« BEAR FIGHTER » or « CAVE DWELER » ? Choix cornélien d’un certain avenir !
« Tueur d’ours ou habitant des cavernes ? »
Le regard plissé comme un sourire d’Irlande, une avenante petite blonde nous attendait au bout de la longue prairie du « Tavaputs Ranch », sur les hauteurs du Colorado. Flying cow-boy de la « Red Tail » aux commandes, notre Cessna venait de se poser sur le domaine mythique des tournages publicitaires du fabricant de cigarettes « Marlboro ». Billie Ramsberger, consultante chez « Griffith », était entourée des fameux cow-boys aux chapeaux de légende que la redondance publicitaire avait ancrés dans nos mémoires. Elle formait des agents de la CIA et du FBI à la gestion du risque en situation extrême. Elle devait compléter notre formation de behavioristes. Entre le train fou dans le brouillard et la peur d’avoir peur, on mettre le cut-off ?
Pour comparer les dividendes de l’audace et le prix de la sécurité, elle raconta l’incroyable histoire des « bear fighters » et des « cave dwelers ». Je ne résiste pas à la tentation de partager avec vous cette héroïque antienne, qu’en bon européen, j’eus tendance à prendre pour une liturgie stoïcienne. Au petit spartiate qui trouvait son épée trop courte, la maman ordonna d’avancer d’un pas. Billie allait nous programmer pour apprendre à oser. Les évolutions de l’humanité proviennent du sang-froid des plus courageux et c’est ce que tente de personnifier ce conte de cow-boys.
Comme l’a révélé Darwin, si la prédation n’élimine pas une espèce, elle la renforce. Ce dont on ne meurt pas nous rend plus forts. Nous sommes les proies permanentes d’exterminateurs exogènes, mais aussi endogènes et la magie de la vaccination est de composer avec l’ennemi. Le bien-être en trompe-l’œil réduit notre vigilance et nos anticorps perdent leur pugnacité. Les dangers pourtant fourmillent, jusque dans l’air qu’on respire. L’immunité se gagne en se frottant à l’adversité et non en se réfugiant derrière les remparts rassurant de l’illusion. La sécurité est un camouflage, l’ennemi se cache derrière ! Le repli sur soi, le protectionnisme et l’enfermement empêchent le vent et le froid de rentrer, mais ils nous privent aussi de la lumière du jour.
Pour des raisons qui échappèrent aux lois de la génétique, les ours du Colorado se multiplièrent en nombre effarant, au point de rendre hasardeux le moindre déplacement à découvert. Affranchis par le nombre, les féroces plantigrades s’exonérèrent de toute défiance et s’en prirent aux hommes, abasourdis par la soudaineté du cataclysme. Surpris par le foisonnement de grizzlis, deux comportements dichotomiques clivèrent les individus dans leurs modes d’adaptation. Rien n’est jamais acquis et les ours du Colorado sont là pour le rappeler.
La majorité des hommes menacés par les ours constituèrent le groupe des « cave dwellers ». Après y avoir stockés vivres et provisions, ils choisirent de se refugier dans une caverne de la montagne dont ils condamnèrent toutes les issues, en attendant que ça passe. Une fois convaincus de leur invulnérabilité, ils cédèrent à l’euphorie. L’ivresse de la rassurance, comme celle des profondeurs, atténue les précautions, comme si le présent se faisait éternel.
Les « bear fighters » refusèrent cette fatalité. Le protectionnisme est un vase clos et la promiscuité de la caverne leur parut inconvenante. La lumière eut trop manqué à leurs nourritures. Ils consentirent aux sacrifices dévolus au partage de la biosphère avec l’envahisseur et développèrent ce qu’il fallut de stratagèmes pour le dissuader de ses projets hégémoniques.
Heureux sous la voûte protectrice de la grotte, les « cave dwelers » se gobergèrent à ventre déboutonné et la vie collective apporta ses réjouissances habituelles. A ciel ouvert, les « bear fighters » éprouvèrent de lourdes pertes, notamment en vies humaines. Mais l’instinct de survie développait en eux cette intelligence vive qui déjoue les ruses de l’ennemi. La liberté réclame un lourd tribut mais l’étendue de son territoire est si vaste que nul n’empiète sur le pré carré de l’autre.
Quand les vivres menacèrent de manquer, la vie souterraine révéla ses écueils. Les règles du partage se complexifièrent et l’organisation des tâches les plus simples devint un sujet de discorde. Les relations de voisinage transformèrent les amabilités spontanées en politesses conventionnelles, puis en conflits feutrés. Il fallut légiférer et instaurer une juridiction pour gérer les différents. De sirupeuses affabilités déguisèrent les fâcheries en amabilités cousues de fil blanc et des contempteurs revêches remplacèrent les boute en train pour confondre les caractères dans une désolante homogénéité. Chacun fit comme tout le monde, acte d’allégeance à la tutelle ubuesque d’un roitelet de pacotille. Les talents furent nivelés par le bas, pour parer à certaines injustices et en créer d’autres. Les troglodytes furent rendus tous semblables, comme on singe une sauce en mélangeant des saveurs éparses. La collectivité devint un nœud de vipères avec pour bible un inventaire de procédures à la Prévert, où chacun s’inventa un privilège sur ses semblables. Suspendus aux mamelles de la providence, les « cave dwellers » terrorisés cédèrent le pouvoir à des tyrans frappés de la parano du despote, si bien définie par Saint-Thomas d’Aquin, la phobie anxiogène de se faire renverser par quelque mutinerie.
A force de côtoyer les dangers, les « bear fighters » affinèrent leurs stratégies et la vie en surface s’accommoda des risques de l’environnement. Comme le perdreau vit avec le renard, l’homme libre et sans attache imposa sa présence aux redoutables plantigrades. L’intelligence s’épanouit dans le combat, mieux que dans le consensus mou. Chaque épice possède une identité qui se perd dans l’émulsion. Partager sans mélanger, le pilier central de l’intelligence collaborative.
Les « bear fighters » se rendirent maîtres des espaces qui procurent la nourriture. Aigris par leurs querelles picrocholines, les « cave’s dwellers » s’épuisèrent en vains conflits de politique restreinte. La chance et ses revers les divisèrent en castes et les petits bonheurs partagés se commuèrent en contrats, ces funestes documents-cadenas qui permettent à tout le monde d’abuser ses semblables. En même temps, la fonte de leurs réserves nourricières auguraient de sérieuses menaces d’austérité. Le dernier maître de la caverne ne trouva pour ultime ressource que de vendre ses sujets en esclavage aux « bear fighters ».
Armand Mabille Coach formateur,… qui donne envie d’oser !
Fondateur de Next Management et Next Education
7 ansQuelle plume. Tu as un véritable talent d'écrivain. Merci pour l'histoire qui me fait penser à celle de "Who moved my cheese ?" Là aussi, deux comportements opposés et entre les 2 souris, une seule va survivre, celle qui ose sortir pour aller à la recherche de nouveaux fromages. a+.