Architecture de l’information et design d’expérience utilisateur
À l’intersection entre SIC (Science de l’Information et de la Communication) et design, l’architecture de l’information « fait partie de ces approches permettant de lire et d'écrire le réseau, mais aussi de le rendre accessible et intelligible au plus grand nombre ». Telle que formulée, cette définition peut paraître plutôt large et abstraite. C’est la raison pour laquelle, j’ai été invitée, avec d’autres praticiens du domaine, à intervenir lors de Réticulum (2), le 20 février dernier, pour proposer ma vision de l’AI au regard de ma pratique de designer chez InfleXsys en conception d’application web et mobile.
Réticulum (2) est un événement organisé par Florian Harmand et Arthur Perret tous deux thésards à l’Université Bordeaux Montaigne et au MICA (Médiations, Informations, Communication, Arts) . Il s’agit d’une journée de réflexion pluridisciplinaire qui s’articule autour d’une matinée théorique axée sur la définition de l'architecture de l'information dans différents domaines (Sémiologie, Ontologie, Documentation, Design...) et d’un après-midi dédié à la confrontation de ces concepts avec la pratique de quatre professionnels.
Cette seconde journée Réticulum intitulée « Architecture(s) de l’information » croisait les regards de sept spécialistes proposant chacun leur définition propre. Pour introduire l’événement, Florian Harmand et Arthur Perret ont partagé avec nous leur vision du sujet. Puis Anne Beyaert-Geslin (UBM, MICA) nous a présenté, très justement, le parallèle « Architecture de l’information vs. Design d’information ». Karl Pineau Doctorant à l'UTCompiègne et Decalog a terminé la matinée avec son expertise en SIC : « Les ontologies comme système de représentation de l'information : l'exemple du domaine culturel ». Puis, Noémie Antoine designer d’expérience chez Gonogo a pu traiter de l'économie de l’attention ; c’est à Alice Totaro (Akiani) qu’est revenue la conclusion sur le thème : « Architecture et architecture de l'information : art et science au service de l'utilisateur » soulignant la prise en compte de l'utilisateur dans la conception pour faciliter sa lecture ou sa déambulation.
Les débats qui se sont déroulés lors de cette journée d’étude ont montré que bien que l’on admette l’aspect théorique du sujet, il n’est absolument pas exclu, voire, il est recommandé, de le remettre en cause par la pratique.
De ce fait, en miroir de l’intervention pointue de Karl Pineau sur l’Ontologie en début de journée (« l'ensemble structuré des termes et concepts représentant le sens d’un champ d'informations »), j’ai pu, en tant qu’UX designer chez InfleXsys, questionner la manière dont se manifeste l’AI dans mon quotidien et proposer ma propre définition.
Architecture de l'information dans l'interface numérique
L’UX designer travaille pour garantir la meilleure expérience possible vis-à-vis d’une solution ; ainsi l’une de ses missions premières est de rendre accessible l’information. En effet, avoir une bonne impression d’une application ou d’un site web, c’est tout d’abord y trouver ce que l’on cherche… Si l’utilisateur se perd ou s’il ne trouve pas rapidement ce qu’il cherche, il abandonne, c’est un fait avéré. Cela se vérifie d’autant plus pour les applications métiers développées chez InfleXsys, dont l’usage peut se faire dans des contextes particuliers ne permettant pas à l’utilisateur de perdre du temps. L’information doit être disponible rapidement et efficacement.
En imaginant l’architecture de la page, le designer compose un langage commun avec le futur utilisateur. Grâce à une compréhension accrue du contexte, son enjeu est de cibler l’attention et l’interaction sur les éléments importants, au moment opportun. Ainsi, la façon dont le designer décompose cette information, entre les pages et dans l’écran lui-même, détermine comment les utilisateurs vont pouvoir naviguer et consommer le produit. Pour faciliter cet usage, le designer met en place des codes universels (pictogramme, accessibilité, libellé familier au corps de métier, mise en avant de certains éléments par le graphisme…) pour structurer l’usage, hiérarchiser le contenu.
Mais comment simplifier la lecture sans réduire la qualité de l’information ?
C’est une remarque pertinente qui a été adressée à Noémie Antoine suite à son exposé sur l'AI et l'attention :
« Est-ce que réduire l’accès à certaines informations, ne serait pas une sorte de manipulation de l’utilisateur ? »
Il est vrai que le designer peut souvent faire face à des problématiques éthiques : comment anticiper sur les besoins des utilisateurs sans trop simplifier les informations ? Est-ce que hiérarchiser et sélectionner les informations les plus importantes, ce n'est pas désinformer l'utilisateur ? Suite à ses observations expertes, le designer a en effet pour rôle de simplifier et faciliter l’accès aux informations qui LUI semblent importantes ; mais est-ce que c’est réellement ce que souhaite l’utilisateur ? Comment s’en assurer ?
C’est pour cette raison que l’étape d’observation et de compréhension du besoin utilisateur n’est pas à prendre à la légère. Pour réduire cet écart entre ce que souhaite l’utilisateur et ce que le designer va mettre en évidence sur l’interface, il faut savoir recueillir les besoins le plus justement possible : c’est-à-dire, sans à priori et en collaboration avec les personnes impliquées dans le projet.
C’est donc lors de la première rencontre et des premiers contacts avec les utilisateurs éventuels que nous devons faire preuve d’empathie pour bien comprendre leur besoin, le contexte et mettre en place des outils pour recueillir les problématiques, comprendre les frictions… Pour cela, chez InfleXsys, nous organisons des ateliers de cocréation, des enquêtes sur le terrain des observations qualitatives des utilisateurs, etc.
Les observations recueillies devront par la suite être analysées et digérées par le designer pour concevoir une interface structurée qui répond au besoin exprimé/observé. C’est une démarche en construction chez InfleXsys, et qui fait ses preuves au fil des projets.
Architecture de l'information dans les objets intermédiaires
Mais si l’architecture de l’information se définit par le fait de « maîtriser (ἀρχός / arkhós : celui qui gouverne) la production (τίκτω / tíktô : produire) des informations », cela ne se résume pas qu’à sélectionner et structurer des informations sur une interface. Au cours de la conception, le designer participe naturellement au partage des informations avec tous les acteurs de la conception (chef de projet, développeur, client, usager...). Du point de vue des sciences de la communication, le designer est dit médiateur, car il fait quotidiennement l’usage de la communication médiatique qui intègre un élément tiers dans l’échange d'informations.
J’appelle ces éléments tiers, des objets intermédiaires (OI) de conception. Ce concept est proposé par Gauthier et Bihanic dans « Pratique et discours ». L’OI est défini comme tout élément tiers produit par le concepteur/designer servant de support au partage d’information et favorisant la collaboration. Selon Dominique Vinck, "l’objet intermédiaire est à la fois une représentation, une traduction, un médiateur et un marqueur temporel." Sa nature évolue entre différents états : ouvert, fermé, médiateur et commissionnaire, suivant le moment du projet, la personne qui le réceptionne et l'intention souhaitée.
Chez InfleXsys, ces objets prennent différentes formes, à la fois pour animer les débats interdisciplinaires et participer à l’implication du client aux prémices du projet. Le rôle du designer, ici, est de favoriser la collaboration au sein de l'équipe de conception grâce à la mise en forme d'outils ciblés et commentés. Comme j’ai pu le développer dans mon mémoire de recherche (Septembre 2019) le designer-médiateur est au cœur de ces préoccupations : c’est notre rôle de simplifier, puis de partager l’information avec autrui. Chaque designer prend en main un certain nombre d’outils (dessins, maquettes, prototype, outils UX…) qui accompagnent son discours et permettent de cadrer les usages.
Selon moi, le support de communication majeur est le parcours utilisateurs. D’abord wireframe noir et blanc, puis de plus en plus précis pour se rapprocher de la réalité. Cet outil schématique, accompagné d’un discours ou non, est un support qui évolue considérablement au cours du processus et permet de créer un langage commun avec chef de projet, client, développeur et tout acteur rejoignant le projet.
Passant par différentes étapes de validation, la formalisation des écrans permet de dessiner la structure des interfaces, les interactions et le parcours que devrait suivre l’utilisateur. Cet outil permet de construire, pas à pas, la meilleure expérience possible.
Wireframe, brief design et prototypes animés, sont des supports de communications interdisciplinaires qui facilitent les échanges et formalisent l'avancée du projet. La création de tels objets est « un projet dans le projet » pour le designer, puisqu’ils sont à eux seuls, un travail réfléchi et argumenté.
Suite à mon intervention sur les objets intermédiaires, on m’a demandé si je considérais le livrable vendu au client comme un Objet Intermédiaire. Il est vrai que le designer est de plus en plus « maker », mais selon moi il ne doit pas être celui qui « réalise » le produit final. Même si l’on voit de plus en plus l’apparition de designer-artisans, impliqués dans la conception d’objet autoproduits, dans le contexte d’InfleXsys, les développeurs sont les plus à même de réaliser tangiblement l’application, en tenant compte des préconisations que nous leur soumettons, et des contraintes techniques auxquelles ils sont assujettis. De ce fait, il est parfois possible que l’on observe quelques écarts entre le prototype (presque réel) que conçoit le designer et la solution finale, les obligations techniques et de faisabilité ayant limité le champ des possibles. Toutefois, plus l’objet intermédiaire, partageant les informations relatives au produit final, sera complet et intelligible, plus le livrable sera fidèle aux besoins utilisateurs.
Chez InfleXsys, le designer reste la personne qui préconise les usages et les bonnes pratiques pour favoriser une bonne expérience, mais c’est le développeur qui va donner naissance au livrable en lui-même.
Pour conclure, cette journée d’étude sur l’architecture de l’information m'a permis, une fois de plus, de questionner ma posture de designer. Alors qu’Alice Totaro, évoquait le lien étroit entre architecture d’espace et architecture de l’information, ce que je retiens de cette journée est que, peu importe le domaine de mise en application et le sens que l'on donne à cette approche, ce qui prime reste l'usager... Dans tous les domaines, l’architecture de l’information se matérialise et existe POUR la personne qui réceptionne l’information. Sans la présence d’un usager, utilisateur, lecteur, auditeur…. l’information n’aurait pas besoin d’être réagencée et repensée de cette manière. La formalisation du message suivra naturellement la nature de la personne visée. Cette rencontre interdisciplinaire vient renforcer notre motivation à mettre toujours plus en évidence, en tant que designer, une conception « user centric », à l'écoute de l'usager.
Product design + product management. Docteur en design/IHM. Co-responsable du Master Design Interaction Innovation Service. Ex responsable design + produit chez iQspot
4 ansMerci Yelen pour ton intervention ainsi que pour cette synthèse de l'événement. Ton expérience a rendu compte des deux facettes de l'AI : pour l'utilisateur mais aussi pour le concepteur (et son équipe).