Au nom de notre (?) protection.
Différents attentats, dont ceux de 1995, ont conduit à la mise sur pied du Plan VIGIPIRATE. Pour protéger la population, l'Etat a mis en place un dispositif policier, renforcé par les armées, visant à dissuader un acte terroriste. Très rapidement, le pays s'est retrouvé au niveau VIGIPIRATE ROUGE avec affichage d'un risque "permanent" d'attaque terroriste. Les dirigeants ont instauré un climat de peur et de suspicion, profitant du besoin de la population d'être "rassurée". Il était difficile pour eux de faire redescendre le niveau (entre 2003 et 2013). Force est de constater que le terrorisme n'a pas frappé au regard des discours tenus mais l'état de vigilance s'est banalisé.
Il a fallu redéfinir ce plan (2014 puis 2016) pour inscrire dans le marbre un dispositif exceptionnel à sa création mais finalement inscrit dans notre paysage, en particulier dans les grandes villes. Le ministère de l'Intérieur a gagné beaucoup de pouvoir dans cette période (action visible de l'Etat dans des zones fortement peuplées, pouvoir d'enquête et d'investigations accru, création de la direction de la Sécurité intérieure). On peut se demander d'ailleurs à quel point ce dispositif de lutte contre le terrorisme n'est pas devenu un dispositif de lutte contre la délinquance : quand on contrôle et on cherche, on trouve, mais pas nécessairement ce que l'on cherchait au départ.
Avec le changement de 2016, beaucoup de manifestations ont connu des difficultés liées au surcoût des mesures de sûreté supplémentaires à prendre. Certains organisateurs ont dû renoncer à leurs évènements et manifestations. Le cadre de vie du citoyen s'est dégradé. Le terrorisme a eu une victoire en nous laissant faire.
Aujourd'hui notre liberté s'est réduite pour notre "bien". La peur du terrorisme est entrée dans les têtes. Ce qu'elle permet est devenue un bon levier d'action pour contraindre à la demande la population sans remise en cause.
Le COVID-19 a déclenché le même processus que le terrorisme mais avec une efficacité incomparablement supérieure puisque chacun d'entre nous peut à juste titre se sentir visé et se voir comme une victime potentielle. La paralysie du pays est générale. Le virus "va plus loin" que le terroriste qui ne provoque qu'un petit freinage de l'Economie.
L'Etat a été perdu face à l'ampleur de la menace. Le pays n'était pas prêt en dépit des enseignements des crises sanitaires précédentes et du plan Pandémie rédigé à cette occasion (mesures à prendre comme le stockage de masques). Il a donné la "priorité à l'humain plutôt qu'à l'Economie" pour parer à l'urgence de la situation. Mais rapidement, après avoir admis et fait admettre qu'il y aurait beaucoup de morts (mais pas trop), le réalisme et la rationalité (l'utilitarisme) ont repris le dessus et le discours a glissé vers le (est revenu au) sauvetage de l'Economie : il va falloir travailler plus pour faire gagner plus et rattraper le niveau des courbes de la croissance.
La peur du virus commençant à s'inscrire durablement dans les têtes, il faut de nouveau réalimenter la peur du salarié. La "crise économique" est toujours là mais la situation catastrophique annoncée offre une possibilité inattendue de prendre des mesures allant dans le sens de ce que n'osaient même plus demander les grands patrons. Les petits patrons et les indépendants ont déjà perdu. Ceux dont la bonne santé financière n'était pas avérée au départ de cette crise sanitaire sont déjà morts. Nous n'aurons jamais de chiffres sur les morts autres que du fait du virus, induits par ce confinement.
Le code du travail est remis en cause.
Ne sommes nous pas en train de vivre avec la gestion du COVID ce que nous avons vécu avec la gestion du terrorisme à partir de 1995 ? Des mesures d'urgence vont être prises pour la protection de l'Economie dans un contexte de crise permanente et de recherche d'une chimère dans notre pays que l'on appelle "croissance". Il est fort à parier que ces mesures exceptionnelles vont, comme pour VIGIPIRATE, en tout ou partie s'inscrire dans la durée pour se banaliser. Si l'intention du gouvernement et de ceux qui lui susurrent à l'oreille n'est pas manifeste, l'on ne peut s'empêcher d'avoir cela en tête.
Si le gouvernement voulait mettre en place les derniers éléments pour créer les conditions d'un soulèvement général, il ne s'y prendrait pas mieux.