ON ATTEND DE MOI QUE JE SOIS CE QUE JE SAIS MAIS PUIS-JE ETRE CE QUE JE PEUX ?

ON ATTEND DE MOI QUE JE SOIS CE QUE JE SAIS MAIS PUIS-JE ETRE CE QUE JE PEUX ?

Journal fictionnel d’un salarié en fin de carrière

Mon CV dit ce que je sais. Demain, pour mon entretien d’embauche, le seul depuis deux ans, je serai pleinement ce que je sais. Le recruteur cherchera par différents biais à se le faire confirmer. Je me prépare donc en ce sens en travaillant la posture, le rôle, dont l’interprétation que j’en ferai ne lui laissera aucun doute sur l’adéquation entre ma candidature et le poste. Rien ne doit m’échapper. J’épluche la liste des questions pièges régulièrement posées en entretien puis prépare des réponses. J’étudie ma gestuelle pour en expurger les mouvements fébriles. Je comble les vides de la continuité de mes expériences par des pas de côté recevables. Mes répliques sont au point, je peux tout justifier, aucune conséquences ne restera sans cause. Je suis prêt à être ce que je sais.

C’est un échec. Ce que je sais parle du passé, est obsolète au présent et n’a pas de futur. Le poste m’échappe. Tout ce que j’ai accompli ne vaut rien, je ne suis plus désirable. Est-ce une erreur de ma part que d’avoir valorisé mes expériences ? Ma vie professionnelle, telle une épave de voiture, vient d’être compressée par les vérins du marché en quelques instants. Transformée en un cube à remiser dans le hangar des fins de carrière dont on ne sait que faire.

Nous sommes nombreux, les « SENIORS », alignés dans ce hangar reculé à attendre l’enfouissement de nos vies dans un cul de carrière. Notre stockage est une charge assortie d’un coût sans aucune perspective de profit. Aucune filière de recyclage n’est envisagée sérieusement, on en parle puis on valorise le fait d’en parler, c’est toujours du temps de gagné.

Je peux être beaucoup de choses, cette carrière passée n’aura été qu’un possible parmi tant d’autres encore à explorer. Mais est-ce que je veux ce que je peux ? Que puis-je oser être que je ne fusse déjà ? Aurais-je l’humilité de ne pas savoir pour apprendre ? Saurais-je voir en l’inconnu autre chose que la peur et l’inconfort ? Rien ne m’y invite. Et pourtant, je sais que si je veux être ce que je peux il me faut ardemment le vouloir, ne pas me résigner au rôle assigné.

Après la peur de ne pas être, arrive celle de ne plus être puis enfin celle d’avoir été. Une vie d’Homme doit elle être régie par les peurs ? Faut-il oser le multiple, n’être ni humain ni cheval mais Centaure, alliance du corps et de l’esprit, de la force et de la sagesse, dans une société hybride où se côtoieraient les générations, chacune à leur place et à leur office, toutes enrôlées dans une entreprise d’intérêt général à fin d’élévation collective ?

Marchands de peurs passez votre chemin ! J’ai décidé d’oublier d’être ce que je sais pour trouver dans cet oubli, la plus parfaite, la plus haute exigence et la plus illimité permission de bonheur. La reconversion professionnelle est une mue intérieure, lente et difficile mais avant tout la promesse d’une renaissance radieuse.

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