Annexe à la déclaration d’appel : tout sauf annexe
le 20 janvier 2022
CIVIL | Procédure civile
Les chefs de jugement critiqués doivent figurer dans la déclaration d’appel qui est un acte de procédure se suffisant à lui seul. Aussi, l’appelant peut la compléter par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer... mais à la condition de justifier d’un empêchement technique.
Civ. 2e, 13 janv. 2022, FS-B, n° 20-17.516
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une Araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
En raison du nombre de déclarations d’appel régularisées, depuis des années, au moyen d’une annexe, on aurait pu croire que le danger avait fini par se dissiper. Mais le piège vient de se refermer. Car, comme toujours, à la fin, c’est la Cour de cassation qui a le dernier mot. Le mot de la fin qui justifie les moyens. Un litige relatif à la sécurisation de données financières à la suite d’un virement frauduleux oppose une banque, appelante, à une société intimée devant la cour d’appel de Lyon. L’intimé saisit le conseiller de la mise en état en nullité et irrecevabilité de la déclaration d’appel mais les moyens sont écartés par une ordonnance non déférée, mais repris dans les conclusions au fond reprochant à l’appelant d’avoir établi directement une annexe à la déclaration d’appel aux fins de préciser les chefs de jugement critiqués alors qu’aucune contrainte technique ne l’imposait eu égard à la taille de l’envoi inférieur à 4 080 caractères. Par arrêt du 14 mai 2020, la cour d’appel suit le raisonnement en estimant que l’intimée est fondée à soutenir que la déclaration d’appel est dépourvue d’effet dévolutif et constate donc n’être saisie d’aucune demande. Devant la Cour de cassation, la demanderesse au pourvoi arguait de l’absence de forme imposée pour établir un acte d’appel tandis que l’annexe mentionnait bien les chefs de jugement critiqués. Écartant le moyen, la deuxième chambre civile répond :
« 6. Selon l’article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d’appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. En application des articles 748-1 et 930-1 du même code, cet acte est accompli et transmis par voie électronique.
7. En application de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, seul l’acte d’appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.
8. Il en résulte que les mentions prévues par l’article 901, 4°, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.
9. Cependant, en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.
10. Ayant constaté que les chefs critiqués du jugement n’avaient pas été énoncés dans la déclaration d’appel formalisée par la banque, celle-ci s’étant bornée à y joindre un document intitulé “motif déclaration d’appel pdf”, la cour d’appel, devant laquelle la banque n’alléguait pas un empêchement technique à renseigner la déclaration, en a exactement déduit que celui-ci ne valait pas déclaration d’appel, seul l’acte d’appel opérant la dévolution des chefs critiqués du jugement. »
In cauda venenum
Il faut le dire d’emblée, si l’on devait hiérarchiser les arrêts de la Cour de cassation au regard de leur retentissement depuis l’entrée en vigueur des décrets Magendie et du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, celui-ci prendrait place en haut d’un totem procédural qui n’en finit plus de se dresser. Alors, bien sûr, il ne serait pas seul, mais il ferait bonne figure au côté de ceux qui sont venus définir l’effet dévolutif au regard de l’acte d’appel et des conclusions. On le sait, sauf lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs du jugement critiqués. Aussi, à défaut de mentionner les chefs de jugement critiqués sur l’acte d’appel, l’effet dévolutif n’opère pas, de sorte qu’en l’absence de rectification par une nouvelle déclaration d’appel dans le délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure, l’appel « total » ou « général » n’emporte pas la critique de l’intégralité des chefs du jugement et ne peut être régularisé par des conclusions notifiées au fond (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ; Procédures, n° 4, avr. 2020, comm. H. Croze). Il en est de même d’un acte d’appel qui mentionne les demandes de l’appelant au lieu et place des chefs de jugement critiqués (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Procédures n° 10, oct. 2020, comm. 163, S. Amrani Mekki) ou de l’acte d’appel qui ne sollicite que la réformation (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-12.037, Dalloz actualité, 26 avril 2021, obs. R. laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, Anne-Isabelle Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon ). Le décor était planté, très vite agrémenté par le fameux arrêt de la deuxième chambre civile venu préciser qu’à compter du 17 septembre 2020, les cours d’appel ne seront pas saisies par un dispositif de conclusions qui ne sollicitent pas l’infirmation ou l’annulation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, note C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol ; Procédures n° 11, nov. 2020, comm. 190, R. Laffly). Seule nuance : dans la première hypothèse d’un acte d’appel défaillant, la cour d’appel n’aura pas à confirmer ou infirmer la décision puisqu’elle n’est pas saisie, dans le second cas, l’acte d’appel la saisira puisque l’effet dévolutif jouera, mais l’absence d’une formulation d’infirmation ou d’annulation au dispositif des premières conclusions, assimilée à une prétention au fond, conduira nécessairement à une confirmation. Bref, dans tous les cas, la sanction différente... sera identique pour l’appelant. Tous ces arrêts ont été destinés à la plus large publication, et si nous avions qualifié celui du 30 janvier 2020 de bombe à retardement puisque les cours d’appel pouvaient bien sûr relever d’office le moyen d’absence d’effet dévolutif par application de l’article 562, on nommerait volontiers celui du 13 janvier 2022 de bombe à déflagration : le bruit qu’il a déjà fait instantanément auprès des praticiens est bien supérieur à sa vitesse de propagation puisque les cours pourront là encore, au moment de statuer, relever d’office le moyen ces prochaines années.
Dure annexe sed lex
Ici, ce n’est pas la loi qui est sévère, c’est l’arrêt de la Cour de cassation !
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Bien sûr, il y a le visa des articles 901 et 562 et, si chacun sait que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, nul n’ignore que cet effet dévolutif ne s’exprime qu’au regard de l’acte d’appel. Mais rien n’est dit d’une annexe, imposée par les capacités, limitées, du RPVA. Toute réponse était sujette à caution, juridique du moins, et la signature d’un arrêt de section démontre un peu plus qu’aucune solution n’était acquise.
Pourtant, de tous ceux précités, cet arrêt était peut-être le plus prévisible, ce qui explique déjà, à la différence de l’arrêt du 17 septembre 2020, tout différé d’application. Mais en disant cela, on pourra regretter cette rétroactivité et l’absence d’une modulation des effets de cet arrêt, certes exceptionnelle, mais qui s’inscrit dans une situation qui elle, est tout sauf exceptionnelle si l’on veut bien jeter un œil à l’ensemble des déclarations d’appel introduites depuis le 1er septembre 2017 au moyen d’une annexe. Pourquoi ? Parce que la lecture de l’article 901-4° qui précise que la déclaration d’appel est faite par un acte contenant, notamment, « les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible » ne permet pas d’alerter. Le problème est en réalité apparu avec les premières déclarations d’appel. Lorsque les chefs du jugement critiqués dépassent 4 080 caractères – limite maximale du RPVA – l’acte d’appel ne peut être adressé, générant ainsi un message de refus d’enregistrement. C’est une circulaire de la chancellerie du 4 août 2017 qui permit d’envisager une solution opportune : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel ». Ce qui conduit nombre d’avocats à renseigner les éléments d’identification des appelants, des intimés et de la décision attaquée, comme d’habitude par voie électronique, mais en annexant un fichier joint afin de préciser les chefs de jugement critiqués. C’était oublier que la circulaire, mais ce n’est qu’une circulaire, conditionne le procédé à la contrainte technique liée aux 4 080 caractères. C’est ainsi qu’est né un contentieux nourri de l’annexe à la déclaration d’appel divisant les cours d’appel. Car si la balance a finalement penché du côté de la preuve de l’empêchement technique, la Cour de cassation aurait pu aborder la question sous un autre angle.
Loi de Murphy
En effet, ce qui est sanctionné c’est l’absence de chefs de jugement critiqués (ou la présence d’autres mentions que celles du dispositif de la décision attaquée), pas leur présence dans une annexe. Pour éviter le pire, souvent certain en procédure d’appel, une thèse pouvait pourtant être défendue, celle de la nullité. Ainsi, arrangeante, la Cour de cassation aurait pu se placer sur le terrain de la nullité, interruptive du délai d’appel, pour dire que si le contenu de l’acte était en cause, la sanction de nullité de forme pouvait seule être dégagée. C’est ainsi qu’elle juge que, si c’est bien la caducité qui est encourue en l’absence de signification à l’intimé non constitué de l’acte d’appel tel qu’il a été enregistré par le greffe, la même signification qui ne dénonce pas en même temps l’annexe mentionnant les chefs de jugement critiqués n’encourt qu’une nullité de forme (Civ. 2e, 5 déc. 2019, n° 18-17.867, Dalloz actualité, 13 janv. 2020, obs. C. Lhermitte ; D. 2019. 2421 ; ibid. 2020. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; AJ fam. 2020. 130, obs. S. Thouret ; JCP n° 5, 3 févr. 2020, obs. R. Laffly). Et, selon sa dernière jurisprudence, lorsque c’est le contenu d’un acte qui est attaqué et non son absence, la nullité de forme, sur démonstration d’un grief, doit être préalablement rapportée avant toute autre sanction. Ainsi, la caducité de la déclaration d’appel en raison de la signification par l’appelant de ses conclusions à l’intimé non constitué à une adresse erronée ne peut être encourue qu’en cas d’annulation préalable de cet acte, sur la démonstration, par celui qui l’invoque, d’un grief (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-13.568, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. R. Laffly). Et dans une procédure à jour fixe, l’assignation incomplète (absence de plusieurs pages et du dispositif), qui est remise au greffe avant l’audience à peine de caducité, est affectée d’un vice de forme de sorte que la cour d’appel ne peut prononcer la caducité de la déclaration d’appel sans constater, le cas échéant et au préalable, sa nullité sur démonstration d’un grief (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-11.875, Dalloz actualité, 24 nov. 2021, obs. R. Laffly). Ne pouvait-on donc pas en passer par la nullité ? Après tout, si l’acte d’appel est effectué dans le délai, l’essentiel n’est-il pas que l’intimé et la cour prennent connaissance des chefs de jugement critiqués, qu’ils apparaissent sur l’acte d’appel ou sur une annexe, sauf à rapporter la preuve d’un grief lié au contenu d’une annexe ?
Mais c’était oublier un peu vite la rigueur, croissante, dont fait montre depuis quelques mois la deuxième chambre civile au regard, justement, de l’acte d’appel et des conclusions. La Cour de cassation le dit : les chefs de jugement critiqués doivent figurer dans la déclaration d’appel et celle-ci est un acte de procédure qui se suffit à lui seul. Il fallait se souvenir de ce qu’elle décida du sort des déclarations de saisine non régularisée par RPVA en l’absence de preuve d’une contrainte technique... Alors, si le contenu même de l’acte était en cause, et que la voie de la nullité eut pu être empruntée pour rédiger un arrêt tout aussi convaincant – plus convaincant, diront certains – c’est bien le chemin le plus contraignant qui est utilisé, celui de la contrainte technique. La Cour de cassation aurait pu. Elle n’a pas voulu. L’étudiant en droit dira qu’elle a fait prévaloir l’ instrumentum sur le negocium. Le praticien de la procédure d’appel se souviendra de la loi de Murphy. S’il y a une seule raison pour que cela puisse aller mal ou conduire à une catastrophe, alors cela finira par aller mal et la catastrophe finira par arriver.
L’envers du décor
La concordance des dates doit interpeller. Alors que l’arrêt de la cour d’appel de Lyon a été rendu le 14 mai 2020, six jours plus tard est intervenu un arrêté relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel (arrêté du 20 mai 2020, JO 21 mai). Or l’article 8 de l’arrêté précise que « le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d’appel, de même que leur édition par l’avocat tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier ».
Ainsi, la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d’appel. Point de référence à la contrainte technique. Faut-il en conclure qu’il serait donc possible d’établir une annexe quand bien même le dispositif serait inférieur à 4 080 caractères comme l’ont déjà jugé certaines cours d’appel ? C’était avant cet arrêt de la Cour de cassation, mais l’arrêt de la cour de Lyon était aussi rendu avant l’arrêté. Car si le moyen du pourvoi ne visait pas l’arrêté, la deuxième chambre civile n’en dit rien non plus. Mais, si la brèche pourrait être exploitée, on a cependant mal à croire que l’arrêté n’a pas traversé l’esprit de la haute cour qui, sans même le citer, aurait pu donner une solution conforme à celui-ci si elle avait voulu sauver l’appel et donner une impulsion différente à cette jurisprudence publiée. Et lorsque l’arrêt précise, épousant en cela la même terminologie que la circulaire et l’arrêté, que l’annexe fait corps avec la déclaration d’appel, c’est à la condition supplémentaire d’un empêchement technique.
À regarder de plus près, la motivation de la cour d’appel de Lyon était d’ailleurs détachée de cette considération de contrainte technique : « Attendu qu’en l’espèce, la banque a interjeté un appel total de la décision sans mention d’une quelconque annexe, étant précisé à l’acte “objet de l’appel (voir éventuelles annexes en PJ) appel total” ; Attendu que seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement, peu important les précisions apportées en annexe à l’acte d’appel qui n’est pas de nature à opérer dévolution, l’annexe ne valant pas déclaration d’appel ; qu’en conséquence, à défaut d’avoir énoncé expressément dans la déclaration d’appel les chefs de jugement qu’elle critique et ceux qui en dépendent, l’appel tel que formulé dans la déclaration de la banque n’a pas opéré dévolution, peu important en l’espèce la taille de l’envoi de la pièce jointe ». Or la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir dit que le document joint ne valait pas déclaration d’appel, en tempérant immédiatement, sauf à justifier d’un « empêchement technique à renseigner la déclaration ».
L’enfer du décor
Au risque d’effrayer un peu plus, il faut le dire, tout n’est pas dit avec cet arrêt. Lorsque la Cour de cassation précise que, « cependant, en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer » (9), la question qui survient inévitablement est celle-ci : qu’est-ce qu’un complément ? Si la motivation est prétendue enrichie, le complément en procédure civile est l’oxymore du complément circonstanciel en grammaire. On ne sait pas ce que c’est. Est-ce que l’annexe est, per se dirait le juriste, le complément de l’acte d’appel en cas de contrainte technique ? Autrement dit, lorsque l’avocat constate que les chefs de jugement qu’il va reprendre dépassent 4 080 caractères (ce qui concerne en pratique des dispositifs particulièrement longs), peut-il tous les mentionner directement sur une annexe qui fait corps, ontologiquement dirait le philosophe, avec la déclaration d’appel ou doit-il commencer par les préciser sur l’acte d’appel et poursuivre sur une annexe pour que celle-ci fasse corps avec l’acte d’appel ? Dit autrement, puisque la déclaration d’appel, selon l’arrêt, « est un acte de procédure se suffisant à lui seul » lorsque y sont mentionnés les chefs de jugement critiqués, une déclaration d’appel avec seulement les éléments d’identification des parties et la décision attaquée peut-elle être complétée, en cas de contrainte technique, par une annexe sur laquelle figure l’ensemble des chefs de jugement ? On aimerait pouvoir répondre par l’affirmative. Ce serait pourtant trop s’avancer. En attendant un nouvel arrêt ou des jours meilleurs, le principe de précaution commande, en cas de dépassement de caractères, d’établir un acte d’appel sur lequel figure les premiers chefs de jugement, renvoyant à une annexe sur laquelle les suivants sont précisés.
Car on aura compris qu’il faut encore que l’acte d’appel précise le renvoi à une annexe. Sur ce point, si la raison (pas toujours éloignée de la paranoïa en procédure civile) conduira à préférer une phrase de type « compte tenu de la contrainte technique liée au nombre limité de caractères, une annexe à la déclaration d’appel est établie », on peut imaginer, raisonnablement, que la Cour de cassation approuvera la simple indication du renvoi à une annexe.
Complément d’enquête
Deux interrogations perdurent enfin. Face à une déclaration d’appel complétée par une annexe qui ne saisit pas la cour, quid de l’appel incident de l’intimé ? Les cours d’appel restent très partagées car la réponse est subtile (pour une étude complète, v. Procédures n° 7, études, juill. 2021, J. Lhadi). Pour certaines cours d’appel, le défaut de dévolution induit une absence de saisine qui leur interdit de statuer sur l’appel incident, mais pour d’autres, en l’absence de textes, l’appel incident doit être seul examiné quand bien même l’effet dévolutif de l’appel n’aurait pas joué. Ne l’oublions pas, si l’intimé ne veut pas dépendre du sort de l’appel principal, il doit former appel principal. Mais, ne l’oublions pas non plus, en cas d’absence de chefs de jugement critiqués sur cet acte d’appel, l’instance n’est pas éteinte par cette déclaration d’appel qui reste recevable.
Quant à la possibilité de former un nouvel appel, si la Cour de cassation a déjà jugé que la déclaration d’appel affectée d’un vice de forme peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile (Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, nos 17019, 17020, 17021, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 18 ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean ; Procédures, n° 3, mars 2018, comm. 69, obs. H. Croze ; 30 janv. 2020, n° 18-22.528, préc.), la Cour de cassation a posé la même limite temporelle à une régularisation dès lors que la déclaration d’appel est nulle, erronée ou incomplète de sorte que la cour d’appel est donc saisie par la première déclaration d’appel comme par la seconde qui mentionne d’autres chefs du jugement critiqués (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-13.642, Dalloz actualité, 9 déc. 2020, obs. H. Ciray ; D. 2020. 2349 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Procédures, n° 1, janv. 2021, comm. 1, R. Laffly). Si, sur le terrain de la nullité, un nouvel acte d’appel peut être régularisé avec cette limite temporelle, le dernier cas illustre encore une situation distincte avec un appelant qui avait régularisé deux déclarations d’appel en mentionnant des chefs de jugement différents. Le procédé utilisé n’était pas le plus adroit mais il était régulier, chaque acte d’appel, régularisé dans le délai, saisissant la cour d’appel de chefs de jugement critiqués. Pourtant, au-delà de ces situations, en présence d’un premier acte d’appel visant une annexe établie sans contrainte technique ou d’un acte d’appel sans renvoi à une annexe, un second appel pourrait être régularisé en l’absence de signification de la décision de première instance. Après tout, le premier appel n’encourt ni l’irrecevabilité ni la caducité au regard de l’article 911-1 du code de procédure civile. Et si l’affaire se poursuit jusqu’à ce que la cour juge qu’elle n’est pas saisie par cet acte d’appel qui n’opère aucune dévolution, l’appelant ne pourrait-il pas réitérer un appel ? Si l’avocat a retenu que les chefs de jugement critiqués portés sur la déclaration d’appel doivent être extraits d’un dispositif de la décision attaquée qui a seul autorité de la chose jugée, il se souviendra aussi que seul le dispositif de l’arrêt de la cour d’appel a la même autorité. Or quelle autorité peut-on conférer à l’arrêt d’une cour qui ne peut ni confirmer ni infirmer mais seulement dire qu’elle n’est pas saisie et n’y avoir lieu à statuer ? L’autorité de chose jugée a valeur de truisme : l’autorité de la chose jugée, c’est la chose qui a été jugée, pas celle qui n’a pas été jugée.
En attendant, c’est un nombre considérable de déclarations d’appel qui sont concernées par un piège que beaucoup n’avaient pas vu venir. Ou qui était entendu comme une fable. Il vient subitement de se refermer. L’annexe n’était pas si anodine. La Fontaine avait enseigné que la victoire n’est jamais définitivement acquise, et qu’entre nos ennemis, les plus à craindre sont souvent les plus petits.
par Romain Laffly, Avocat associé, Lexavoué, pour Dalloz actualité
Bâtonnier de Lyon - Avocat Associé CORNET VINCENT SEGUREL
2 ansMerci pour ce commentaire aussi littéraire que pertinent! Quand Kafka sert à vider les placards …
Avocat honoraire
2 ansExcellent commentaire! Merci Romain
Avocat et Médiateur
2 ansMerci pour cette synthèse et analyse mais que tout cela est ubuesque... Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ...quels sont les juges qui ont pu trancher ainsi, faisant tomber des recours en chaîne, au mépris le plus complet des justiciables et des avocats qui font de leur mieux avec un RPVA bien défaillant techniquement...