Après le Covid : pour en finir avec la quête de sens
La pandémie, en tant que crise sanitaire subite et violente, a généré d’autres crises toutes aussi brutales (politique, économique…). Dans le monde du travail, nous avons été frappés par la capacité des organisations, des personnes et des réseaux à s’adapter quasi-instantanément, sans préparation. Au-delà de la logique de survie auxquelles malheureusement nombre d’entreprises ne peuvent échapper, chacun tente donc de tirer les leçons de ce que cette crise a généré de meilleur en réactivité, solidarité, adaptabilité… en se disant « Comment agir durablement de la façon dont nous avons agi durant le confinement ? Et pourquoi n’agissions-nous pas comme ça auparavant ? »
Par ailleurs, la résilience des entreprises passe, nous dit-on, par une nouvelle quête de sens : les collaborateurs ont pris du recul et modifié leurs priorités si bien qu’on nous prédit après la crise : de vastes mouvements de turnover, des transformations des modes de management et d’organisation et des redéfinitions de la mission des entreprises.
Pourtant ces deux mouvements : capitalisation sur l’expérience de la crise et proposition d’un nouveau « sens » au travail pourraient bien se révéler infructueux sans une bonne dose d’intelligence des situations.
Un « alignement des astres » rarissime
C’est que durant la crise deux astres dont le pouvoir d’attraction oriente généralement notre action opérationnelle sont exceptionnellement alignés : l’astre « Urgent » et l’astre « Important ».
Dans la situation « normale » antérieure, l’attention et l’agenda des directions opérationnelles sont captés par l’Urgence. Rythmé, impactant, appréhendable, valorisant, satisfaisant, l’Urgent monopolise les CODIR et rythme les organisations. Plus mouvant, insaisissable, lointain et incertain, l’Important ne trouve finalement – et paradoxalement – qu’une bande passante limitée. Combien de « visions stratégiques » démenties par les actions quotidiennes ? Combien de « mission d’entreprise » contredites par des actions à court-terme, impulsives, individuelles ?
Bien qu’il conditionne l’avenir et la pérennité d’une organisation et qu’en termes de valeur, il soit terriblement plus imposant que l’Urgent, l’Important est éloigné de nous. Un peu comme le pouvoir d’attraction du Soleil et de la Lune sur la surface terrestre, la « lune Urgence » a davantage d’influence sur nous que le « soleil Importance » (dans la vie réelle, l'action de la Lune est toujours plus forte que celle du Soleil dans un rapport qui varie de 2 à 2,5).
Pour pousser plus loin la comparaison, on pourrait adopter le schéma suivant (cf. schéma 1) : l’action opérationnelle résulte d’une force Fa qui elle-même est la somme de la force de l’Urgent (Fu) et de la force de l’Important (Fi) soit : Fa = Fu+Fi. Les forces étant représentées par des vecteurs ayant une direction, une longueur et … un sens ! Sur ce schéma, le point O est le point de vue de l’acteur opérationnel et A est le point résultant de l’action.
Écartelé entre ces deux forces, le résultat de l’action ne sera aligné ni avec l’Urgence ni avec l’Importance. Sur le schéma n°2 si l’on observe l’écart :
· entre le résultat de l’action et l’urgence, symbolisé par l’intervalle u(0)-u(A), on observe une perte de réactivité.
· entre le résultat de l’action et l’importance, symbolisé par l’intervalle i(0) – i(A), on observe une perte de sens.
De ces schémas on peut aisément tirer une conséquence : plus l’angle UOI sera important plus le point A sera éloigné de I et plus la perte de sens sera grande. C’est bien ce qu’on observe dans les faits : plus l’Urgent est déconnecté de l’Important, plus le résultat de l’action est désaligné de la vision long terme et moins les collaborateurs sont engagés.
Créer une éclipse ?
N’y a-t’il donc qu’une crise extérieure pour aligner l’Urgent et l’Important à la manière d’une éclipse (et aussi rarement) et que cet alignement soit si évident que chaque personne adopte précisément les comportements les plus bénéfiques à l’action commune ?
Comme dirait le potache « par deux points distincts il ne passe qu’une droite et une seule… surtout s’ils sont bien alignés ». Par nature, l’Urgent va être mouvant à l’horizon mensuel ou trimestriel. De plus, l’agenda des actions « urgentes » n’est pas entièrement dans les mains de l’organisation. En revanche, nous prendrons l’hypothèse que l’Important (vision, stratégie…), dans la durée de l’action opérationnelle (mettons l’année) est fixe. Il appartient aux leaders de l’organisation de formaliser cet Important.
En résumé l’organisation ne maîtrise pas où se trouve le point U à l’instant t, mais peut se donner les moyens de fixer le point I.
Comment aligner l’action opérationnelle pour une réactivité et un sens maximums ? En déplaçant le point de vue des acteurs !
Comme le représente le schéma 3, si le point de vue de l’acteur passe d’O1 à O2, son action sera beaucoup plus efficace : plus réactive et plus alignée avec les objectifs longs termes.
Oui mais, en pratique ?
« Déplacer le point de vue des acteurs » pour se donner la possibilité de maîtriser 2 des 3 points à aligner. Facile à dire… concrètement on fait comment ?
1. Tout d’abord, on n’oublie surtout pas d’expliciter l’Important. Le travail sur la vision, la mission, les valeurs, les règles du jeu, l’ADN… peu importe le vocable : formaliser l’invariant, le point de repère qui oriente le long terme. Et pour ceci, ne pas hésiter à se faire aider car c’est lorsqu’on est soi-même dans une situation qu’on la voit le moins bien.
2. En tant que leader ou manager, on s’astreint avec ténacité, pédagogie et patience à une discipline simple : ne fixer des objectifs courts termes et donner des directives qu’en explicitant en quoi l’action contribue à nous rapprocher de l’objectif long terme (l’Important).
3. Pour toutes les actions dans lesquels l’alignement se révélera difficile, se poser la question : l’action est-elle vraiment nécessaire ? est-elle externalisable ? a minima, peut-on la déléguer à une ressource ou une équipe dédiée ? Plus on placera ces tâches en périphérie ou à l’extérieur du flux opérationnel, plus nos équipes internes auront des activités à court terme alignées sur l’intérêt à long terme de l’organisation.
Première conclusion de ces considérations quelque peu théoriques : le leadership demeure l’art de faire percevoir en quoi les activités quotidiennes concourent aux objectifs généraux. Dès lors, pour peu que ces objectifs soient explicites et appropriés par les collaborateurs, la question de la quête de sens n’a plus de raison d’être.
Deuxième conclusion : si l’état de crise a permis d’expérimenter une configuration assez singulière où Urgent et Important étaient alignés, il est illusoire d’imaginer pérenniser l’intégralité des dynamiques créées. En revanche, il est possible de capitaliser sur cette expérience pour donner à percevoir en quoi partager sur l’Important est capital pour l’agilité et l’adaptabilité de l’organisation
Dernière conclusion : il reste une situation dans laquelle l’action persistera à ne pas faire sens pour le collaborateur – celle où il ne partage pas la vision de l’Important pour l’entreprise. Ce qui est une perception respectable d’un point de vue humain, mais un écueil important pour l’organisation… et devra faire l’objet d’un article ultérieur.
Partner - NIM Europe - Management de transition
4 ansBravo pour cet article Nicolas, instructif et plein de bon sens. A bientôt, Arthur
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4 ansCher Nicolas, Bravo pour cette très intéressante contribution remplie de sens et de savoir-être: vivement la suite. J'invite aussi mes lecteurs à méditer ces recommandations et à retrouver sans tarder toutes tes compétences 👉 https://bit.ly/2O8NeyN ! Bien à toi, Bruno
Executive coach, Consultant, Formateur | Myers Briggs Type Indicator, MBTI | MBA | Eclaireur des transformations
4 ansPetit clin d'oeil à mes lecteurs du mois de Mai : Patricia Dupuy, Jean-Charles E. Languilaire, Ph.D., CPCC, Irene Arroupe, Marie Hombrouck, Rémy LONGO, Corine SEMPE, Adrien Boulogne, Marie-Hélène Leal, Emilie L., Ludovic MILLEQUANT, Marianne Robert de Massy, Julia Gaillot, Géraldine LEMAL, Nicolas Del Barrio, Karine Richards, Jérôme Ballarin, Jean Mathy,Frederic CRUTEL, Jean-Michel Pastor, Julia FABIANI, Jean-Christian FAILLANT, Pol de La Pintière, Natalie Valin, Gilbert Alcalay, Floriane MARCATO, Guillaume de Montgolfier, Sandrine ANDRO, Isabelle ARMITANO, Mo Saffarini, Isabelle Tisserant (Canevet), Thibault Resta, Bruno Luirard, Christel Martin, Annie Pinault, Bastien FUMO, Pulsions Management SA, Arnaud Gerard, Lydwine Vaillant, Sébastien LE GOUIL, Julia FABIANI, Gilles Verrier, Lise Peillod Book