Conférence AI for Humanity : de l'"éthique", mais aussi du "business"
ETIENNE LAURENT/AFP/Getty Images

Conférence AI for Humanity : de l'"éthique", mais aussi du "business"

Cette semaine, l’intelligence artificielle (IA) était au cœur de l'actualité. Cédric Villani a remis son rapport, commandé par le gouvernement en septembre. France Stratégie a publié une seconde étude, dédiée aux effets de cette technologie sur l'emploi. Enfin, Emmanuel Macron a présenté son plan pour faire de la France un leader de l'IA. Ces publications et annonces ont été abondamment relayées. Voici un article de Frenchweb sur le rapport Villani, un autre de La Tribune sur l'étude France Stratégies, et un dernier des Echos sur le discours d’Emmanuel Macron.

Entre ces “blockbusters”, un événement est passé presque inaperçu. Il s’agit de la matinée de conférences intitulée “AI for Humanity” qui a précédé les annonces du Président de la République. Pourtant, l'événement a réuni la fine fleur de l’intelligence artificielle. Les écouter permet de mieux comprendre les enjeux cachés derrière cette révolution technologique que tous les professionnels sont en train de vivre. Récit.

Jeudi 29 mars, 8 h 45. Un militant distribue un tract devant le Collège de France. “Macron dit qu’il défend la francophonie, mais il appelle cette conférence ‘AI for Humanity’. Vous trouvez ça normal?”, répète-t-il inlassablement. Les participants ne s’en soucient pas. De toute façon, la majorité des intervenants du jour sont anglophones: ce sont des chercheurs et acteurs mondialement reconnus dans le milieu de l'intelligence artificielle.

Il y a par exemple Demis Hassabis, père d’AlphaGo, le logiciel qui a battu le meilleur joueur du monde au jeu de go. Sam Altman, président du prestigieux incubateur Y Combinator. Ou encore Stuart Russell, informaticien auteur d’ouvrages de référence de la discipline. Il y a aussi Yann LeCun, directeur de la recherche en IA chez Facebook. Ce Français diplômé de l’ESIEE a été débauché par le réseau social en 2013, juste après avoir fait décoller le deep learning (enfin, apprentissage profond), la technologie à l’origine du boom d’intelligence artificielle actuel.

Arrêter de croire les algorithmes

Dans l’amphithéâtre, les débats démarrent. “Nous vivons une époque formidable, estime Laurence Devillers, roboticienne spécialiste de la communication humains-machine. Mais certains sujets effraient. Au Japon, une société a fabriqué un assistant virtuel qui mime le comportement d'un humain, un peu comme dans le film Her. Il y a aussi les chatbots qui copient les personnes décédées. Il faut réfléchir aux conséquences dès maintenant.”

Pour Cathy O’Neil, mathématicienne auteure de On Being a Data Skeptic, “nous devons arrêter de croire les algorithmes”. Elle ré-explique à l’assistance (même si elle est largement composée de chercheurs et de passionnés d'IA) le b.a.-ba du deep learning: les algorithmes repèrent des "succès" dans de gigantesques bases de données, puis cherchent à les reproduire. “Ces logiciels ne sont pas basés sur des faits, mais sur des lois dictées par ceux qui les élaborent, explique-t-elle. Ils automatisent l’histoire, dupliquent le passé. Par exemple, les algorithmes de recrutement reproduisent la discrimination à l’embauche. Si le passé était parfait, tout irait pour le mieux. Mais c’est loin d’être le cas."

Le désir de technologie plus fort

Un avis partagé par Sam Altman, président de Y Combinator: “Il faut faire en sorte que cette révolution technologique bénéficie à tous. Sinon, notre société future sera complètement inégalitaire". Ainsi, l'incubateur américain finance une expérimentation de revenu universel auprès d'une centaine de familles à Oakland, près de San Francisco.

Mais, si tous les intervenants s'accordent sur les dangers liés à l'émergence de l'IA, il n'est pas question de faire marche arrière. “Les citoyens veulent de la justice et de l'égalité, poursuit Sam Altman. Mais, dans l’histoire de la technologie, à chaque fois qu'une nouvelle avancée a rendu la vie plus facile et moins chère, le désir de cette technologie a été plus fort que tout. Et c’est une bonne chose. Cela fait qu’aujourd’hui, une majorité de la population est sortie de la pauvreté.”

Ran Balicer, directeur du Clalit Research Institute, laboratoire de recherche d’un géant israélien de la santé, abonde dans son sens: “Connaissez-vous la troisième cause de décès dans les hôpitaux? Ce n’est pas un virus ou une bactérie, mais l’erreur médicale. Alors oui, le développement de l’intelligence artificielle dans la santé entraîne des risques: comment protéger les données personnelles des patients? Comment se préserver des attaques informatiques? Mais, selon moi, le vrai risque est le statu quo. Des gens meurent tous les jours de ce statu quo. Or les algorithmes sont d’ores et déjà capables d’améliorer la précision des diagnostics et de personnaliser les offres de soin."

Une IA à l’image de ses créateurs

Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat chargé du Numérique, pense que éthique et business sont tout à fait compatibles. “Quand tous les citoyens utiliseront leur droit à rapatrier leurs données, les choses changeront, estime-t-il. Une fois récupérées, ces données peuvent être gardées, cumulées, mises à disposition d’une entreprise ou d’une communauté.” En clair, ce mouvement permettrait de favoriser une entreprise plutôt qu'une autre. Puisque, sans les données, impossible de développer un logiciel réellement intelligent.

“L'intelligence artificielle ressemblera à ceux qui la créeront, avec leurs valeurs et leurs biais, poursuit Mounir Mahjoubi. La France a donc un vrai rôle à jouer, car nous avons un bel équilibre entre haut niveau de technicité et valeurs.” Mais “il ne faut pas que la France devienne une spécialiste de l’éthique pendant que les autres pays font du business”, lance, provocateur, Antoine Petit, le PDG du CNRS. Il faut faire de l’éthique et du business.”

Car, en attendant, les talents français de l’intelligence artificielle vont mettre leurs neurones à disposition des géants étrangers. C’est d’ailleurs pour cela que Facebook a installé un centre de recherche dans la capitale française, dont les effectifs ont été doublés en janvier. “Facebook a choisi Paris pour sa concentration de talents et aussi pour son écosystème de startups et d'universités qui est en plein décollage", explique Yann LeCun, le patron de l’IA du réseau social, précisant tout de même que la possibilité de recruter des doctorants a aussi pesé dans la balance.

Un Google européen

Demis Hassabis, le créateur britannique d’AlphaGo, a accepté une offre de rachat de Google en 2014. “Cela nous a permis d’accélérer notre programme de recherche, analyse-t-il. Mais j’aimerais voir l’Europe construire son propre Google, et je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas possible. Nous avons les talents, les universités... Nous manquons peut-être un tout petit peu d’ambition, et aussi d’investissements.”

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, rebondit (en anglais): “Il est temps de décider d’avoir notre propre Google. Il est temps que l’on se réveille. Il est temps que l’on se dote des moyens financiers pour le faire. Je ne veux pas que la France fasse la même erreur qu'avec la robotique. Nous avons fait croire que plus de robots, c'était moins d'emplois. Bien sûr qu’il y aura des destructions d’emplois. Mais je suis persuadé que ce sont pays qui prendront le leadership en intelligence artificielle qui créeront le plus d'emplois".

Quelques minutes plus tôt, Sam Altman, président de Y Combinator, avait affirmé: "Penser l'IA en terme de compétition entre les pays est dangereux. Pour développer cette technologie de manière juste, il ne faut surtout pas se précipiter. Car dans une course, les concurrents pensent à aller vite, pas à se protéger."

-- Tiffany Blandin

Johanna VIENOT

Exhibition manager/community manager

5 ans

Retrouvez un événement d’envergure internationale : www.siaevent.fr

Florian Bourguignon

Employee Engagement Specialist | Supporting CSR Managers turn sustainability into a team adventure 🌍 Engage your employees in climate actions with our app—link in bio 👇 Creating inspiring content on sustainability 🌱

5 ans

Pour élargir le prisme d'horizon sur l'utilisation de l'IA en France et mettre en perspective le travail de Mr Villani sur la question, je vous invite à regarder cette vidéo : https://buff.ly/2ITLJmu Ça fait réfléchir...

Bernard Daurensan

Mandataire Ad Hoc chez Meta Performance

6 ans

Atterrissons!! Cessons de demander aux mathématiciens de faire de la philosophie et d'enseigner l' Ethique, cessons aussi de penser que les politiques peuvent rcréer un Google Français demandons à tous ces "experts" de laisser aux entrepreneurs un espace de liberté suffisant. N'oublions pas le "plan Calcul". Il était antérieur à la naissance des grandes entreprises "US".

Claire Calmettes

Art-thérapeute certifiée RNCP

6 ans

C'est soit utopique, soit irresponsable de croire que l'IA sera une "révolution technologique qui bénéficiera à tous" ! Tout comme il est présomptueux d'annoncer que "la majorité de la population est sortie de la pauvreté", s'il s'agit bien ici de la population mondiale et non de celle d'un pays en particulier. Et croire que la France pourra être leader de l'IA est d'une grande arrogance devant les années d'expérience des autres nations ici citées. Par contre, si Facebook et Google veulent investir en France, cela serait intéressant de savoir en contrepartie de quoi. A la lumière de la récente actualité du scandale Facebook, on peut se demander si cela sera vraiment bénéfique. Si ce scandale une révélation pour certains, il met enfin en lumière de graves dysfonctionnements connus par de nombreux observateurs et qui atteignent notre liberté individuelle dans ce qu'elle a de plus profond. La pauvreté mondiale est loin d'être éradiquée. Et il existe déjà une ségrégation numérique. Alors quant à parler de l'IA... Cela dépend toujours du point de vue de départ quand on fait un constat : le fait-on à partir de chiffres, d'études sans doute très fournies d'experts et de spécialistes... ? Mais connait-on vraiment la réalité sur le terrain, dans le quotidien des utilisateurs, le nombre croissant de personnes âgées et de laissés pour compte, pour qui l'informatique est une langue étrangère et à qui on demande de plus en plus systématiquement de remplir leurs dossiers sur internet.... ? Alors pour qui le progrès, et le progrès est-il synonyme d'évolution intellectuelle, sociétale, morale ? Pour ma part, il me semble sûr et certain que l'on aura d'abord besoin d'éthique avant le "business". C'est sans doute cela la particularité de la France.

Laurence Timmerman

Chef de projet - Conseil RH et conduite du changement

6 ans

Il est de notre responsabilité de veiller à ce que l'Intelligence Artificielle demeure, réellement et durablement, au service de l'Humain, pour le bien de tous et de la planète. D'où la nécessité et l'urgence à réfléchir à la question de l'Ethique, en lien notamment avec notre projet sociétal et les données écologiques.

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