Adolescence et santé mentale
C’est l’histoire de Jérôme. Il a 15 ans et il est envoyé sur décision du juge dans un centre psychiatrique pour adolescen·tes en Belgique. Il refuse de faire les compromis que les adultes ont choisi de faire pour se conforter à une certaine normalité. Jérôme est en colère mais aussi rempli d'amour. Un soir, dans ce centre, il aperçoit Colette. Il va tout faire pour qu’elle tombe amoureuse de lui et qu'ils puissent mutuellement se sauver. Malheureusement le monde intérieur de Colette est douloureux, très douloureux. Cette histoire c'est celle que raconte Jérôme Colin, journaliste et auteur belge. Je l'ai rencontré un lundi de septembre à la RTBF à Bruxelles à l'occasion de la parution de son livre Les Dragons. Ce roman nous parle de ces centres pour adolescent·es que nous connaissons peu, de santé mentale bien sûr, de l'importance de l'Autre, de transmission, d’amour, mais il parle aussi de suicide. Rarement j'ai vécu un moment si émouvant. Je vous en livre un extrait aujourd'hui. Vous pouvez également découvrir notre podcast.
TRIGGER WARNING : Ce texte aborde des sujets qui peuvent choquer . C’est pourquoi, si en ce moment vous vous sentez vulnérables, je vous invite à ne pas lire ce texte mais plutôt à découvrir un autre contenu sur le site de mūsae. Je vous glisse également des ressources en cas de besoin à la fin de cette newsletter.
CHRISTELLE TISSOT : DANS LES DRAGONS, VOUS PARLEZ DU SUJET TABOU PAR EXCELLENCE DE LA SANTÉ MENTALE : LE SUICIDE. POURQUOI L'AVOIR CHOISI?
JÉROME COLIN : Parce que lorsque que j'étais un adolescent, je me sentais seul et je vivais une forme d’isolement, mêmesi j’avais des amis. Et puis j’ai vu des chiffres. 1 enfant sur trois déclare souffrir de trouble anxieux en Belgique; Ça signifie que dans une classe de trente élèves, dix sont en souffrance psychologique. C’est effarant, non? Alors j’ai eu envie de m’emparer de ce sujet qui est pour moi une urgence sociétale. Pour écrire ce livre, j'ai passé trois mois en immersion au sein d'un centre psychiatrique pour adolescent·es. Quelque chose m'a sauté aux yeux : l’envie de mourir, notamment celle de Nell à qui je dédie le livre et qui est la jeune fille dont Jérôme va tomber amoureux dans Les Dragons. Qu'est-ce que ça signifie un monde où un enfant de moins de 15 ans a envie de mourir ? Je pense aussi que ce phénomène a été aggravé par le COVID. Pendant cette période, les adolescent·es n’ont pas pu être adolescent·es. Iels n’ont pas eu l’autorisation de grandir. Nous allons longtemps sentir l’effet néfaste de cette période car nous les avons coupé·es des autres. Cet "autre" qui est si important.
CT : QUE SYMBOLISENT LES DRAGONS ?
JC : Je voulais que ce titre soit un titre communautaire, qu'il permette aux jeunes qui ressentent un mal-être de se reconnaître sous une bannière. J'ai choisi "Les Dragons" pour plusieurs raisons. Car lorsque nous rentrons dans ces centres, nous nous rendons compte de ce que sont les lésions qu'iels s’infligent, comme l’automutilation. Lorsque ces lésions commencent à sécher, elles prennent l'apparence d'écailles de serpent.
Plus tard, je me promène sur Internet et je trouve le globe de Lenox. Je l’explique dans le livre d’ailleurs. C’est le premier globe terrestre connu. Il a été créé en 1510. Son inventeur a dessiné des dragons et il a écrit « hic sun dragones ». Ce qui signifie en latin « ici sont les dragons ». Il voulait ainsi décrire l’Asie comme étant une terre inconnue. Or ces adolescent·es dont je parle dans mon livre, ce sont bel et bien des terres inconnues. L’idée d’avoir peur que quelque chose se dévoile plus tard est merveilleux. J’ai trouvé ça beau. C’était tout trouvé, c'était mon titre de livre. Le sentiment de solitude est très dangereux, c’est pour ça qu’il faut lever tous les tabous. L’idée des Dragons c’était de dire "vous n’êtes pas seul·e". Nous sommes légions, nous sommes les dragons. D’ailleurs, je me suis senti plus à ma place parmi les dragons que parmi les adultes.
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CT : IL Y A UNE PHRASE QUI M'A BEAUCOUP MARQUÉE DANS VOTRE OUVRAGE : "LA FORCE C'EST D'AIMER LE FAIBLE". QU'EST-CE QU'ELLE ÉVOQUE POUR VOUS ?
JC : Merci de parler de cette phrase car pour moi elle est centrale dans le livre. C’est un extrait de ce que j’ai retenu du livre « Des souris et des hommes » de John Steinbeck. La force c’est d’aimer les faibles. Le seul conseil que j’ai donné à mes enfants est que « dans une situation d’urgence, prenez toujours la position et la défense du plus faible. ». Je suis choqué ou triste de voir qu'en tant qu’adulte, combien être fort c’est : avoir de l’argent, avoir une position hiérarchique dans l’entreprise, avoir une voiture allemande, être célèbre. Ça, c’est être fort·e. Et regardez la société qu’on a. Mais si on inversait ce paradigme. Si être fort·e c’était d’aimer le faible. Si être fort·e, c’était d’aimer les dragons. Alors dans quel monde vivrions-nous ? C’est pourquoi cette petite phrase c’est la plus importante de mon livre.
CT CETTE PHRASE RÉSUME POURQUOI LA SANTÉ MENTALE EST TABOUE. PARCE QUE FINALEMENT LE FAIBLE, C'EST LA VULNÉRABILITÉ. AUJOURD'HUI NOUS N'AVONS PAS LA PLACE POUR ELLE. IL Y A AUSSI UNE AUTRE PHRASE QUI M'A MARQUÉE : "ON NE DÉSIRE PAS AIDER UN ENFANT QUAND ON N'A PAS ÉTÉ SOI-MÊME UN ENFANT À SAUVER."QUEL SENS A T-ELLE POUR VOUS ?
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