Alice Duvert, sous le signe de l’eau : « Je travaille le vivant ».
Avec son projet de module flottant végétalisé et bioclimatique SUR LES VAGUES, l’architecte paysagiste Alice Duvert travaille à ce qui est bénéfique aux oiseaux, aux mammifères et à la nature sur le long terme. Et porte une attention particulière à tout ce qui est « non-humain ».
Alice Duvert dit « sapiens » quand elle parle des humains. À 7h30 au matin de notre rencontre, elle sauvait un batracien avec les équipes de ProNatura pendant que nous ingurgitions notre 4ème café noir. Elle connaît chaque recoin, chaque plante, chaque être vivant de sa terre du nord jurassien, elle maîtrise le régime hydraulique pluvio-nival des ruisseaux, parle stress hydrique et récupérateurs de pluie dans les pâturages et s’inquiète du manque d’eau.
« Je ne pensais pas un jour me poser la question de l’eau potable, confie l’architecte paysagiste récemment diplômée de l’HEPIA, la Haute école du Paysage, d’Ingénierie et d'Architecture de Genève. Avec le changement climatique, on constate que l’hiver va devenir la saison des hautes eaux tandis que l’été sera à sec. D’ici 25 ans, là où j’habite, il n’y aura plus d’eau potable en juillet et en août, les nappes phréatiques du pied du Jura vont baisser de niveau jusqu’à être à sec et nous serons obligés de nous alimenter par l’eau du Lac Léman, comme quasiment toutes les communes du coin. »
L’eau, élément noble et cœur du projet.
Ne pas sentir ici une once de complainte. Pas le temps, des solutions existent, d’ailleurs Alice Duvert s’engage à plusieurs niveaux, notamment municipal, en tant que conseillère : « je milite pour que nous gardions l’eau potable en ligne de mire ; les communes ici sont sensibles à cela et nous essayons de favoriser les investissements stratégiques. » ; bénévole, chez ProNatura, et aussi par le biais de Desbois-Duvert, le cabinet d’architecture du paysage qu’elle a lancé avec Vincent Desbois, directeur de travaux, diplômé Tecomah, et qui prône l’harmonie et l’équilibre naturel dans les espaces vivants, qu’ils soient jardins, friches industrielles ou squares oubliés. « Dans le paysage, l’eau est un élément toujours intéressant à travailler, fascinant, très vivant et qui apporte énormément de symboles. Flatteur dans tous les jardins et parcs publics, l’élément de l’eau est dur à travailler. Mais si on maîtrise les éléments techniques, on gagne à tous les points de vue : en service bioclimatique, en esthétique et même en interaction sociale. »
« Les gens se posent toujours au bord de l’eau pour discuter : au bord d’un lac, d’une fontaine, d’une rivière, dans n’importe quel espace. »
SUR LES VAGUES, la plage.
Le projet le plus innovant sur lequel Desbois-Duvert travaille est un espace public flottant, végétalisé et modulable. Incubé 18 mois chez -Pulse Incubateur HES à Genève, baptisé SUR LES VAGUES, c’est avant tout un module technique pérenne, en pleine eau, résistant en hiver, dont le but est de redonner un accès au lac, un espace de biodiversité unique « qui se détache de l’endroit où les humains seront présents ».
C’est sur les bords du lac côté Vevey que se forge ce projet d’envergure. « Le lieu était imposé par l’HEPIA et l’accès aux rives y est abrupt, détaille celle qui n’a plus touché à une bouteille minérale depuis 2005. C’est pertinent de proposer une installation lacustre publique qui change un peu des espaces bétonnés habituels qui ont peu à peu délogés les animaux, les herbiers. »
À l’état de prototype, SUR LES VAGUES propose deux lieux : une première passerelle légère et végétale destinée à accueillir « sapiens », et une autre, plus loin, réservée au non-humain et dont on pourra admirer de loin la beauté et la richesse de la biodiversité. « Quand on pense que les grands travaux du Rhône s’appellent les Corrections ! »
Recommandé par LinkedIn
Une vision poétique des bords du lac.
La vision au départ était esthétique. « Sous les tropiques, il y a beaucoup de plantes flottantes comme les jacinthes d’eau, détaille la paysagiste. Cela crée naturellement des paquets qui dérivent sur les fleuves ou les masses d’eau. C’est très poétique car on voit cette île qui dérive, avec un arbre, des oiseaux... c’est une image sublime de poésie. Je voyais des différences de hauteur, quelque chose de plus lumineux et plus sensible aux saisons que les roselières. »
Certains oiseaux feront une halte. L’été, ce seront les jeunes canards qui monteront dessus, cela les éloignera des prédateurs, en hiver, ce sera plus nu avec plus de lumière « comme calligraphié ».
Le formidable soutien de -Pulse Incubateur HES.
SUR LES VAGUES a été hébergé dix-huit mois au sein de l’éclectique -Pulse Incubateur HES à Genève. En tant que porteuse de projet et en pleine reconversion professionnelle, Alive Duvert -auparavant dans l’audit financier (« je n’y voyais plus aucun sens ») - y a trouvé et puisé « un énorme soutien psychologique » pour ce « gros challenge ». La transversalité entre porteurs de projets, diplômés, coachs et les laboratoires de recherche des différentes hautes écoles a constitué un formidable accélérateur.
« Les locaux sont tops, partage-t-elle avec son sourire communicatif. Ils sont intelligemment pensés et placés de manière idéale avec les chercheurs avec lesquels je travaille. Le coaching de Pascal Bourgier dont j’ai bénéficié aide aussi à mieux diriger le projet, à penser à des choses auxquelles on n’aurait pas pensé. J’ai également eu beaucoup de contacts avec des personnes à qui je n’aurai pas eu accès. J’y ai rencontré une nouvelle associée, Léa Jacquier, doctorante en biologie végétale. »
En mars dernière, SUR LES VAGUES y a reçu le prix Coup de -Pulse, vient récompenser l’équipe qui s’est particulièrement distinguée durant le premier semestre d’Impulsion.
Également soutenu par l’agence suisse pour l’encouragement de l’innovation Innosuisse, le projet d’Alice Duvert et Vincent Desbois vise maintenant des subventions fédérales, souhaite décrocher un financement de recherche pour travailler la liaison entre les îlots et fabriquer un démonstrateur dans le lac, grâce à un fabriquant qui les accompagne à Etoix (VD).
L’enjeu est de mettre le démonstrateur à l’eau, de procéder aux allers-retours entre chercheurs et fabriquant et vérifier le développement végétal. « Le projet vivra lentement, mais l’espace-temps est lui-même assez long » conclue-t-elle, de sa voix douce et assurée. Une brise printanière vient ponctuer notre rencontre.
Au loin un saule pleureur verse ses élégants rameaux sur la rive, s’abreuvant d’une eau encore fraîche. Une cane et ses huit canetons plongent à la recherche d’une nourriture frétillante. La nature aujourd’hui est d’une beauté fascinante. Reste maintenant à suivre le fil de l’eau, sur les vagues.
Elsa Duperray
vivement que nos bords de lacs soient remplis par ces modules flottants végétalisés !!!