Aimez-vous les gros pavés littéraires ?
L’histoire de la littérature abonde en coïncidences, parentés insoupçonnées, courants souterrains... prenant parfois des apparences de plagiat (voir L’Histoire de Pi). J’ai moi-même lu plusieurs livres ressemblant comme deux gouttes d’eau à certains de mes manuscrits refusés par la même maison d’édition. Ou une autre. J’ai d’abord crié au plagiat, puis je me suis rendu compte que les idées circulent librement entre les têtes, et qu’on aurait pu m’accuser moi-même de plagiat pour des textes reprenant des thèmes traités antérieurement par des auteurs que je n’avais pas lus. Par ailleurs, les «reprises» ne sont pas plus interdites en littérature que dans n’importe quelle discipline artistique, à condition que la source d’inspiration soit notoire ou mentionnée et que la nouvelle mouture apporte une pierre de plus à l'édifice.
Cette coïncidence-ci ne pouvait donc que me frapper. Je lis dans Le Devoir de ce samedi que Paul Auster publie chez Leméac/Actes Sud une brique de 1020 p. intitulée 4321. Il y est question d’un immigrant russe qui a changé son patronyme pour celui d’Archibald Isaac Ferguson, qui écrit, et dont on suit les quatre destins possibles à travers les grands événements de l’histoire américaine. Pas plus tard qu’hier soir je refermais la dernière page d’un livre que je vous recommande très très vivement : 2666, par Roberto Bolano (2004). Il y est question d’un écrivain allemand qui a changé son nom pour celui de Benno Von Archimboldi et dont on suit la trace à travers cinq prismes différents, de la Seconde Guerre mondiale au quotidien actuel de la Mexamérique.
« La littérature constitue un appel fondamentalement dangereux.»
Fascinés par l’œuvre d’un énigmatique écrivain allemand, quatre universitaires européens se lient d’amitié. Trois d’entre eux partent sur ses traces à Santa Teresa, aux confins du Mexique. Ils y découvrent une ville hantée par les meurtres en série : trois cents femmes ont été retrouvées mortes, violées et mutilées. Et les assassins sont toujours en liberté.
Encensé par la critique internationale comme l’événement littéraire de ce début de siècle, «2666» est le dernier roman écrit par Roberto Bolano. En s’inspirant d’un atroce fait divers, il offre un parcours abyssal et passionnant à travers une culture et une civilisation en déroute. Du vaudeville au récit de guerre, du roman policier au récit fantastique, du comique de situation à l’épopée, «2666» étreint la littérature et incarne ce qui la justifie : le défi de dire l’horreur, l’absence de sens, mais aussi l’amour.
(4e de couverture)
J’ai hâte de lire le dernier Paul Auster, mais j’insiste : 2666 est un régal. Même quand il ne se passe rien, on est incapable de le lâcher, envoûté par ce mélange de force brute et d’élégance, par ce ton inimitable des auteurs latino-américains et de Bolano en particulier. Un grand cru !