeurs certainement inculquées par sa maman… A mes yeux, Orosia est une héroïne de roman, et mériterait à elle seule une mini-série Netflix. Ce qu’elle a réalisé est phénoménal. Partir à l’aventure, sans rien d’autre que ses enfants et sa détermination à leur offrir une vie meilleure ailleurs que dans ce coin perdu des Pyrénées… Franchir la montagne, fin du 19ème Siècle, en portant un bébé… Et planter de nouvelles racines si profondément que aujourd’hui, à la fin du premier quart du 21ème Siècle, le nom “Habierre” est encore répandu par ici…
“Adiou Mama!” Ces mots résonnent tellement que, depuis 3 ans, l’envie me taraude de mettre mes pas dans ceux d’Orosia.
En 1892, y avait pas de Strava ni de GPS. Alors, comment savoir par où est passée Orosia, pour aller de Borau à Lescar? Jusqu’au Somport, c’est simple: C’est tout droit vers le Nord. Après, ça se corse un peu, si j’ose dire en parlant du Haut-Béarn. Soit on choisit l’option vallée d’Aspe, soit on prend tout droit direction la vallée d’Ossau.
Alors j’ai tracé 2 parcours: Un parcours “Rando pédestre” et un parcours “Gravel”. Le Gravel passe par la vallée d’Aspe, le Rando par Ossau. Les deux se rejoignent du côté d’Oloron Sainte-Marie, parce que je pense que les Chemins de Saint-Jacques devaient servir de repère aux marcheurs de l’époque, donc à Orosia. A pied, on évite tous les grands axes de circulation automobile d’aujourd’hui, à vélo on peut franchir rapidement certaines portions inintéressantes…
Donc, mon défi 2024 sera celui-là:
D’abord, au début de l’été, le Gravel: 124 kilomètres et 2100 mètres de dénivelé positif, départ au Bar-Restaurant Lubierre à Borau, arrivée sur l'aire de jeux Beneharnum à Lescar (endroit bien connu des cyclistes locaux), par le col du Somport, la vallée d’Aspe jusqu’à Oloron Ste-Marie, puis les monts du Jurançonnais.
Puis à l’automne, la Rando pédestre: 129 kilomètres, au départ de l'église Sainte-Eulalie à Borau, arrivée Cathédrale de Lescar par le col du Somport, le refuge d’Ayous, Bious-Artigues, puis le village d’Eaux-Bonnes, Laruns, Oloron par le gave d’Ossau… Komoot me dit qu’il faut 8 jours, alors nous partirons 8 jours, à l’aventure. Je n’ai encore jamais fait de bivouac ni dormi dans un refuge de montagne, alors c’est l’occasion ou jamais, n’est-ce-pas?!
Pourquoi cet enchainement, et pas l'inverse? Parce qu'en juin prochain, je participerai à la Tourmalet 1910, épreuve Gravel inventée par mon ami Diego Camarero, avocat et passionné de Cyclisme, sans qui le Royal Asport d'aujourd'hui n'existerait pas. J'aurai donc l'entrainement nécessaire pour enchainer sur un parcours longue-distance. Ensuite, je consacrerai une partie de l'été à des sorties pédestres en montagne, pour réhabituer mon corps à ce genre d'efforts.
Alors... qui m'aime me suive!
#vivelevélo