« Ah oui l’écologie, c’est à la mode en ce moment ! »
J’avais envie de m’arrêter un peu sur ce que signifie cette phrase, que j’ai à nouveau reçue la semaine dernière. Combien de fois ais-je déjà entendu ça dans ma vie professionnelle (pourtant pas encore si longue) ?
Ce genre de répliques, qui peuvent être dites sans arrière-pensée et simplement pour faire la conversation, ou au contraire dissimuler au mieux de la dérision, au pire du mépris.
Et difficile de répondre autre chose qu’une sorte de « et bien oui, il faut s’y mettre » pour rester sur un ton de conversation égal, et sans rentrer dans ce qui sera vu comme du militantisme radical.
Pourtant, en prenant un temps de réflexion, je me rends compte qu’on peut identifier beaucoup d’aspects, révélateurs selon moi du problème des questions de transitions écologiques, pouvant expliquer sa lenteur et son inefficacité dans les entreprises et politiques publiques.
Pour commencer, c’est comme si le fait de montrer que l’on est éco-responsable n’est qu’une simple adéquation avec « la tendance à suivre », tout comme la couleur de l’été. On vide le sens de l’action pour ne garder que le fait de pouvoir montrer que le mot « environnement » est bien présent dans la plaquette commerciale, à défaut d’être compris et appliqué.
Il s’agit alors d’une simple occasion à saisir pour faire comme tout le monde, que la démarche soit sincère ou non. Ceci se traduit très souvent en action complètement anecdotiques comme le recyclage des gobelets de la cafétaria, même si l’impact principal de l’entreprise proviendra en majorité de ses transports, de la consommation de matières premières ou de la pollution des eaux… Ce « syndrôme du gobelet » est d’ailleurs très dangereux, car il occulte les impacts réels de l’entreprise par une petite action phare visible (la machine à café est en effet un haut lieu de passage !), qui déculpabilise et déresponsabilise les salariés sur tout ce qui pourrait être mené pour véritablement améliorer les choses.
Par ailleurs, beaucoup d’entreprises (ou de personnages politiques) surfent sur la vague de l’écologique et du zéro déchet pour proposer des objets complètement superflus mais décrits comme écologiques, parce que fabriqués en bois ou en tissu (citons les dizaines de tote bag donnés à toutes les occasions, ou les clés USB et stylos bas de gamme mais avec revêtement en bois…).
La mode, c’est aussi ce qui est innovant, moderne et cool. D’où l’attirance si flagrante des entreprises et des collectivités pour des solutions uniquement technologiques dans l’espoir que tout soit résolu aussi simplement. Après les routes solaires et les voitures électriques, vient par exemple le temps de l’énergie hydrogène. Ce vecteur énergétique a sûrement des avantages, mais il ne vient actuellement qu’ajouter une nouvelle source d’énergie (non décarbonée !) à dépenser, quand la priorité devrait être au contraire de réduire la consommation ! Mais, pour des questions de communications ou de réélection, il vaut malheureusement mieux s’afficher comme mettant en place des promesses technologiques, que sensibiliser à la réduction de ses besoins. Le progrès technologique pour lui-même est une des raisons du mythe de la croissance verte. A nouveau, cette croyance largement répandue dans la population que tout sera bientôt réglé par des avancées scientifiques est extrêmement dangereuse, et ne fait que repousser le problème.
Cette phrase démontre également un déni inconscient du caractère permanent et profond des enjeux abordés. Par définition, la mode est censée être éphémère et changeante, réinventer ses codes. Or cela fait maintenant des dizaines d’années que le « développement durable » est à la mode. Comme si chaque année, on redécouvrait qu’il est important de faire des éco-gestes, de sensibiliser et de changer de modèle. Les enjeux sont toujours les mêmes mais plus forts chaque année, pourtant la réponse reste d’en faire un minimum parce que « l’écologie c’est à la mode ». Alors l’expression change, de développement durable, on passe à RSE, éco-responsable, économie circulaire,… le vocabulaire innove, mais les actions proposées par vraiment, et on reste axé uniquement sur le recyclage qui est pourtant une fausse solution…
C’est même pour beaucoup une manière consciente de rejeter l’urgence sous prétexte que ce n’est qu’une passade. La mode (vestimentaire par exemple) est en effet souvent décriée pour son côté futile et dérisoire. Associer l’écologie et la mode peut donc être une manière de se détacher de son caractère universel et indispensable, et n’en faire qu’un « petit plus » à ajouter aux activités de l’entreprise mais sans remettre en question fondamentalement la manière de faire. La non-compréhension de tout ce qui est en jeu est alors simplement balayée du revers de la main, parce que, pour résumer, « ce n’est qu’une préoccupation de bobo citadins aisés » à opposer à ceux qui sont dans le vrai monde (l’intervention d’une militante de l’association On est Prêts au MEDEF récemment est révélateur de cet aspect). Le greenwasing et socialwashing peuvent alors être des conséquences de la vision de l’écologie comme simple mode. Le client veut du responsable ? un emballage vert fera l’affaire !
Je trouve cette phrase finalement révélatrice du manque d’information de la population sur le caractère systémique des enjeux de climat, de pollution, de ressources etc… Cela illustre la difficulté à faire passer un message d’urgence, systématiquement vu comme catastrophiste et minimisé, quand il devrait au contraire être intégré profondément dans chaque choix de consommation et permettre d’aider chacun à imaginer un futur un peu plus désirable.
Loin d’être une mode, la prise en compte des impacts environnementaux à toutes les échelles devrait être notre principale préoccupation, par simple réflexe de survie.
Je n’ai pas encore trouvé la bonne réponse à cette phrase, et ce serait intéressant d’avoir un lexique des réparties à opposer aux arguments classiques contre l’urgence écologique, comme ce qui a été fait pour le végétarisme par la graphiste Anne Wiss ici .
Avez-vous d’autres exemples de ces répliques, tellement simples mais chargées de sens et auxquelles il est si difficile de répondre ? (quels que soient les sujets, ça m’intéresse ! ;) )