Aux Etats-Unis, de nombreux cancers sont de plus en plus fréquents chez les jeunes
Référence et article complet
Differences in cancer rates among adults born between 1920 and 1990 in the USA: an analysis of population-based cancer registry data.
Sung H, Jiang C, Bandi P, Minihan A, Fidler-Benaoudia M, Islami F, Siegel RL, Jemal A.Lancet Public Health. 2024 Aug;9(8):
Par Stéphane Foucart source article du Monde
Selon une vaste étude américaine, les générations nées dans les années 1980 et 1990 ont une probabilité d’avoir un cancer supérieure à leurs aînés.
Les jeunes générations sont-elles plus susceptibles de contracter un cancer que celles qui les ont précédées ?
Cette question revient fréquemment dans la conversation publique, mais elle est aussi au cœur d’une récente et intense activité de recherche.
Une étude d’ampleur inédite, publiée dans l’édition d’août de la revue The Lancet Public Health, contribue à y répondre pour le cas particulier des Etats-Unis : selon ses auteurs, conduits par l’épidémiologiste Hyuna Sung (American Cancer Society), plusieurs formes de la maladie apparaissent de plus en plus courantes chez les jeunes.
Pour les Américains nés dans les années 1980 et 1990, le risque de contracter un cancer serait ainsi supérieur aux générations antérieures pour 17 cancers (sein, pancréas, rein, colon, intestin grêle, leucémie, thyroïde, myélome…).
A l’inverse, pour une dizaine de cancers – souvent liés au tabagisme – le risque décroît chez les plus jeunes.
Spécifiques à la situation outre-Atlantique, ces résultats ne peuvent être extrapolés au reste du monde, mais plusieurs pathologies cancéreuses voient leur incidence grimper chez les moins de 50 ans dans de nombreux pays, en raison aussi parfois de diagnostics posés plus tôt.
Signe de la préoccupation des communautés scientifiques et médicales, le nombre de travaux publiés sur les « cancers précoces » (early-onset cancers) a presque doublé au cours des cinq dernières années.
Hyuna Sung et ses coauteurs ont analysé l’incidence et la mortalité (le nombre de nouveaux cas et de morts par an, pour 100 000 personnes) de 34 cancers en fonction de l’année de naissance.
Ils se sont fondés sur les données des registres nationaux du cancer et du National Center for Health Statistics (Centre national des statistiques de santé) des Etats-Unis, rassemblant les informations de plus de 23 millions de patients touchés par la maladie entre 2000 et 2019.
Ils ont ensuite estimé, à partir des données disponibles, la fréquence et la mortalité de chacune de ces pathologies tout au long de la vie, en fonction de l’année de naissance depuis 1920 jusqu’à 1990.
Amélioration du diagnostic
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« Pour huit de ces 34 cancers, nous constatons que le risque augmente pour chaque cohorte de naissance successive, depuis celle née en 1920 [aux Etats-Unis], écrivent les chercheurs. En particulier, l’incidence chez les femmes et les hommes est environ deux à trois fois plus élevée dans la cohorte de naissance de 1990 que dans celle de 1955 pour les cancers (…)du rein [+ 192 %] et du pancréas [+ 161 %] et chez les femmes pour le cancer du foie et des voies biliaires [+ 105 %]. »
Les incidences de neuf autres cancers (sein, colon-rectum, ovaire, etc.) ont dans un premier temps baissé généralement dans la première moitié du siècle, avant de repartir à la hausse chez les populations les plus jeunes.
En particulier, l’incidence du cancer du sein hormono-dépendant (le plus courant) a augmenté de 86 % aux Etats-Unis, pour la cohorte née en 1990, par rapport à celle née en 1930.
Entre ces deux mêmes cohortes, l’incidence du cancer de l’utérus a augmenté de 169 % et celle du col de l’utérus a baissé de 60 %.
« L’observation que l’incidence de 17 cancers augmente dans les cohortes de ceux qui sont nés plus récemment est majeure, observe le biologiste Marc Billaud (CNRS), spécialiste de la cancérogenèse et responsable du département des sciences humaines au Centre Léon-Bérard de Lyon, qui n’a pas participé à ces travaux. Elle est à mettre en relation avec d’autres études récentes montrant l’augmentation des cancers chez les moins de 50 ans », ajoute-t-il.
Dans certains cas, ces augmentations peuvent être artéfactuelles : Hyuna Sung et ses coauteurs estiment que les augmentations spectaculaires d’incidence relevées entre la génération de 1920 et celle de 1990, pour les cancers de la thyroïde (+ 840 %) et du rein (+ 300 %), témoignent en partie de l’amélioration du diagnostic grâce aux nouvelles techniques d’imagerie.
En outre, ce surrisque important ne se traduit pas par une hausse de la mortalité.
Au total, les auteurs n’ont pu estimer la variation du taux de mortalité selon l’âge de naissance que pour 25 des 34 cancers étudiés et ils observent dans la plupart des cas une baisse pour les jeunes générations par rapport aux précédentes.
Des facteurs de risque plus diffus
Ces tendances à la baisse de la mortalité à cinq ans témoignent des progrès dans le dépistage et la prise en charge des patients, mais pas nécessairement de leur rémission complète.
Au-delà de ces cinq ans, la mortalité enregistrée n’est pas attribuée au cancer.
Ainsi, Hyuna Sung et ses collègues notent dans leurs travaux que le cancer du pancréas, la maladie cancéreuse au pronostic le plus sombre, voit son incidence augmenter fortement chez les plus jeunes aux Etats-Unis, mais sa mortalité chuter dans le même temps – indice que de plus en plus de patients sont vivants dans les cinq années suivant le diagnostic.
« Le fait de calculer l’incidence des cancers en la rapportant à l’année de naissance permet de mettre en évidence des phénomènes qu’on ne verrait pas autrement », explique Marc Billaud.
Aux Etats-Unis, les dernières générations semblent ainsi moins susceptibles de contracter les cancers liés au tabac (poumon, larynx, vessie, etc.), dont la consommation s’est fortement réduite chez les plus jeunes.
Mais d’autres facteurs de risque, plus diffus, ont pris le relais.
« Schématiquement, le tabac et l’alcool ont été les grandes causes de cancers et de maladies chroniques au XXe siècle, estime le médecin et épidémiologiste Jean-David Zeitoun, auteur d’un ouvrage récent sur le sujet (Le Suicide de l’espèce, Denoël, 2023).
Au XXIe siècle, le tabagisme est en baisse lente à l’échelle mondiale et dans beaucoup de pays, et l’alcool est contrôlé ou en baisse dans les pays les moins pauvres, grâce aux politiques publiques.
En revanche, les deux énormes risques en croissance au XXIe siècle sont la pollution au sens large et l’alimentation, qui sont plus difficiles à mater car nous avons besoin de l’industrie alimentaire, tandis que la pollution est générée par de nombreuses industries. Ces causes mêlées sont les deux coupables des cancers précoces. »
L’heure serait ainsi à une sorte de transition épidémiologique.
« Ces nouvelles données vont d’une certaine manière à l’encontre de l’idée que le cancer serait essentiellement une maladie liée à l’âge, constate Marc Billaud. Elles montrent que l’augmentation de l’incidence reflète des mécanismes étiologiques spécifiques qui sont probablement liés à des expositions précoces au cours de la vie : obésité et facteurs nutritionnels ou chimiques… Nous avons maintenant de nombreux éléments épidémiologiques permettant de critiquer l’idée ressassée que l’augmentation de l’incidence est liée au vieillissement de la population. »
Forte inquiétude autour du pancréas
L’étude de Hyuna Sung et de ses collègues ne cherche pas à déterminer les causes d’augmentation de ces cancers spécifiques.
« Ce que nous pouvons au moins dire est qu’il existe des preuves établies que l’obésité augmente le risque de contracter 10 des 17 cancers [plus fréquents chez les jeunes] »
, explique Mme Sung.
Quant aux principaux facteurs de risque de l’obésité, il s’agit de la mauvaise alimentation – en particulier ultratransformée –, de la sédentarité, mais aussi de l’exposition à des substances chimiques dites « obésogènes », qui peuvent altérer le métabolisme.
Si l’obésité et le surpoids sont plus prévalents aux Etats-Unis que dans la plupart des pays de niveau socio-économique comparable, certains des cancers surreprésentés chez les jeunes Américains sont également en augmentation ailleurs dans le monde.
En 2022, une synthèse de la littérature scientifique publiée dans Nature Reviews Clinical Oncology n’hésitait pas à évoquer une « épidémie de cancers précoces ».
Les auteurs identifiaient plusieurs pathologies cancéreuses (pancréas, sein, thyroïde, rein, prostate, colon-rectum…) de plus en plus fréquemment diagnostiquées chez les moins de 50 ans – ces tendances se retrouvant dans de nombreux pays.
En France, notamment, le cancer du pancréas est l’objet d’une forte inquiétude :
entre 1990 et 2018, son incidence a crû au rythme alarmant de 2,7 % par an chez les hommes et de 3,8 % par an chez les femmes, selon les données officielles.
Les facteurs de risque connus (tabac, surpoids et obésité) ne suffisent pas à expliquer cette envolée.
Par Stéphane Foucart. Source article du Monde
MD. PhD. Anesthésiste-Réanimateur, Visiting Assistant Professor @UCSF
3 moisSuper intéressant. Au delà du biais de l’amélioration des techniques diagnostiques, difficile de ne pas voir un impact de l’explosion des syndromes métaboliques et de l’exposition aux toxiques. Avec la diminution de la consommation d’alcool et du tabac aux USA, il est licite de suspecter ce qui est ingéré. Honnêtement, un certain nombre d’aliments de grande consommation pourraient être suspectés.