Amiral Christophe Prazuck: «Le risque physique est inscrit dans notre ADN»
INTERVIEW - Le chef d’état-major de la Marine française revient sur la mort des deux commandos marine, dans la nuit de jeudi à vendredi, lors de l’intervention pour libérer deux otages français au Burkina Faso.
LE FIGARO.- Vous qui avez commandé les fusiliers marins et les commandos marine, comment avez-vous vécu l’opération qui s’est déroulée dans la nuit de jeudi à vendredi dernier au Burkina Faso, au cours de laquelle deux militaires du commando Hubert sont morts?
Amiral Christophe PRAZUCK. - On ne s’habitue jamais à la mort d’un camarade. Le dernier commando marine mort au combat est le maître Benjamin Bourdet, le 14 juillet 2011, en Afghanistan. Je commandais à l’époque la force des fusiliers marins et des commandos. Depuis, nous avons compté de nombreux blessés. Dans mes fonctions actuelles comme en 2011, j’ai été responsable de la sélection, de la préparation physique et morale de ces combattants exemplaires. Je porte, la Marine porte, désormais la responsabilité d’accompagner leurs familles, non seulement à travers le travail de deuil immédiat, mais également sur le long terme.
Ces hommes des commandos de la Marine sont porteurs de valeurs et de savoir-faire très spécifiques. Comment les décrire?
Le courage inouï de Cédric de Pierrepont et d’Alain Bertoncello illustre ces valeurs mieux que tout discours. J’ai lu sur votre site dimanche que le commando Hubert était l’«élite de l’élite». Je souscris à cette analyse. La somme des compétences, la polyvalence et le niveau d’autonomie d’un maître, chef de groupe commando, sont hors du commun. Ces qualités individuelles sont démultipliées par un esprit de camaraderie très fort, hérité de nos anciens qui ont débarqué le 6 juin 1944 avec Philippe Kieffer.
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La spécificité du commando Hubert et des commandos marine, c’est aussi leur parfaite connaissance de l’environnement maritime, dans lequel et à partir duquel ils doivent savoir opérer. Et à ce titre, ils forment un maillon indissociable d’un ensemble plus large, qui comprend aussi les bâtiments de surface, les sous-marins et les aéronefs de la marine nationale, dont ils nourrissent l’excellence.
Cette excellence opérationnelle a permis la libération des otages mais celle-ci s’est faite au prix de la vie de deux militaires. En pareil cas extrême, y a-t-il, du point de vue du chef, des leçons à tirer, des procédures à revoir?
Après chaque opération, quelle qu’en soit l’issue, nous analysons les événements, nous tirons des leçons, nous améliorons nos procédures. Mais ne nous leurrons pas, le risque physique, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, est inscrit dans notre ADN et dans le statut général du militaire. Même si nous cherchons sans cesse à réduire ce risque par nos formations, nos procédures et nos équipements, nous l’avons accepté, nous l’acceptons, et nous l’accepterons encore demain, sans condition.
«Chaque année, sur toutes les mers du monde comme sur d’autres théâtres d’opérations éloignés, des marins sont gravement blessés. Beaucoup sont durablement touchés dans leur chair et dans leur âme»
Mener une telle opération, n’est-ce pas aussi envoyer un message aux groupes armés terroristes?
Indiscutablement. Nous leur envoyons deux messages. D’abord qu’il n’y a pas de sanctuaire: partout dans le monde, nous serons capables de les trouver, de les combattre, de les vaincre. Ensuite que notre pays est fort, qu’il est capable de consentir à des sacrifices importants pour défendre ses concitoyens et ses valeurs.
Le président de la République s’exprimera solennellement mardi matin lors de l’hommage national aux Invalides. Pour votre part, quel message adresser aux frères d’armes des deux marins qui sont tombés? Comment accompagner leurs familles?
Je salue l’engagement de tous les marins qui chaque jour, souvent aux côtés de leurs camarades des autres armées, ont fait le choix consenti de risquer leur vie, au besoin jusqu’à la donner, pour la protection de nos concitoyens.
Chaque année, sur toutes les mers du monde comme sur d’autres théâtres d’opérations éloignés, des marins sont gravement blessés. Beaucoup sont durablement touchés dans leur chair et dans leur âme. Certains y trouvent la mort. Ils peuvent compter en retour sur la reconnaissance de toute la nation, sur un soutien sans faille à leurs familles et à leurs proches et sur la garantie qu’en cas de coup dur, tout l’équipage «Marine nationale» sera à leurs côtés ou aux côtés de leurs proches pour les épauler.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 14/05/2019.