Bail réel environnemental (4/4) : de quoi la valeur verte est-elle le nom ?
Conclusion temporaire de notre réflexion sur le BRE, où l’on envisage un organisme finalement assez proche de l’organisme foncier solidaire et où l’on revient sur la notion de valeur verte, que nous n’avions encore qu’effleurée.
Dans les trois articles précédents, par parallélisme avec le bail réel solidaire (BRS), nous avons imaginé un bail réel environnemental (BRE), nouveau montage de dissociation économique visant à améliorer considérablement la durée de vie des logements [1]. L’immeuble support de ce montage est doté d’une "valeur verte" certifiée, inhérente à sa conception. Cette valeur est dissociée du reste de la propriété pour appartenir à un organisme chargé de l’entretenir moyennant une contribution versée par les copropriétaires.
Nous avons tenté de montrer l’intérêt d’un tel montage pour la société et pour les ménages acquéreurs [2], puis examiné les modalités de gestion de la valeur verte et leur implication sur le régie de la copropriété [3]. Le moment est venu de profiler l’organisme détenteur et gestionnaire de cet actif d’un genre particulier, puis d’aborder cette question que nous avons jusqu’ici éludée : comment définir cette fameuse valeur verte ?
Un organisme cousin de l'OFS
Commençons par le plus "simple" : l’organisme. Sachant que la valeur verte est au BRE ce que le foncier est au BRS, une convention désignant la part de l’actif immobilier sur laquelle l’organisme a un droit de pleine propriété dont découlent des responsabilités, il n’est pas incongru de partir du modèle de l’OFS (organisme foncier solidaire) pour imaginer l’organisme qui serait chargé de développer puis de gérer le BRE.
Les similitudes ne manquent pas. Nous avons ici besoin d’un organisme à gouvernance publique majoritaire, à but non lucratif (ses bénéfices ne sont pas redistribués mais réinvestis dans son objet social), sans limitation de durée puisqu’il assure la qualité du patrimoine pour les générations successives, et soumis à un agrément de l’État et à un contrôle spécifique de ses activités. Il doit également avoir accès à des prêts à long terme (d’une durée qui pourrait être toutefois moindre que ceux accordés aux OFS, considérant que la valeur verte coûtera moins chère que la valeur foncière).
Les différences avec l’OFS seront cependant importantes, en raison des responsabilités particulières qu’il aura à exercer, qui sont de deux types : il doit pouvoir assurer le maintien effectif de la valeur verte dans la durée (responsabilité technique), et il doit protéger l’épargne que les propriétaires des logements lui versent régulièrement sous la forme de provisions pour travaux (responsabilité financière).
Ces deux responsabilités devront faire l’objet d’un contrôle que nous ne chercherons pas à développer ici, sinon pour mentionner que :
1. La responsabilité technique de l’organisme signifie qu’il doit être en capacité de réaliser les travaux d’entretien ou de mise aux normes qui s’imposeront le moment venu. Cela impliquera de souscrire une assurance particulière dont le coût ne doit pas être négligé.
2. La responsabilité financière devrait l’obliger à placer les provisions recueillies sur un compte de type livret de développement durable et solidaire, dans des conditions à définir pour protéger les intérêts des épargnants et garantir sa bonne utilisation dans le strict respect de l’objet du BRE.
Remarquons qu’il pourrait être judicieux de permettre à des OFS de pratiquer également le BRE, moyennant une extension de leur agrément.
Deux questions sur la valeur verte
Voici ce que nous disions en avril dernier [2] pour définir la valeur verte.
"Sans trop entrer dans la technique, on peut citer une conception bioclimatique du bâtiment, des matériaux résistants bio ou géosourcés, une structure facile à rénover ou à transformer pour de nouveaux usages. On parlera aussi de bâtiment économe en énergie voire à énergie positive, dans un environnement bien desservi par les transports en commun et fortement végétalisé, et bien évidemment construit sans artificialisation de sol. Enfin, il peut être conçu de manière à minorer les charges de copropriété afin de dégager plus de moyens pour son entretien. Toutes ces caractéristiques peuvent être définies par des normes. Imaginons cela fait et laissons pour le moment de côté les problèmes conceptuels que pourrait poser l’évolution des normes dans la durée."
Parvenu à ce stade de notre réflexion, force est de constater que les "problèmes conceptuels" sont en fait nombreux et qu’ils ont de quoi stimuler l’imagination et mobiliser des expertises variées. Il faut bien sûr entendre le mot "problème" comme "exercice de réflexion" et non pas comme "obstacle". Voici donc deux questions, auxquelles nous proposons un début de réponse.
Nota : ces débuts de réponse remettent un peu en cause notre définition d’avril.
Qu'est-ce qui constitue la valeur verte ?
Revenons au point de départ : l’enjeu du BRE est d’allonger fortement la durée de vie des bâtiments par rapport aux standards actuels, ce que le modèle économique de la promotion immobilière ne permet pas. Dans ce sens, la valeur verte est donc synonyme de durabilité. Toutefois, parmi les facteurs de durabilité, il peut être opportun de distinguer ceux qui peuvent être placés sous la responsabilité de l’organisme dans la longue durée de ceux qui ne le peuvent pas.
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La valeur verte pourrait donc se définir comme un ensemble de caractéristiques inhérentes au bâtiment, permettant :
Et, parallèlement, d’autres critères seraient utilisés pour définir l’éligibilité initiale du bâtiment au BRE et aux aides de l’État afférentes, notamment en ce qui concerne la sobriété foncière et la construction bas carbone. Les unes comme les autres feraient l’objet d’une certification de type environnemental.
S’il nous paraît intuitivement important de distinguer durabilité intrinsèque et extrinsèque, c’est pour mieux insister sur l’enjeu fondamental du BRE qui est l’allongement de la durée de vie des bâtiments par une conception initiale et un entretien appropriés.
Cette distinction pourra en outre s’avérer utile pour aborder les aspects juridiques (dont la copropriété), financiers ou assurantiels du BRE.
Comment aborder la traduction financière et comptable de la valeur verte ?
Au départ, nous avons imaginé la valeur verte comme la "sur-valeur" du bien par rapport à un bâtiment de qualité standard, laissant à des normes le soin de placer le curseur au bon endroit : au moment de l’achat, le ménage finance la qualité standard, les aides de l’État et les fonds apportés par l’organisme permettent de payer le surplus.
Cela est évidemment très théorique. En pratique, la "sur-valeur" devrait se négocier forfaitairement et au cas par cas, tant il paraît illusoire de vouloir décomposer le coût du projet selon une grille de contribution à la durabilité. Mais il faut bien avancer un chiffre pour permettre à l’organisme de participer à l’acquisition.
Cette valeur aura-t-elle une autre utilité par la suite ? Servira-t-elle par exemple à inscrire les valeurs vertes accumulées par l’organisme à l’actif de son bilan ? Si oui, ces actifs seront-ils amortissables, dépréciables ? Cette notion d’actif semble assez peu adaptée à notre objet, mais nous laissons les experts comptables nous dire s’il est possible d’y déroger ou si elle présente au contraire un intérêt.
Du point de vue financier, la seule chose importante à notre sens est la capacité de l’organisme à assumer sa responsabilité vis-à-vis des ménages qui le rémunèrent et lui confient leur argent en vue d’une gestion performante et de travaux futurs d’adaptation et de rénovation.
La valeur verte se définirait donc :
Pour conclure
Des avis pointus seraient bienvenus dans de nombreux domaines tant cette démarche convoque une diversité d’expertises : architecture et construction, environnement, fiscalité, assurance, expertise comptable, droit et gestion de copropriété, gestion d’actifs, design et usages…
Il est néanmoins temps de mettre – provisoirement – un terme à cette réflexion, qui ne prétend à rien d’autre qu’à ouvrir le débat et, pourquoi pas, initier une preuve de concept (POC). Nous sommes prêts à l’OFS des Yvelines pour mobiliser les acteurs motivés et enthousiastes et rassembler toutes les énergies qui seraient disposées à explorer avec nous un projet pilote. Laissons passer l’été, mais tâchons de démarrer avant la trêve des confiseurs !
Simon GOUDIARD
Directeur adjoint chez @EPFIF Associé & Évaluateur chez @Team for the Planet
5 moisNina Place, Clara Dumestier
DIRECTEUR GENERAL - RHONE SAONE HABITAT
5 moisMerci Simon Goudiard ! Totalement en phase Nous avons tous senti - dès les premiers pas du BRS - qu’il y a quelque chose à extrapoler pour faire de la robustesse environnementale et climatique du bâti un « commun » Et réagir plus vite à l’urgence du changement climatique et de la dépendance du bâti aux énergies fossiles et épuisables notamment Je suis partant pour essayer de contribuer au prototypage de ce concept de BRE 👍
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5 moisBertrand LAPOSTOLET tu as vu ça ?
Directrice de l’École nationale supérieure d'architecture de Paris-La-Villette | Co-directrice de la Chaire "Le logement demain" | Docteur en Urbanisme et Aménagement
5 moisAnne-Laure Jourdheuil Catherine Sabbah Antoine Pauchon
cc. Charlotte Degoulet Michèle Raunet Juliette MARION