Alice et Jean et l'extraconjugalité
Eric Smadja
A partir de mon ouvrage collectif "Couples en psychanalyse" que je vous ai présenté aujourd'hui.
Une problématique historique et contemporaine si peu explorée en profondeur, à mon sens.
Ils sont venus me consulter dans une situation bien critique, adressés par un sexologue qui suivait Jean. Alice vit une relation extraconjugale qui devient insupportable pour Jean car elle n’aurait pas dû évoluer de cette manière selon lui et selon les « accords décidés ensemble préalablement ».
Quelques éléments historiques et biographiques
Sur le couple
Ils se rencontrent il y a 20 ans à Paris lors d’un dîner avec des amis. Alice est alors âgée de 22 ans, séduisante esthéticienne vivant en Belgique. Jean a 35 ans, négociant en vins, divorcé, un enfant dont il n’a pas la garde, très riche à cette époque. Il vit un coup de foudre, ce qui n’est pas partagé par Alice qui ressent cette première rencontre différemment. Néanmoins, elle est attirée par cet homme rassurant, très intelligent, généreux et fiable, sur lequel elle pourrait se reposer. Tandis que pour Jean, Alice est une si belle femme. Hormis sa sensualité et son intelligence, il a été ému et touché par sa sensibilité et sa fragilité. Leur histoire débute alors très rapidement, Jean envahissant Alice de cadeaux et de discours amoureux. Ils s’installent très vite ensemble. Il en est d’autant plus surpris qu’il n’avait pas envisagé de « refaire sa vie » mais plutôt d’avoir des histoires sans grande importance. Quoi qu’il en soit, il était inenvisageable qu’il se remariât. Et pourtant !
Au sujet de cette vie de couple, elle exprime tout de même une certaine réserve mais néanmoins l’accepte. Elle conservera toutefois une forte ambivalence dont la composante hostile demeurera inconsciente et bien contre-investie, mais pour un temps indéterminé. Elle exprime très vite un désir d’enfant auquel il ne s’oppose guère. Naîtront ainsi Jules, puis Claire, trois ans plus tard, et Alice s’y consacrera pleinement, au risque de perdre son autonomie. Ils vont vivre des années conjugales et familiales très heureuses, a priori. A distance, Alice prendra conscience d’une certaine aliénation tant dans son couple que dans sa vie familiale, ce qui déterminera son entrée dans une période de crise profonde, personnelle et conjugale. Tandis que Jean va vivre de graves difficultés professionnelles s’accompagnant d’une forte baisse de ses revenus. Ils quitteront la France pour le Canada où il tentera de « se refaire une situation ». Il y parviendra partiellement, mais la crise conjugale est sévère et profonde. Elle évoque la séparation et il ne supporte pas cette idée au point de vouloir se suicider. Ils consultent un thérapeute de couple puis entreprennent un début de thérapie qui s’interrompra prématurément. Après quelques années, ils retournent en France, seulement avec Claire, devenue une adolescente de 15 ans, tandis que leur fils Jules, alors âgé de 18 ans, poursuit ses études. A Paris, c’est la crise conjugale qui perdure et s’intensifie. Après avoir repris des études quelques années auparavant, Alice est devenue puéricultrice. Elle a très vite trouvé un emploi dans une crèche, tandis que Jean se retrouve sans emploi, dans une situation financière très précaire. C’est dans ce contexte qu’elle évoque le désir d’une relation extraconjugale. La rencontre de son amant, « autorisée » et « offerte » par son mari et la prolongation « imprévue » de cette relation extraconjugale vont aggraver d’autant plus la crise conjugale. En effet, la durée inattendue de cette relation ne convient pas à Jean et l’inquiète. Il a demandé à Alice de l’interrompre, mais elle s’y oppose, ne le peut pas. Elle est dans le doute. Elle se sent perdue, indécise, tiraillée entre la pression de son mari et les manipulations perverses de son amant, qui lui sert aussi d’instrument de distanciation, d’affranchissement et de pouvoir de décision par rapport à l’emprise exercée par son mari. C’est dans ce contexte qu’ils me consultent.
Alice
Née en France, aînée d’une fratrie de deux enfants, avec un frère plus jeune de deux ans, sa mère tombe rapidement malade et sera trop fréquemment hospitalisée en hôpital psychiatrique pour des décompensations dépressives. Sa maladie est assez tôt diagnostiquée. Alice est toute jeune quand son père les abandonne. Devant cette situation, ils partent en Belgique chez sa grand-mère maternelle qui jouera un rôle majeur dans son enfance et adolescence. Elle s’occupera de ses petits-enfants car la mère en sera incapable. Mais cette grand-mère est dans le contrôle et l’emprise qui deviendront insupportables à Alice. Elle quittera le plus tôt possible cette ambiance familiale pathogène, source de dangers et d’insatisfactions multiples. Après son baccalauréat, elle entreprendra des études d’esthéticienne tout en faisant des « petits boulots », rencontrera des hommes, sans désir de construire une vie de couple jusqu’à sa rencontre avec Jean. Mais même avec lui, elle ne désirait pas de vie couple au début, étant indécise et probablement avec la crainte de s’y enfermer et de se sentir de nouveau sous emprise. Cette enfance désastreuse d’Alice, marquée par une très probable dépression, semblait alors irréparable. Son couple avec Jean et son désir de maternité devront donc réparer la petite fille fortement endommagée par les carences parentales primaires ayant déterminé des traumatismes narcissiques précoces demeurés non élaborés. La fonction antidépressive du couple et de la maternité s’avérant alors manifeste.
Jean
Il est né dans une famille dont le père, juif d’origine polonaise, a été déporté dans un camp de concentration durant la seconde guerre. Présenté à la fois comme un héros et un coureur de jupons, il a infligé à Jean quelques mauvais traitements qui font de lui l’objet d’une forte ambivalence. Sa mère est décrite comme inintéressante, distante, peu affectueuse. Jean est situé au milieu d’une fratrie de trois frères qui ont pour la plupart acquis une situation professionnelle satisfaisante. Après des études supérieures de commerce et d’œnologie, il deviendra un négociant en vins prospère. Il a donc souffert d’un manque d’amour de la part de sa mère – qu’il fallait partager avec ses frères, engendrant une rivalité féroce, – et de violences de son père, autant admiré qu’haï. Il ne lui pardonnera pas, par ex., qu’il ait pu faire souffrir sa mère par ses nombreuses aventures extraconjugales. Il s’est marié à l’âge de 25 ans et est devenu père d’un fils. Cependant, il se séparera assez tôt et redeviendra célibataire, ne souhaitant plus se remarier et encore moins avoir d’autres enfants.
Structuration de leur couple et aspects inter-transférentiels
Leur rencontre fut thérapeutique, à finalité principalement réparatrice et antidépressive. C’est probablement le principal « contrat groupal » de leur alliance inconsciente dite défensive (Kaës, 2009). Il s’agissait pour tous deux de réparer traumatismes, souffrances et manques, de nature essentiellement narcissique, ayant engendré des affects dépressifs, par l’objet amoureux et par leur couple. C’est ce que j’ai découvert assez vite au cours de notre travail et je leur ai communiqué très tôt cette interprétation, sans doute prématurée compte tenu de leur évolution.
En effet, Alice, à travers sa maternité, réparait les carences maternelles primaires. Comment ? En s’identifiant à ses enfants, sur le mode de l’identification projective, et en jouant le rôle d’une bonne mère, elle répare tout à la fois sa mère défaillante et, en tant qu’enfant, profite enfin des soins bienveillants et fiables d’une « véritable » mère. Ce qui explique pour une part l’investissement massif de sa fonction maternelle, séduisant ainsi profondément Jean. En outre, la présence de son mari, bien que très contrôlante, ce dont il n’est pas conscient, répare aussi le vécu d’abandon paternel d’Alice. Cette composante transférentielle paternelle, quoique surestimée et surinvestie par Jean, joue un rôle notable. Mais elle s’associe à un transfert grand-maternel, par ce contrôle et cette emprise que vit douloureusement Alice, avec au demeurant, quelque ambivalence. En effet, je devine l’existence d’une haine inconsciente d’Alice à l’encontre des hommes issue d’une haine première dirigée à l’encontre de son père qui l’a et les a abandonnés. Pour ne pas évoquer également l’existence de puissantes motions de haine envers sa mère incompétente et défaillante. Quant aux besoins de réparation de Jean, l’amour exclusif d’Alice doit combler le manque que lui a infligé sa mère, source de blessures narcissiques restées béantes. Cependant, ces aspects réparateurs de leur organisation psychique conjugale n’effaceront pas le courant profond de haine inconsciente, persistante et fortement contre-investie par un amour exprimé consciemment, essentiellement par Jean. La haine infantile à l’égard de sa mère est indestructible et transférée sur Alice, mais d’autant plus contre-investie par un amour et des attentes d’exclusivité, comme par des attitudes de possessivité. Ainsi, cet amour est dominé par une forte composante anale. C’est pourquoi ce qui les réunit, outre un besoin de réparation, c’est également une haine inconsciente du parent de sexe opposé transférée sur le partenaire et fortement contre-investie par des motions tendres et érotiques. Plus précisément, nous comprenons qu’ils partagent tous deux une profonde et intense haine inconsciente dirigée à la fois vers le parent de sexe opposé et vers celui de même sexe.
Hormis leur besoin commun de réparation, ils sont aussi animés d’un fantasme œdipien inconscient, commun et partagé, de triomphe sur les parents défaillants : « Nous serons de meilleurs parents que nos propres parents » suggérant la constitution d’une alliance inconsciente offensive (Kaës, 2009) et s’ajoute à cela, pour Jean, celui d’être un bien meilleur mari avec sa femme que son père avec sa mère. Et pour Alice, d’être une meilleure mère que sa propre mère, de même que d’être une femme capable de garder son mari, contrairement à sa mère. Mais également pour chacun d’eux, de posséder pour soi exclusivement, le parent de sexe opposé.
La problématique de l’extraconjugalité occidentale contemporaine
Que penser et comment penser ces matériaux cliniques, « occidentaux contemporains », offerts par ce fragment d’histoire du couple, Alice et Jean ?
Au préalable, nous ne savons quasiment rien de la nature et du contenu de cette histoire extraconjugale : est-elle de nature exclusivement érotique, comme elle avait été antérieurement « programmée » ? Hormis des bénéfices narcissiques certains, comporte-t-elle une dimension tendre, des aspects affectifs diversifiés et nuancés, intellectuels et culturels partagés, en particulier. Ou encore, s’agirait-il des débuts d’une véritable histoire amoureuse ?
Ce qui nous interroge au demeurant sur la formulation d’une définition pertinente de l’extraconjugalité, sa nature, son contenu, la circonscription nécessaire de son champ, donc son polymorphisme, mais aussi sa probable polyvalence fonctionnelle de même que sa surdétermination. Tout cela est à penser aussi, d’une part, en fonction d’une différenciation des sexes, d’autre part, en fonction de l’âge de chacun des partenaires et de celui du couple
Nous observons que l’aventure extraconjugale d’Alice s’inscrit manifestement dans un cadre multiple :
- celui de sa propre histoire scandée par des étapes critiques et mutatives, dont celle qu’elle traverse depuis quelques années : en effet, Alice est très probablement en cours de remise en question et vit des changements psychiques sur fond d’éléments dépressifs.
- celui de son histoire conjugale avec son mari, marquée également par une période critique liée à un certain nombre de facteurs parmi lesquels : la situation professionnelle et financière précaire de Jean déterminant la désidéalisation d’une figure paternelle admirable et fiable, mais aussi une insécurité réactivant des angoisses et traumas précoces ; l’adolescence de leurs enfants réveillant les douleurs de la sienne, le chemin vers leur autonomisation qu’elle vit probablement comme un nouvel abandon et la perte d’un rôle maternel si valorisant ; un nécessaire remaniement de leurs alliances conjugales et de leur fonctionnement ;
- celui du transfert sur son mari, au sein de l’inter-transfert conjugal, et ses diverses figures.
En outre, rappelons qu’il s’agit d’une histoire extraconjugale élaborée tant par Alice que par son couple, donc une construction conjugale où Jean participe activement et de diverses manières, réveillant ainsi leur problématique œdipienne. Si l’une des significations de cette aventure extraconjugale, mise au jour, fut pour Alice de prendre de la distance par rapport à son mari, d’échapper à son désir de maîtrise et d’emprise et d’entamer un véritable mouvement de séparation-individuation puis de subjectivation et d’affirmation narcissique prenant la forme d’une revendication phallique, cette fonction défensive est alors un échec. D’autres fonctions et significations sont bien envisageables. Notamment, la recherche personnelle de satisfactions narcissiques, érotiques, d’ordre prégénital et génital, mais aussi tendres. Ce qui interroge la problématique de la séduction, du désir et de la séduction chez ce couple, au stade de leur histoire et eu égard à leurs attentes et besoins mutuels. Nous avons également identifié des aspects dépressifs chez Alice qu’elle pourrait traiter par un « tiers extraconjugal », de même qu’un mouvement sadique dans l’attitude d’Alice à l’encontre de Jean, par la durée de son histoire et l’exercice du pouvoir de décider de la poursuivre ou de l’interrompre. Ce qui l’aide certainement aussi à une restauration narcissique, bien nécessaire.
Cette forme d’extraconjugalité vécue par Alice doit aussi être envisagée dans le cadre de leur travail de couple. Aussi, exprime-t-elle un échec de leur travail de couple ? Et de quel échec s’agirait-il ? Quel en serait sa nature et dans quel secteur de leur vie conjugale se manifesterait-il, corporel-sexuel, socioculturel ou psychique ? La fonction conjugale de réparation, traduite par un fantasme inconscient de symbiose qui traite leurs angoisses d’abandon et restaure leur narcissisme, serait-elle en cause, de même que le fantasme commun et partagé de triomphe œdipien sur leur couple parental et sur le parent de même sexe ? En outre, si l’on peut parler d’un échec de leur travail de couple, existait-il depuis nombre d’années, sans autre expression patente ?
Il nous semble plutôt qu’Alice aurait privilégié son travail de couple au détriment de son travail individuel , donc au service de ses « propres intérêts », par défaut de subjectivation, en particulier, d’où un déséquilibre entre ces deux composantes psychiques chez Alice, ce qui n’est pas le cas chez Jean, du fait de ses investissements professionnels prévalents. De plus, l’emprise exercée par Jean a altéré leur fonction mutuelle de réparation. Leur fantasme symbiotique s’est transformé en « prison conjugale » pour Alice et en amour sur le mode régressif anal de la maîtrise et de la possession de l’objet pour Jean. En cela, il y a en effet échec de leur travail de couple. De plus, les difficultés professionnelles rencontrées par Jean ont eu des incidences sur la vie conjugale et familiale, de même que sur les représentations et investissements d’Alice à l’endroit de son mari. Il l’a déçue et inquiétée. Il n’est plus aussi fort ni fiable. Nous imaginons que chez ce couple, et notamment chez Alice, les antagonismes entre Moi / objet amoureux, Moi / objet-couple, identité / altérité, narcissisme / objectalité et masculin /féminin se sont plus particulièrement exacerbés et ont fait crise, compte tenu de l’évolution personnelle, psychique et socioculturelle de chacun aux incidences conjugales inévitables.
Quelques réflexions psychanalytiques sur la polysémie de l’extraconjugalité
Outre la voie de satisfaction pulsionnelle, narcissique et /ou libidinale, répondant à des manques et à des attentes frustrées, l’extraconjugalité constitue également une solution défensive, protectrice à l’égard de quelques dangers d’ordre dépressif, mais aussi fantasmatique, prégénital et/ou œdipien, s’inscrivant dans un registre inter-transférentiel et groupal. Ce que nous avons identifié chez Alice qui tentait de traiter un état dépressif infantile réactivé récemment, et d’échapper à l’emprise de Jean participant à la construction d’une « prison conjugale », expression pervertie du fantasme symbiotique commun et partagé. En conséquence, l’extraconjugalité présente une organisation bipolaire, avec sa dimension de satisfaction et sa dimension défensive, non exclusives l’une de l’autre, et qui renvoie, au reste, à la bipolarité du choix d’objet conjugal.
Développons enfin cette polysémie individuelle et conjugale de nature psychique.
L’ « acting extraconjugal » ou aventure ou histoire amoureuse extraconjugales peuvent surgir à différents moments de l’histoire du couple, chez l’homme et /ou chez la femme.
En effet, il ou elle peut survenir à titre préventif, pour limiter d’emblée la densité de la relation amoureuse, donc comme modalité protectrice contre des fantasmes prégénitaux tel que celui d’être absorbé, dévoré par l’objet amoureux et celui d’être envahi par l’objet-couple. Ce qui conduit à multiplier les partenaires secondaires.
En dehors d’une période critique, individuelle ou conjugale, si le partenaire le ou la donne à voir et à savoir, avec une dimension exhibitionniste, cela peut s’inscrire dans le cadre d’un jeu pervers, tant exhibitionniste-voyeuriste que sado-masochiste, avec son conjoint, que celui-ci peut rejeter ou accepter implicitement. Dans ce dernier cas il pourra, par identification à son partenaire, en tirer une satisfaction fantasmatique – ce scénario répondrait alors à une distribution inconsciente des rôles où l’un est désigné pour agir le fantasme de l’autre, (fonction phorique de Kaës, 2007), les deux se satisfaisant selon deux modes différents, direct et fantasmatique. C’est la situation d’Alice et Jean.
En revanche, s’il ou si elle reste secret(e), sans dimension conjugale notable, il pourrait avoir une signification symptomatique plus individuelle, telle qu’une modalité défensive contre l’angoisse de castration, une relation orale primaire perturbée se traitant par une relation génitale compulsive, un désir de conquête ou la crainte du fantasme incestueux.
Il peut aussi se comprendre par une insatisfaction débutante, avec impossibilité d’introduire des composantes perverses dans la vie érotique conjugale, donc de satisfaire certains fantasmes.
En période de crise, individuelle et/ou conjugale, s’il y a fragilisation personnelle, mouvement dépressif ou disconfirmation narcissique par le partenaire, il/ou elle peut rechercher cette réassurance et/ou cette confirmation narcissiques perdues auprès d’un(e) autre. Dans ce cas, la quête d’apport et de confirmation narcissiques prévaut sur la satisfaction érotique.
Il peut en résulter des effets bénéfiques, notamment de relibidinisation des liens conjugaux, donc revitalisant le couple installé alors dans un état d’extinction mortifère.
Mais l’on peut aussi rechercher un état amoureux perdu et impossible à revivre avec son conjoint, cette « lune de miel », cette « illusion groupale » largement émoussée. L’érotique se combine alors au narcissique.
Cet acting ou cette histoire peuvent également avoir une visée hostile, cherchant à disqualifier l’autre devenant un objet de haine, support de projection des parties mauvaises et récusées de soi. Dans l’histoire d’Alice et Jean, nous avons identifié l’existence commune d’une haine inconsciente fortement contre-investie tant à l’encontre du parent de sexe opposé que du même sexe. Aussi, l’histoire extraconjugale d’Alice pourrait aussi lui servir à satisfaire des motions hostiles refoulées dirigées contre les figures transférentielles paternelle et maternelle que représenterait pour elle, Jean.
Il ou elle peut survenir après la naissance d’enfant(s), les amants devenant des parents ; ce qui suppose un bouleversement de l’économie libidinale du couple, la nouvelle mère surinvestissant son ou ses enfants avec un possible et relatif désinvestissement, tant érotique que narcissique de son conjoint, dont la nouvelle figure de père réveillerait la crainte du fantasme incestueux et il pourrait en être ainsi, réciproquement, pour l’homme.
Chez Alice, il existe également un désir d’affranchissement du contrôle et de l’emprise de Jean, donc un désir de séparation-individuation, d’émancipation, mais surtout de subjectivation, qui prend un langage érotique, génitalisé mais aussi sadomasochique. Ce qui ne peut être verbalisé s’exprimera par ce type d’acting érotique notamment.
Evoquons également chez un partenaire conjugal hétérosexuel l’existence d’acting(s) ou d’histoire(s) extraconjugal ou extraconjugaux avec des partenaires homosexués. Cette situation complexe trouve un éclairage dans l’économie pulsionnelle de tout sujet, et ses remaniements au fil des évènements de sa vie, sous-tendus par la mobilité de ses investissements libidinaux, tant homosexuels qu’hétérosexuels. D’autres voies de compréhension seront bien évidemment à investiguer.
L’extraconjugalité contemporaine à la lumière d’une perspective pluri et interdisciplinaire
Ainsi, pour tout sujet, homme et femme, formant un couple, il convient d’envisager son rapport à lui-même, à son corps, au partenaire conjugal, au couple et au « monde des autres », l’ensemble des « personnages tiers », extérieurs au couple. Animé par la recherche de satisfactions multiples, l’extraconjugalité représenterait alors une des voies possibles pour tout partenaire conjugal, bien que celles-ci soient guidées par des normes de conduite, des prescriptions, des interdits, sous-tendus par des idéaux collectifs historiquement déterminés.
Ce qui souligne la dimension historique et socioculturelle de la polysémie et du polymorphisme de l’extraconjugalité. En conséquence, il convient de distinguer l’extraconjugalité dite historique et celle de nos couples contemporains.
La première ayant probablement une part socioculturelle et institutionnalisée, en particulier au sein de certaines catégories sociales telles que la noblesse et la bourgeoisie.
Tandis que chez les couples contemporains, les dimensions individuelle, sexuée, masculine et féminine, et conjugale, semblent prévalentes, confortées par les caractéristiques de notre société et ses valeurs dominantes qu’elle érige par la voie des médias : les métamorphoses de la femme et de l’homme, les rapports entre les sexes devenus égalitaires, la centralité nouvelle de la sexualité, la recherche de l’épanouissement personnel et d’une fidélité à soi-même, la valeur de mobilité et du changement, la médicalisation et la psychologisation de notre vie sociale véhiculant des modèles conjugaux, des normes de pensée et de conduite, l’affaiblissement de la morale extérieure et des institutions et pouvoirs traditionnels, garants symboliques. Les représentations, attentes et exigences à l’endroit du couple et du partenaire conjugal, donc leurs fonctions au service de satisfactions multiples, sont devenues par trop nombreuses et les frustrations inenvisageables.
Mais l’extraconjugalité, comme nous l’avons précisément plus haut, constitue également une solution défensive, protectrice à l’égard de quelques dangers psychiques vécus par le sujet.