Arrêté royal n° 15 relatif au sursis temporaire en faveur des entreprises des mesures d'exécution et autres mesures pendant la durée
On l’attendait et le voici enfin cet arrêté royal de pouvoirs spéciaux relatif au sursis temporaire en faveur des entreprises des mesures d'exécution et autres mesures pendant la durée
En somme, cet arrêté, qui comprend à peine 5 articles, offre un régime correspondant à un moratoire temporaire durant lequel toute entreprise débitrice est en principe protégée contre les saisies conservatoires et exécutoires et toute déclaration en faillite (ou dissolution judiciaire).
Ce moratoire temporaire ambitionne d’offrir divers avantages et notamment une efficacité en termes de coûts et de temps, dès lors que les mesures produisent leurs effets à la date du 18 mars 2020, sans qu’il faille introduire une demande en justice et déposer des pièces ou obtenir un jugement. Enfin, il convient de souligner que ses mesures sont proportionnées et limitées à la période et aux conséquences de la crise.
1. Le champ d’application.
En son article 1er de l’ARPS, énonce que :
- « Toutes les entreprises relevant du champ d’application du Livre XX du Code de droit économique dont la continuité est menacée par la pandémie du Covid-19 et ses suites et qui n’étaient pas en état de cessation de paiement à la date du 18 mars 2020, bénéficient d’un sursis temporaire à partir de l'entrée en vigueur du présent arrêté jusqu'au 17 mai 2020 y compris tel que précisé ci-après : (…) »
a.) Ratione personae, il est clairement établi que toutes les entreprises ne peuvent pas bénéficier de ce moratoire légal. Les entreprises qui étaient déjà en cessation de paiement avant le 18 mars 2020, à savoir la date de commencement du confinement, sont exclues de ce régime, les problèmes de ces entreprises étant historiques, et non liés à la crise actuelle.
Par ailleurs, s’agissant des déclarations des faillites sur aveu ou citation, il y a lieu d’énoncer certains tempéraments. L’Arrêté ne s'applique pas aux entreprises qui ont déjà été déclarées en faillite le jour de son entrée en vigueur.
Ainsi, une entreprise dont la demande en déclaration de faillite est pendante le jour de l'entrée en vigueur du présent arrêté relève bien de ce régime, mais peut être déclarée en faillite en vertu de l'article 1er s'il apparaît que l’entreprise était déjà en cessation de paiements le 18 mars 2020.
b.) Ratione materiae, s’agissant des saisies et voies d’exécution, les saisies immobilières échappent au moratoire.
- « Sauf sur les biens immobiliers, aucune saisie conservatoire ou exécutoire ne peut être pratiquée et aucune voie d’exécution ne peut être poursuivie ou exécutée sur les biens de l’entreprise, pour toutes les dettes de l'entreprise y compris les dettes reprises dans un plan de réorganisation tel que prévu à l’article XX.82 du même Code homologué avant ou après l'entrée en vigueur du présent arrêté ; Cette disposition n’est pas applicable à la saisie conservatoire sur les navires et bateaux; »
Enfin, ne sont pas affectées par ce sursis ni l'obligation de paiement des dettes exigibles, ni les sanctions contractuelles de droit commun telles que, l'exception d'inexécution, la compensation ou le droit de rétention.
Elle n'affecte pas par ailleurs, l'application de la loi sur les sûretés financières, ni les obligations des employeurs.
2. Les mesures
L’arrêté met en place un moratoire, ou un sursis généralisé qui s’applique automatiquement à toutes les entreprises qui entrent dans son champ d’application afin de les aider à traverser la période de pandémie de Covid-19, avec la volonté déclarée de ne pas faire porter le fardeau de la gestion de cette crise économique par les tribunaux de l’entreprise.
Néanmoins, il n’appartient pas à aux créanciers d’apprécier si leurs débiteurs peuvent ou pas bénéficier de ce sursis, parce que notamment ceux-ci, n’entrent pas dans du champ d’application de l’ARPS.
A titre exemplatif, les créanciers ne peuvent estimer si l’état de santé économique de leur débiteur découle de l’impact de la pandémie ou ce dernier était déjà en état de cessation de paiements avant le 18 mars 2020.
Ainsi, l’arrêté prévoit, en son article 1, §2 expressément que seul le Président du tribunal de l’entreprise, agissant sur citation, à la possibilité de lever le sursis en tout ou en partie.
Concrètement un créancier qui souhaite pratiquer une saisie conservatoire doit d’abord citer devant le Président du tribunal de l'entreprise en vue d’obtenir la levée du moratoire.
Le requérant doit informer correctement le président sur la nature et l’état de l'entreprise.
Si le président lève le moratoire, le demandeur peut demander au juge des saisies l'autorisation habituelle de procéder à une saisie conservatoire, selon les conditions du droit commun (par exemple, l'urgence).
Dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, le Président pourra tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire.
Par exemple, il vérifiera si le débiteur a été touché par la crise du Corona et ses mesures.
En particulier, il pourra tenir compte de l'impact de la crise du Corona sur l'entreprise, qui est objectivé sur la base des critères suivants :
(i) si, suite à la crise du Corona, le chiffre d'affaires ou l'activité du débiteur a fortement diminué,
(ii) s'il y a eu recours total ou partiel au chômage temporaire ou complet et
(iii) si les autorités ont ordonné la fermeture de l'entreprise du débiteur.
Dans ce contexte le Président du tribunal de l’entreprise peut tenir compte des tentatives d'accord entre le débiteur et le créancier, ainsi que des tentatives pour obtenir de nouveaux crédits.
Le Président peut également tenir compte des conséquences du sursis sur les intérêts du requérant, en l’occurrence le créancier.
La charge globale de la dette et l'absence de chance de redressement du débiteur peuvent également jouer un rôle, ainsi que le fait que la dette soit née de contrats conclus après le déclenchement de la pandémie ou de l’épidémie de Covid-19, dans la mesure où l'intéressé avait déjà une idée des conséquences que ces mesures (pourraient) entraîner.
Comme toujours, le Président peut aussi réprimer les fraudes et tout abus de droit, par exemple lorsqu'il est démontré que l'entreprise n'est pas affectée par la pandémie ou l’épidémie ou est parfaitement en mesure de payer ses dettes.
Conclusion
L’ARPS, procède en quelque sorte à une inversion du contentieux en matière d’insolvabilité, pour contrecarrer l’automaticité de la couverture offerte par le régime de sursis et d'éviter que certaines entreprises ne puissent bénéficier indûment de ces mesures.
Ces mesures paraissent proportionnées dès lors qu’en cette période de crise, il est en tout état de cause raisonnablement difficile d'obtenir un titre exécutoire ou une déclaration de faillite.
Reste néanmoins, à vérifier l’efficacité de telles mesures à long terme et leurs impacts après la crise.
En effet la durée de l’application de ces mesures aura un impact important sur la capacité des entreprises à relancer leur modèle économique. Si ces mesures sont arrêtées avant que l’entreprise ne puisse amorcer sa relance, ce moratoire aura simplement pour effet de reporter le problème dans le temps sans doute en aggravant d’autant la situation financière de l’entreprise, qui devra alors introduire une demande plan de réorganisation judiciaire voire faire aveu de faillite. L’automaticité des mesures ayant disparu, les entreprises risquent tout de même de solliciter la protection du tribunal par l’introduction d’un plan de réorganisation judiciaire.
Enfin rappelons que ce qui profite à certains, nuira indubitablement à d’autres.
Les créanciers, notamment le secteur bancaire, devront alors s’armer de patience mais ceci est une autre histoire…
Jean-Noel Bastenière - Avocat - Curateur
Parsa Saba - Avocate - Délégué à la protection des données
Texte de l'ARPS :
"Arrêté royal n°15, du 24 avril 2020 relatif au sursis temporaire en faveur des entreprises des mesures d'exécution et autres mesures pendant la durée
Nous avons arrêté et arrêtons :
Article 1er. Toutes les entreprises relevant du champ d'application du Livre XX du Code de droit économique dont la continuité est menacée par l'épidémie ou la pandémie de COVID-19 et ses suites et qui n'étaient pas en état de cessation de paiement à la date du 18 mars 2020, bénéficient d'un sursis temporaire à partir de l'entrée en vigueur du présent arrêté jusqu'au 17 mai 2020 inclus, comme précisé ci-après :
- Sauf sur les biens immobiliers, aucune saisie conservatoire ou exécutoire ne peut être pratiquée et aucune voie d'exécution ne peut être poursuivie ou exécutée sur les biens de l'entreprise, pour toutes les dettes de l'entreprise y compris les dettes reprises dans un plan de réorganisation tel que prévu à l'article XX.82 du même Code homologué avant ou après l'entrée en vigueur du présent arrêté; cette disposition n'est pas applicable à la saisie conservatoire sur les navires et bateaux;
- L'entreprise ne peut être déclarée en faillite sur citation, ou s'il s'agit d'une personne morale, ne peut être dissoute judiciairement, sauf sur initiative du ministère public ou de l'administrateur provisoire qui a été désigné par le président du tribunal de l'entreprise tel que prévu à l'article XX.32 du même Code, ou sur consentement du débiteur; le transfert sous autorité de justice de tout ou partie de ses activités ne peut pas non plus être ordonné sur base de l'article XX.84, § 2, 1°, du même Code;
- Les délais de paiement repris dans un plan de réorganisation tel que prévu à l'article XX.82 du même Code et homologué avant ou pendant la durée du présent arrêté sont prolongés d'une durée égale à celle du sursis prévu dans le présent arrêté, le cas échéant avec une prolongation du délai maximal de 5 ans pour l'exécution du plan, en dérogation à l'article XX.76 du même Code et du délai maximal visé à l'article XX.74 du même Code;
- Les contrats conclus avant l'entrée en vigueur du présent arrêté ne peuvent être résolus unilatéralement ou par voie judiciaire en raison d'un défaut de paiement d'une dette d'argent exigible sous le contrat; cette disposition n'est pas applicable aux contrats de travail.
Toute partie intéressée peut demander par citation au Président du tribunal de l'entreprise compétent de décider qu'une entreprise ne tombe pas dans le champ d'application du sursis susmentionné ou de lever en tout ou partie ce sursis par une décision spécialement motivée. Cette demande est introduite et instruite selon les formes du référé. Le président rend sa décision toutes affaires cessantes. Pour ce faire, le président tient compte, entre autres, du fait que, à la suite de l'épidémie ou la pandémie de COVID-19, le chiffre d'affaires ou l'activité du débiteur a fortement diminué, qu'il y a eu recours total ou partiel au chômage économique, et que l'autorité publique a ordonné la fermeture de l'entreprise du débiteur, ainsi que des intérêts du requérant.
Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, adapter la date finale de cette période.
Cette disposition ne déroge pas à l'obligation de paiement des dettes exigibles, ni aux sanctions contractuelles de droit commun telles que, entre autres, l'exception d'inexécution, la compensation et le droit de rétention. Elle n'affecte pas l'application de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers. Elle n'affecte pas non plus les obligations des employeurs.
Art. 2. L'obligation visée à l'article XX.102 du même Code pour le débiteur de faire aveu de faillite est suspendue pendant la durée du sursis visé à l'article 1er du présent arrêté, si les conditions de la faillite sont la conséquence de l'épidémie ou la pandémie de COVID-19 et ses suites. Cette disposition ne déroge pas à la possibilité pour le débiteur de faire aveu de faillite.
Art. 3. Les articles 1328 du Code civil et XX.112 du Code de droit économique ne sont applicables ni aux nouveaux crédits accordés pendant la durée du sursis aux entreprises visées à l'article 1er du présent arrêté ni aux sûretés établies ou autres actes accomplis en exécution de ces nouveaux crédits.
La responsabilité des dispensateurs de nouveaux crédits visés à l'alinéa 1er ne peut être poursuivie pour la seule raison que le nouveau crédit n'a pas effectivement permis de préserver la continuité de tout ou partie des actifs ou des activités du débiteur.
Art. 4. Le présent arrêté entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.
Art. 5. Le Ministre de la Justice, le Ministre des Classes moyennes, des Indépendants et des PME, et la Ministre de l'Economie sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution de présent arrêté.
Donné à Bruxelles, le 24 avril 2020.
PHILIPPE
Par le Roi :
Le Ministre de la Justice,
K. GEENS
Le Ministre des Classes moyennes, des Indépendants et des PME,
D. DUCARME
La Ministre de l'Economie,
N. MUYLLE"
Avocat chez WALLON
4 ansEt bien voilà de quoi inspirer d’autres pays Européens.