Baisser les yeux pour lever la tête
L'art asiatique qui a enseigné la ligne claire à nos affichistes "japonisants" leur a aussi révélé que l'angle d'un point de vue surprenant ou curieux savait indiquer la relation de l'artiste avec son sujet. Plus que spectateur d'un paysage, observateur d'une action ou témoin d'une scène, le peintre chinois se fond dans le thème qu'il traite. Il en résulte une précision, une justesse, une délicatesse, enfin une émotion, qui nous étonne. Certes, c'est la position d'un oiseau qui restitue le mouvement, tête tournée ou ailes déployées. Mais apprenons à voir bien autre chose... Sur le fond d'un plat de porcelaine d'un service impérial de 1713, un chardonneret émaillé se repose sur une branche de plaqueminier chargée de fruits. L'artiste l'a figuré comme il l'a vu dans l'arbre en levant la tête, proche et au dessus de lui. C'est déjà un angle de vue qui n'est pas ordinaire. Le décor aérien de ce plat apparait donc lorsqu'on baisse les yeux. Ici, la verticalité de vision d'un oiseau perché, ordinairement vu du bas vers le haut, s'inverse sur le plan horizontal d'une table. Directions aux sens modifiés, c'est au sol que se situe le ciel, en outre visible seulement quand le plat aura été vidé. Dans cette confusion voulue de l'orientation, on discerne le raffinement extrême du message de l'artiste. Par une technique artistique maîtrisée, une leçon philosophique est enseignée : la soumission à une Nature aux voies déroutantes et aux dimensions insoupçonnées.