Affaire Air Cocaïne : un commanditaire trop vite désigné ?

Affaire Air Cocaïne : un commanditaire trop vite désigné ?

Spectaculaire et rocambolesque, Air Cocaïne est l’une des affaires de drogue les plus marquantes de la dernière décennie. Ali Bouchareb a été condamné en première instance à dix-huit ans de prison en tant que commanditaire du réseau. À quelques jours de son procès en appel, il dénonce une injustice.

Par Ronan Folgoas 

Le 2 juin 2021 à 07h29

Tarmac de l’aéroport de Punta Cana, en République dominicaine, dans la nuit du 19 au 20 mars 2013. Le Falcon 50 d’Alain Afflelou se prépare à décoller pour Saint-Tropez avec à son bord, selon les autorités locales, 700 kg de cocaïne répartis dans vingt-six valises. Une cargaison de poudre blanche dont la valeur marchande est estimée, en bout de chaîne, à près de 50 millions d’euros. C’est le moment que choisissent les policiers dominicains de la direction nationale du contrôle des drogues pour débarquer en hélicoptère et encercler l’appareil. Les pilotes sont contraints de couper les moteurs.

Quelques minutes plus tard, quatre hommes descendent de l’avion, aussitôt plaqués au sol. Il s’agit de quatre Français, deux pilotes (Bruno Odos et Pascal Fauret), un membre d’équipage (Alain Castany) et un passager (Nicolas Pisapia), menottés et jetés dans un cachot. C’est le point de départ de l’affaire baptisée « Air Cocaïne ».

Alain Afflelou, le célèbre lunetier, n’a rien vu venir. Totalement étranger au trafic, il n’a fait que mettre en location son jet privé à une société spécialisée dans les voyages d’affaires. Un autre Français, beaucoup moins connu, est rapidement suspecté d’être le grand organisateur de ce voyage transatlantique. Franck Colin, beau gosse et beau parleur, ex-videur de boîte de nuit à Paris et sur la Côte d’Azur, devenu homme d’affaires basé en Roumanie, est interpellé fin mars 2013 devant une agence bancaire de la région parisienne. Dès sa garde à vue, Colin, se présente comme un maillon de l’opération Air Cocaïne, un maillon important certes mais travaillant sous les ordres d’un commanditaire. Hypothèse à laquelle la juge d’instruction adhère rapidement.

Un mystérieux interlocuteur rencontré en boîte de nuit

Opportuniste ou sincère selon les points de vue, le Varois soutient n’avoir organisé des rotations transatlantiques pour importer de la cocaïne entre fin 2012 et mars 2013 qu’à la demande d’un homme dont le prénom ou le surnom évolue sensiblement au fil de ses déclarations. Il l’appelle d’abord « Daryan » puis « Ryan » ou encore « Rayan ». Il l’aurait rencontré dans une boîte de nuit de Saint-Tropez puis l’aurait revu à Paris et dans un hôtel de Barcelone.

Existe-t-il vraiment ? Ce mystérieux interlocuteur, dont il refuse d’abord de révéler l’identité, aurait même été présent le 9 décembre 2012 à l’aéroport de la Môle (Var) lorsque le Falcon 50 atterrit une première fois en provenance de République dominicaine. Le déchargement de nombreuses et lourdes valises, à l’époque, a déjà attiré l’attention du personnel de l’aéroport.


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Le soir même, ce 9 décembre 2012, Franck Colin est vu dans un bel hôtel de Sanary-sur-Mer, en compagnie d’un autre homme. S’agit-il du fameux « Rayan » ou « Daryan » ou d’un tout autre individu ? Le duo ne peut s’empêcher de s’intéresser à Samantha (le prénom a été changé), l’une des serveuses. La jeune femme, plutôt avenante, rêve de travailler comme hôtesse de l’air et les deux hommes lui font miroiter une collaboration future sur des vols à bord de jets privés.

L’accompagnateur de Colin prétend, notamment, être ami avec le footballeur Karim Benzema. Star de l’équipe de France et du Real Madrid, l’attaquant est aussi un client régulier de ce type d’appareils. Lorsqu’elle sera interrogée par les enquêteurs, Samantha se souviendra de cette liaison, réelle ou prétendue, avec Benzema. En explorant le répertoire téléphonique de Franck Colin, les policiers de l’OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, rebaptisé Ofast en 2020) découvrent d’ailleurs un contact au nom de Rayan. L’homme en question, dont le vrai prénom est Karim, vit en région parisienne et a rencontré Colin dans une boîte de nuit tropézienne plusieurs années auparavant. Mais l’exploitation téléphonique ne semble donner aucun résultat probant. Cette piste est abandonnée brutalement.

Une serveuse dit dans un premier temps reconnaître Ali Bouchareb

Le 16 octobre 2014, l’affaire bascule de l’autre côté des Pyrénées. En planque à proximité d’un entrepôt de Tarragone (Espagne), les policiers espagnols interpellent huit personnes, dont cinq Français, en train de décharger des caisses de poissons surgelés. Au milieu de cette cargaison, 420 kg de cocaïne importés du Pérou et répartis dans des sacs de sport.

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Lors de la perquisition réalisée chez l’un des suspects, en présence de policiers français de l’OCRTIS, les enquêteurs ibériques mettent la main sur un lot de faux papiers d’identité dont l’un porte le nom de Rayan Hanouna. Ils auraient aussi découvert des photos de ce même suspect aux côtés de Karim Benzema et des chaussures de foot portant la signature du joueur. Les collègues français remontent l’information et des rapprochements sont effectués avec l’affaire Air Cocaïne.


Quelque 700 kg de cocaïne avaient été saisis dans 26 valises à bord du Falcon 50. DR

Lorsqu’on lui présente une planche photographique, la serveuse de l’hôtel de Sanary ne doute pas. Le suspect interpellé à Tarragone et l’homme présent aux côtés de Franck Colin le 9 décembre 2012 se ressemblent furieusement. « Même si la photographie est de mauvaise qualité, c’est bien cet individu dont je vous parle… » déclare Samantha, le 8 janvier 2015, en pointant du doigt Ali Bouchareb. Né en 1971 à Firminy, non loin de Saint-Etienne (Loire), l’homme a déjà été condamné, en 2010, à neuf ans de détention pour importation de stupéfiants.

Libéré avant la tenue de son procès, il a mis les voiles pour l’Espagne et vivrait depuis dans la clandestinité. A-t-il vraiment pris le risque de réapparaître en France et en particulier dans la région de Saint-Tropez dans le cadre de l’opération Air Cocaïne ? Lors d’une confrontation organisée en novembre 2016, Samantha, la serveuse de Sanary, se montre beaucoup plus hésitante. « Je ne pourrais pas dire formellement que c’était Monsieur (…) Cela fait trois ans… Je n’ai pas la mémoire des visages, excusez-moi. » Franck Colin suivra le même mouvement de reflux. D’abord catégorique sur la reconnaissance photographique d’Ali Bouchareb, l’ex-physio et videur de boîte de nuit fait machine arrière au cours de la confrontation. « Il y avait une ressemblance, mais là, ça n’a rien à voir avec le personnage que j’ai en face de moi », souffle Colin.

Une grève de la faim entamée par Ali Bouchareb

Lors du procès devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence en avril 2019, ces rétractations ne pèseront pas bien lourd. Ali Bouchareb, en état de récidive légale, est condamné à dix-huit ans de prison pour tentative d’importation de cocaïne en bande organisée, détention et transport de stupéfiants. La peine maximale dans ce dossier. Le Stéphanois a fait appel, comme cinq autres accusés, et soutient toujours n’avoir aucun lien, ni de près ni de loin, avec l’affaire Air Cocaïne. Ses avocats, Mes Menya Arab-Tigrine et Hugues Vigier, pointent aujourd’hui plusieurs zones d’ombre.

« Les photographies de notre client avec Karim Benzema censées avoir été retrouvées lors de la perquisition ne figurent pas au dossier, soulignent-ils. Or, cet élément d’identification est fondamental puisqu’il est censé faire le lien entre les déclarations de la serveuse de l’hôtel de Sanary, l’homme qui se prétendait proche de Karim Benzema et Ali Bouchareb. » Autre étrangeté de la procédure, toujours selon les avocats du principal accusé, une photographie sur laquelle figure le numéro espagnol d’un « Rayan » a été présentée par les enquêteurs comme « extraite du téléphone de Franck Colin ». Or, aucune investigation n’a été réalisée sur ce numéro et cette photo n’apparaît même pas dans l’expertise du téléphone de Colin. Pour la défense, ce flou laisse la place à toutes les interrogations.


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Derrière les barreaux depuis 2015 aux Baumettes puis à Lyon-Corbas, Ali Bouchareb se dit toujours victime d’une injustice. Entre février et début mars, il s’est même livré à une grève de la faim de dix-sept jours. Une manière radicale de dénoncer la mesure de libération sous caution dont il a été l’objet. Le montant a en effet été fixé à un million d’euros, sans commune mesure, selon lui, avec ses moyens financiers. Cette grève de la faim était aussi une manière de prendre date en vue de son procès en appel, qui doit débuter à Aix-en-Provence à partir du 7 juin et s’étirer jusqu’au 9 juillet.

« Nous comptons battre en brèche l’idée selon laquelle le fameux Rayan évoqué par Franck Colin serait Ali Bouchareb, appuie Me Arab-Tigrine. Les éléments de preuve de l’identification sont décidément trop fragiles. Sur un second plan, l’étiquette de commanditaire du réseau attribué à Rayan ne repose sur rien de concret sinon sur les déclarations de Franck Colin. Lesquelles, on l’a vu pendant toutes ces années, ont été aussi évolutives qu’opportunistes… » Huit ans après les faits, l’affaire Air Cocaïne n’a peut-être pas encore dévoilé tous ses mystères.

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