Avocat pas cru, Accusé cuit
Ce titre, adapté d’une phrase célèbre de l’humoriste et résistant Pierre DAC, est tiré d’un constat de plus en plus saisissant pour les habitants du petit monde touchant à la pratique quasi quotidienne du droit pénal.
Les barreaux de la Cour d’Appel de TOULOUSE absorbent depuis maintenant une bonne dizaine d’années, plus d’une centaine de jeunes avocats, tous majoritairement et fraichement sortis du brillant et très dynamique Centre Régional de Formation pour la Profession d’Avocats de Midi Pyrénées.
Cette jeunesse au cœur léger découvre, pour les plus chanceux, au sein d’un cabinet déjà existant en qualité de collaborateurs, la pratique réelle et quotidienne de son nouveau métier, via les dossiers qui lui sont confiés correspondants eux-mêmes, à des clients qui se sont tournés vers la compétence de leur « patrons », et pour les moins chanceux, les affres du libéralisme sauvage, via la contrainte de l’installation personnelle au sein de locaux où pour la majorité, ils se retrouveront seuls et livrés littéralement à eux-mêmes.
Cette particularité complétement surréaliste en terme pratique, induit comme conséquence fondamentale que les jeunes chanceux vont disposer d’un véritable encadrement professionnel dispensé sous un angle pratique, venant clairement au soutien de leur formation initiale (par essence très théorique), tandis que les moins chanceux, vont voir s’écouler les débuts de leur activité sans aucun encadrement pratique, sauf au travers de leurs propres erreurs ou succès, dont ils seront d’ailleurs bien incapables d’en comprendre, et donc d’en déterminer bien souvent les causes…
Ladite particularité pourrait au final porter à sourire, si on la compare à la formation d’un plombier ou d’un électricien dans notre pays, où la notion d’apprentissage préalable pratique reste la condition sine qua non élémentaire pour pouvoir travailler légalement au soutien d’un chantier quelconque.
Mais ladite particularité ne fait plus du tout sourire si on vient à réaliser que la fonction sociale de l’avocat repose sur une mission qui lui est confiée par un justiciable, le plus souvent confronté à une difficulté aux conséquences personnelles évidentes sur la conduite et le déroulement de ses propres conditions d’existence.
S’il est évident que l’allant assorti du désir de bien faire et de la volonté d’entreprendre vont habiter cette jeunesse, il ne doit pas nous faire oublier qu’il emporte avec lui un risque de faute professionnelle aux conséquences graves pour ledit justiciable.
Et que dire de cette étrangeté lorsque la mission en question se situe sur le terrain pénal, quand on sait justement que dans bien des cas, l’enjeu défendu pour le justiciable n’est autre que sa propre liberté ?!
Dans le cadre d’un précédent billet d’humeur (« garde vue, gare d’aveux »), j’avais tenté d’expliquer combien il était difficile d’anticiper certaines situations judiciaires en particulier lors d’un placement en garde à vue, au regard notamment de l’importance de la qualité de son interlocuteur judiciaire et de ses intentions.
A ce titre la question du choix dudit conseil me semble déterminante, puisque dans le domaine spécifique du droit pénal la pratique soutenue de la matière constitue le gage premier d’une protection élémentaire.
Ne pas penser sa défense, ou ne l’envisager que sous l’angle exclusif de la gratuité propre à la désignation d’un conseil inconnu débarquant de nulle part, répond à une logique qui favorisera le déséquilibre dans l’évident rapport de forces qui opposera le justiciable à n’importe quel représentant de la puissance publique.
En d’autres termes, la nature ayant horreur du vide, l’enquêteur, le procureur ou le juge en question, aura ainsi vite fait de gagner de l’espace au sein du périmètre intérieur du justiciable, s’il ne rencontre pas sur la route de sa fonction, un défenseur avisé et prompt, non seulement à protéger cet espace, mais aussi et surtout à comprendre quels en sont les enjeux.
Cette compétence-là seul en dispose l’avocat rompu à la pratique judiciaire contentieuse.
A ce titre on remarquera que ce critère ne vaut pas qu’à l’encontre du jeune diplômé contraint à l’installation forcée, mais aussi de manière évidente, à la question du domaine principal, voire exclusif de compétence, ce qui revient à dire qu’un avocat ancien qui ne pratique pas de façon soutenu la matière en question s’avérera tout autant source de risques pour son client.
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« Mille métiers mille misères », selon l’expression consacrée amenant les déconvenues précitées.
Cette particularité n’étant pas de mon humble point de vue, le fait du seul hasard, témoignage de la possible circulation du diable entre les hommes, mais le réel produit d’une volonté des pouvoirs publics et des trop nombreuses instances gérant la profession d’avocat dans son ensemble, qui vont pouvoir pour les premiers, leur permettre que cette jeunesse ne figure pas parmi les demandeurs d’emplois en s’installant à leur compte peu importe comment, et pour la seconde, de disposer d’un afflux constant de cotisants pour payer les retraites des avocats les plus anciens.
Triste constat que celui-ci, qui permet ainsi de mesurer combien le sort du justiciable, tout autant que celui de nos enfants jeunes diplômés (après plus de 6 ans d’études dites supérieures), est appréhendé qualitativement par notre nation.
« Mais Monsieur, tout de même, vous avez eu un avocat qui vous a assisté et en plus, il ne vous a rien couté ! de quoi vous plaigniez vous »…
Enfin, et toujours dans le même esprit, il est frappant de constater que les acteurs avertis du monde judiciaire et plus précisément de la stricte sphère pénale, aiment à fréquenter la fraîcheur consubstantielle attachée à l’incompétence pratique bien normale et compréhensible, de ces jeunes diplômés, puisqu’ils s’avèrent le plus souvent dociles et respectueux, mais aussi et surtout taisant, car n’oublions jamais que celui qui ne sait rien, en sait assez, s’il ne dit rien !
Force est de constater qu’en trainant le boulet de leurs si difficiles conditions d’exercice et de survie professionnelle quotidienne, ils se transforment peu à peu en cloportes, servant la mission d’auxiliaire de justice dans son acception la plus péjorative qui soit, aux joies (sous cape ou plutôt, sous robe) des juges, procureurs ou encore enquêteurs, qui ne voient en eux que des êtres serviles, quand ce n’est pas du grand public lui-même, qui n’aime que blâmer et railler la profession d’avocat, à grand coups de généralités de café du commerce.
« Nous ne cesserons notre exploration, et le terme de notre quête sera d’arriver d’où nous étions partis, et d’en connaitre le lieu pour la première fois »
Cette phrase de TS ELIOTT pourrait largement permettre de conclure ce modeste billet d’humeur s’il n’était pas en l’espèce, quelque peu trop radical, pour illustrer la triste difficulté discutée.
En effet, je crois que sans tomber dans la caricature, il est important de mesurer combien la question de l’expérience tirée principalement de l’apprentissage est déterminante dans une profession où, non seulement la question de la compétence technique est nécessaire, mais où elle ne suffit pas, dans la mesure où il y a forte et inévitable confrontation de personnes et d’idées, le tout, dans une dimension de temps particulière au sein de laquelle se jouent les propres conditions d’existence d’un individu.
Il faut en effet comprendre qu’une procédure pénale, quelle qu’elle soit, se noue en des instants bien précis où le justiciable doit être en capacité de faire valoir pleinement, et en toute connaissance de cause, l’exercice de ses droits, face aux acteurs de son accusation aussi bien intentionnés et dignes qu’ils soient.
Pour ce faire il existe pour l’avocat des « fenêtres » d’actions bien précises ; les laisser passer ou n’agir qu’à moitié, pourrait avoir des conséquences bien plus que fâcheuses pour le justiciable mis en cause qui n’en saisit pas l’importance.
Or pour que ce soit le cas encore faut-il que le conseil en question en mesure lui-même d’abord, et avant tout le monde, l’importance !
Force est de constater qu’en pratique et au quotidien, cette réalité n’est pas toujours très claire à l’esprit de l’avocat nouvellement saisi dans une affaire de droit pénal.
Frédéric DAVID