Arrestation de Boualem Sansal : Emmanuel Macron face au casse-tête algérien
Isabelle Lasserre
Le Figaro
26/11/2024
ANAYSE -
Pour chaque président français, la relation triangulaire avec l’Algérie et le Maroc est un équilibre instable qu’il faut manier avec une grande précaution et des attentes modérées. L’année 2024 restera-t-elle dans les annales comme celle où cet équilibre si difficile à maintenir a été rompu ? L’arrestation de Boualem Sansal est à la fois une attaque contre la France, l’ancienne puissance coloniale honnie, contre Emmanuel Macron, qui a naturalisé en personne l’écrivain cette année et contre les valeurs de la démocratie.
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Elle est une nouvelle étape dans le lien conflictuel entre Paris et Alger, qui atteint pour la première fois aussi directement la sphère culturelle. À Alger, la colère du pouvoir est également dirigée contre Kamel Daoud, lui aussi naturalisé français et fervent critique, comme Boualem Sansal, de l’islamisme. Alors que deux plaintes ont récemment été déposées en Algérie contre lui, son prix Goncourt est interprété comme un choix politique du jury, lié à la crise franco-algérienne…
Cette nouvelle entaille dans la relation bilatérale intervient au moment où l’incompréhension et l’hostilité sont à leur comble entre les deux côtés de la Méditerranée, depuis qu’Emmanuel Macron, le 31 juillet 2024, a franchi le pas de la reconnaissance de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental. Longtemps, Paris était resté dans l’ambiguïté vis-à-vis de ce territoire contrôlé de facto en majeure partie par le Maroc mais revendiqué par les Sahraouis du Front Polisario soutenus par Alger, qui réclament un référendum d’autodétermination. Son choix en faveur du Maroc, de même que la visite d’Emmanuel Macron à Rabat fin octobre pour sceller la réconciliation ont été très mal perçus à Alger.
Concessions mémorielles
Les gestes mémoriels concédés par l’Élysée depuis n’ont pas réussi à apaiser la colère algérienne. Au contraire sans doute, puisque Boualem Sensal a été arrêté après que la France a reconnu, le 1er novembre, que le militant nationaliste algérien Larbi Ben M’Hidi avait bien été assassiné par les militaires français en 1957, et juste après que l’ambassadeur Stéphane Romatet a déposé une gerbe de fleurs sur sa tombe le 19 novembre, au carré des martyrs du cimetière d’el-Alia à Alger.
Les concessions mémorielles de l’Élysée n’avaient pas davantage porté leurs fruits au début du premier mandat d’Emmanuel Macron. En 2017, le président français, qui voulait tenter une « réconciliation » entre les peuples français et algérien, avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Ses propos avaient été vivement critiqués en France, sans pour autant apaiser la relation bilatérale. Ni la déclassification accélérée des archives coloniales antérieures à 1971, ni les ouvertures qui ont suivi n’avaient réussi à normaliser une relation avec le pouvoir algérien, qui s’appuie sur la rente mémorielle pour nourrir la rancœur contre l’ancienne puissance coloniale.
En renouant le lien avec le Maroc sur la question du Sahara occidental, Emmanuel Macron a donné raison à l’adage des diplomates du Quai d’Orsay, qui répètent à l’envi que « Tout mandat présidentiel commence à Alger et s’achève à Rabat ». Il a sans doute aussi fait le deuil, en tout cas provisoire, de la relation avec l’Algérie, que Paris a fini par juger impossible avec l’actuel pouvoir politique. Mais il ne pourra ignorer le sort de l’écrivain devenu français par ses soins.