Application aux instances en cours des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme issues de la loi ELAN : rejet d’une demande de QPC
Par un arrêt du 24 juillet 2019, le Conseil d’État a estimé que la question de la conformité à la Constitution de l’application de la nouvelle rédaction de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme aux instances en cours ne présentait pas de caractère sérieux justifiant son renvoi au Conseil Constitutionnel.
Il valide ainsi une disposition dont la portée ne cesse de croitre.
Créé par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, l’article L. 600-5-1 permettait au juge administratif, dans sa version initiale, de surseoir à statuer jusqu’à la régularisation, par le dépôt d’un permis de construire modificatif, d’un vice entrainant l’illégalité d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager.
1. L’arrêt CE, 22 février 2018, req. n° 389518
Saisi de ces dispositions, le Conseil d’État a, par un arrêt du 22 février 2018, apporté trois précisions sur les modalités de mise en œuvre de cette faculté par le juge[1].
Il a ainsi indiqué que les dispositions de l’article L. 600-5-1 peuvent être mises en œuvre pour la première fois en appel.
Il a ensuite considéré que des éléments spontanément transmis par l’administration en vue de régulariser un permis de construire peuvent fonder sa décision sans qu’il n’y ait lieu de surseoir à statuer, dès lors que les parties ont été préalablement invitées à présenter leurs observations.
Enfin, la Haute juridiction a précisé que si les éléments spontanément transmis ne permettent pas de régulariser le vice, le juge peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l'application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, surseoir à statuer en vue d'obtenir l'ensemble des éléments permettant la régularisation.
Le Conseil d’État a ainsi rapidement démontré sa bienveillance à l’égard de la faculté de régularisation prévue par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
2. L’arrêt CAA Bordeaux, 15 novembre 2018, req. n° 16BX03080
Le 15 novembre 2018, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a conféré encore davantage de portée à cette disposition[2].
Elle a ainsi considéré que l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ne subordonne pas, par principe, la faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial soient inachevés.
Elle par ailleurs estimé que l’expiration du délai prescrit par le juge pour procéder à la régularisation du permis de construire attaqué devant lui n’entache pas le permis de construire modificatif délivré dans ce cadre d’irrégularité ou ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse régulariser le permis initial.
Le législateur s’est alors saisi de cette interprétation.
3. La loi portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique (ELAN) du 23 novembre 2018
La loi ELAN du 23 novembre 2018 a en effet modifié l’article L. 600-5-1 en prévoyant que le juge est désormais tenu, à la demande des parties, de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation du permis, y compris après l’achèvement des travaux, s’il estime que le vice est régularisable.
Par ailleurs, s’il refuse de faire droit à cette demande, le juge doit motiver sa décision.
Enfin, les nouvelles dispositions englobent désormais les décisions de non-opposition à déclarations préalables.
La nouvelle rédaction de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme prévoit ainsi :
« Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».
4. L’arrêt CE, 15 février 2019, req. n° 401384
Par un arrêt du 15 février 2019, le Conseil d’État a apporté d’utiles précisions quant à la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions[3].
La Haute Juridiction a tout d’abord précisé que les dispositions issues de la loi ELAN étaient applicables aux instances en cours lors de son entrée en vigueur.
Elle a par ailleurs indiqué aux juges d’appel la marche à suivre pour appliquer les nouvelles dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :
« Lorsqu'un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés les autres moyens de la requête, a retenu l'existence d'un ou plusieurs vices entachant la légalité du permis de construire, de démolir ou d'aménager dont l'annulation lui était demandée et, après avoir estimé que ce ou ces vices étaient régularisables par un permis modificatif, a décidé de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme en prononçant une annulation partielle du permis attaqué et en fixant, le cas échéant, le délai dans lequel le titulaire du permis en cause pourra en demander la régularisation, l'auteur du recours formé contre le permis est recevable à faire appel du jugement en tant qu'en écartant certains de ses moyens et en faisant usage de l'article L. 600-5, il a rejeté sa demande d'annulation totale du permis, le titulaire du permis et l'autorité publique qui l'a délivré étant pour leur part recevables à contester le jugement en tant qu'en retenant l'existence d'un ou plusieurs vices entachant la légalité du permis attaqué, il n'a pas complètement rejeté la demande du requérant. Lorsque le juge d'appel est saisi dans ces conditions d'un appel contre le jugement du tribunal administratif et qu'un permis modificatif a été délivré aux fins de régulariser les vices du permis relevés par ce jugement, il résulte des dispositions de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme précité que le bénéficiaire ou l'auteur de cette mesure de régularisation la lui communique sans délai, les parties de première instance comme les tiers, en application des dispositions de l'article R. 345-1 du code de justice administrative, ne pouvant contester cette mesure que devant lui tant que l'instance d'appel est en cours. Par suite, si un recours pour excès de pouvoir a été formé contre cette mesure de régularisation devant le tribunal administratif, ce dernier la transmet, en application des articles R. 351-3 et, le cas échéant, R. 345-2 du code de justice administrative, à la cour administrative d'appel saisie de l'appel contre le permis initial.
Il appartient alors au juge d'appel de se prononcer, dans un premier temps, sur la légalité du permis initial tel qu'attaqué devant le tribunal administratif. S'il estime qu'aucun des moyens dirigés contre ce permis, soulevés en première instance ou directement devant lui, n'est fondé, le juge d'appel doit annuler le jugement, rejeter la demande d'annulation dirigée contre le permis et, s'il est saisi de conclusions en ce sens, statuer également sur la légalité de la mesure de régularisation. Si au contraire, il estime fondés un ou plusieurs des moyens dirigés contre le permis initial mais que les vices affectant ce permis ne sont pas régularisables, le juge d'appel doit annuler le jugement en tant qu'il ne prononce qu'une annulation partielle du permis et annuler ce permis dans son ensemble, alors même qu'une mesure de régularisation est intervenue postérieurement au jugement de première instance, cette dernière ne pouvant alors, eu égard aux vices affectant le permis initial, avoir pour effet de le régulariser. Il doit par suite également annuler cette mesure de régularisation par voie de conséquence.
Dans les autres cas, c'est à dire lorsque le juge d'appel estime que le permis initialement attaqué est affecté d'un ou plusieurs vices régularisables, il statue ensuite sur la légalité de ce permis en prenant en compte les mesures prises le cas échéant en vue de régulariser ces vices, en se prononçant sur leur légalité si elle est contestée. Au terme de cet examen, s'il estime que le permis ainsi modifié est régularisé, le juge rejette les conclusions dirigées contre la mesure de régularisation. S'il constate que le permis ainsi modifié est toujours affecté d'un vice, il peut faire application des dispositions de l'article L. 600-5 ou de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour permettre sa régularisation ».
5. L’arrêt CE, 24 juillet 2019, req. n° 430473
Enfin, le Conseil d’État a récemment été saisi par plusieurs requérants qui estimaient que l’application aux instances en cours des nouvelles dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi, les droits de la défense, le droit à un procès équitable, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit de propriété[4].
La Haute juridiction a toutefois considéré que la question ne présentait pas un caractère sérieux.
A propos du principe d'égalité devant la loi, des droits de la défense et du droit à un procès équitable, le Conseil d’État a indiqué que l’obligation de surseoir à statuer sur les conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable en vue de permettre la régularisation en cours d'instance d'un vice qui entache la décision litigieuse ne concerne que les autorisations susceptibles de l’être, compte tenu des caractéristiques du projet, de l'avancement des travaux et des règles d'urbanisme applicables.
Il a par ailleurs rappelé qu’avant de surseoir à statuer, le juge est tenu d'inviter les parties à présenter leurs observations jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe, qui doit être suffisant au regard de l'objet des observations demandées pour garantir le débat contradictoire et les droits de la défense, puis de faire de même avant de régler définitivement le fond du litige si une mesure de régularisation lui a été notifiée avant l'expiration du délai fixé à cette fin.
Ainsi, selon lui, « ces dispositions, dont l'application immédiate aux instances en cours dès leur entrée en vigueur ne porte atteinte à aucune situation qui serait acquise ou définitivement constituée, se bornent, sans affecter la substance du droit au recours ni porter atteinte à aucun des droits des requérants, à instituer des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l'urbanisme. Eu égard à leurs effets et aux garanties procédurales qu'elles prévoient, ni ces dispositions, ni leur entrée en vigueur immédiate, indépendamment de la date d'introduction du recours, ne peuvent être regardées comme portant atteinte au principe d'égalité devant la loi, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ».
Enfin, à propos du défaut d’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit de propriété, le Conseil d’État a souligné que les dispositions de l’article L. 600-5-1 ne prive pas les requérants de la possibilité de saisir le juge de l’excès de pouvoir et d’obtenir que la décision de permis de construire, de démolir ou d'aménager ou une décision de non-opposition à déclaration préalable soit conforme aux lois et règlements applicables.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000036637070&fastReqId=1249906266&fastPos=1
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000037618828
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038159145&fastReqId=1442041544&fastPos=1
[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000038815886