Au secours, ma fille est schtarbée

Au secours, ma fille est schtarbée

Mathilde écrivain de SF et prof de Français, WTF ?


Entrepreneur trop tôt ?

Être étudiant-entrepreneur en 2011, ce n’était pas courant, surtout lorsqu’on avait l’ambition naïve de révolutionner le mode de vie des retraités français en les faisant rêver aux hirondelles. Prendre le risque de gâcher la brillante carrière linéaire que devait assurer un investissement de près de 50k€ dans une prestigieuse école de commerce, c’était chercher les ennuis. Tenir quatre ans avant de s’avouer vaincu relevait du masochisme plus que d’une saine persévérance. Il n’en fallait pas plus au principal investisseur de mon avenir – ma mère ! – pour écrire son premier livre « Au secours, ma fille monte sa boîte ! ».

2018 : cette folie de jeunesse est devenue monnaie courante, un passage presque obligé pour booster son CV, un badge de scout pour montrer qu’on est dans le coup. La coolitude (ou la couillitude ?) se mesure désormais au montant qu’on parvient à lever auprès de ‘’VC’’ et de ‘’corpos’’ et le nombre de concours pour élire qui a la plus grosse dépasse le nombre de participants pertinents. Pour peu qu’on accepte la ringardise de la prise de recul, quelques minutes à Station F suffisent pour le constater : nous sommes devenus fous.


« Va, descends, car ton peuple (d’entrepreneurs) s’est corrompu… » 

Et moi la première. Il fallait que ça brille. HEC n’était pas suffisant, il fallait l’École Polytechnique. Une expérience authentique d’entrepreneuriat et un chemin tout tracé dans un groupe performant du CAC, ça n’était pas assez non plus. Il fallait un titre de PhD, une expertise pointue sur un sujet à la mode, un carnet d’adresses exhaustif. Et tout ça en étant une femme (mais ce point mériterait bien un billet d’humeur dédié). Avec quelle facilité nous tombons dans le piège des apparences au mépris de nos valeurs. 

Nous sommes tous complices en jugeant de la valeur de l’autre en fonction de : 

(1) le prestige de la boîte à laquelle il s’est soumis en échange de la fierté d’arborer ses couleurs – le tatouage de notre servitude volontaire car penser par nous-mêmes est trop risqué ? – ;

(2) son prix sur le marché du travail ou de la valorisation de sa startup – sommes-nous des marchandises ? – ;

(3) le nombre de ses contacts Linkedin – des chaînes qui nous jugent et nous rattrapent quand nous prennent des idées folles de liberté ? – ;

(4) et encore (un peu) des diplômes… pour ce qu’ils valent.

Non, vraiment, il fallait prendre du recul. « Va, descends, car ton peuple (d’entrepreneurs) s’est corrompu… » ;) Certains sont heureux en faisant partie des cools, des populaires, des ados branchés, en surfant sur la vague de la tendance actuelle – sans s’arrêter pour se demander si ce qu’ils font a une quelconque utilité… Et pourquoi pas ? Mais ce n’est pas mon cas, je n’ai jamais été la pouf de la cour de récré. Il fallait se réveiller : continuer à assumer sa bizarrerie, continuer à déranger, et surtout à questionner.


Écrivain de science-fiction et prof de français dans le public ?

Je vois d’ici le mouvement de sourcil perplexe et un brin méprisant de mes relations – que je distinguerai de mes amis –, les messes-basses des cadres pimbêches en Sandro dont j’ai failli faire partie et surtout l’apoplexie de ma pauvre mère qui a tant investi sur mon avenir et qui n’a plus qu’à préparer son prochain livre : « Au secours, ma fille est schtarbée ! ». 

Je n’ai jamais été douée pour convaincre. Je me repose pour cela sur mon brillant époux Guillaume dont l’esprit scientifique, le calme, la rigueur – fruit de son éducation jésuite ? – rassurent et inspirent de l’estime et une confiance en son expertise. Ce n’est pas mon cas. Il lui arrive de m’appeler affectueusement Cassandre. Mon intelligence est intuitive et explosive. Aussi je ne chercherai pas à me justifier, simplement à poser des questions.

Trois constats (merci la prépa !) :

1.     Notre temps de vie est limité. L’argent, ça peut se gagner. Le prestige, l’image, le succès, l’expérience aussi. Du temps de vie supplémentaire ? Non.

2.     La crise écologique que nous avons déclenchée est réelle et vraiment flippante (si vous n’êtes pas convaincu, renseignez-vous, il y a de quoi faire des cauchemars).

3.     Ces dernières années, j’ai croisé des centaines de gens brillants pris dans les filets d’un conformisme confortable. Quel gâchis… 


Il est temps de se poser les vraies questions ;)

Alors je vous répète la formule vieillotte qu’un ami précieux a employée pour me secouer : « Il faut que tu fasses rayonner la belle lumière qui est en toi ! ». Bon, lui pensait me convaincre ainsi de rejoindre le comité de direction d’une entreprise… Visiblement, cela n’a pas eu le résultat escompté, mais dans le fond il avait raison.

A quoi voulez-vous vraiment consacrer votre précieux temps de vie ? JA être surbooké à la limite de l’épuisement pour des sujets triviaux et s’empêcher ainsi, abruti par le travail, de se poser les bonnes questions ? A savourer la récompense amère qu’est le regard envieux des autres face à votre succès passager ? Cela marchera un temps - longtemps pour certains – et un jour, vous aussi, vous vous poserez les bonnes questions – et je vous le souhaite.


Passage obligé à la librairie

En digne prof de Français qui se respecte, je vous recommanderais la bibliographie suivante que j’enrichis petit à petit. Lisez et réveillez-vous :)

- L’art presque perdu de ne rien faire de Dany Laferrière - Aimez perdre du temps

- Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson – Prenez du recul

- Martin Eden de Jack London – Suivez vos rêves

- Les racines du ciel de Romain Gary – Sauvez (métaphoriquement ou pas) les éléphants

- Les cavaliers de Joseph Kessel – Évadez-vous

- La Horde du Contrevent d’Alain Damasio – Assumez votre folie à bras le corps

- Extinctions de Charles Frankel – Renseignez-vous


Enfin, certains se doutent déjà qu’il y aura une suite dans ces aventures. Matière à un troisième tome pour la série des « Au secours, ma fille… » ?


Frédéric Bar

Director Sales Europe and EEMEA at STERIS Corporation @STERIS LifeSciences

6 ans

Bravo Mathilde, je te reconnais, tu devrais lire Sapiens de Harari!

Thibaut Henry

Ingénieur Patrimonial

6 ans

Excellent, je suis fan! car il faut un sacré courage pour sortir des sentiers battus de l'entrepreneuriat (eh oui, étonnant n'est-ce pas?)

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