Besoins relationnels et COVID19

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A l’heure d’une crise sanitaire mondiale, nous vivons, je vis, une situation inédite. Ces derniers jours n’ont ressemblé à aucun autre de mon existence. Le Gouvernement a décrété un confinement important, limitant nos déplacements au strict minimum. Nous nous retrouvons en famille ou seuls, dans une maison avec jardin ou dans un petit appartement, et tout notre mode de vie s’en retrouve bouleversé. Nos relations physiques se limitent à notre cercle familial proche et je constate à quel point chacun cherche, via les réseaux sociaux et tous les moyens de communication actuels, à rester en lien. Jamais cette recherche de lien n’a été aussi présente. On ne se rend compte de l’importance d’une chose que quand on la perd…

Après cette première semaine, où j’ai eu le sentiment d’une accélération du temps, j’ai fait le choix de prendre un temps aujourd’hui pour observer avec plus de conscience ce qu’il se passait pour moi, ce qu’il se passait autour de moi.

Mon étonnement de la première heure envers la multiplicité des réactions face à la pandémie du Coronavirus (accumulation de vivres, déni, peur, angoisse, regroupement dans les parcs…) a vite été remplacé par le rappel à ma mémoire de la séquence SPEC décrite par Carlo Moïso[1]. Un même stimulus peut provoquer des comportements très différents d’un individu à l’autre. Chacun est différent, chacun a son histoire, ses croyances. Le stimulus n’est pas intrinsèquement inducteur de notre comportement. Il serait plutôt le déclencheur en nous d’Émotions et de Pensées qui dépendent de notre personnalité́, de notre humeur, de la signification que l’on attribue au stimulus, des circonstances, de notre histoire, de notre scénario de vie et d’autres facteurs encore. Pour Moïso, notre comportement découle de ce système Pensées/Émotions. François Vergonjeanne, analyste transactionnel, écrivait :

« Les biologistes l’ont montré́ : nos modifications physiologiques qui indiquent l’état émotionnel, surviennent avant même que nous ayons ressenti l’émotion en question. Loin de se situer à l’extrême opposé de la raison, l’émotion fait partie intégrante des procédures de raisonnement et de la prise de décision ; pour le meilleur et pour le pire. Car l’émotion comme la conscience sont biologiquement consacrées à la survie de l’organisme. »[2]

Pour le meilleur et pour le pire… surtout quand notre espèce se retrouve menacée par un virus invisible à l’œil, qui dépasse les frontières et les genres.

Mon comportement de ces derniers jours a clairement été inscrit dans mon scénario de vie, la situation actuelle renforçant mes croyances sur moi-même, sur les autres et sur le monde. Ma relation aux autres, à mon entourage s’est dégradée, ma dépendance à la liberté amplifiée. Poussée dans une activité extrême par mon Parent introjecté, à la fois maîtresse d’école pour mes deux garçons de six et neuf ans, et à la tête du service ressources humaines d’un établissement de santé, réduite à télétravailler, j’étais terriblement angoissée, frustrée aussi. Je vivais l’incompréhension et la colère face aux messages des réseaux sociaux parlant d’ennui, de temps pour soi, de méditation … alors que mes journées n’étaient pas assez longues pour " faire ce que j'avais à faire". Mon dos me faisait mal, mes nuits étaient coupées d’insomnies, les maux de tête ne me lâchaient pas, j’étais clivée par des injonctions paradoxales. Il était grand temps de faire un tour dans la nature et de prendre soin de moi… c’est chose faite à l’instant où je rédige ces quelques lignes.

Ce que je comprends ce matin, c’est l’importance d’être à l’écoute de mes besoins relationnels[3]. Les besoins relationnels sont les besoins uniques spécifiques pour le contact interpersonnel (Erskine, 1995). Ce ne sont pas les besoins fondamentaux de la vie - tels que la nourriture, l'air, ou la température appropriée - mais les éléments essentiels pour rehausser la qualité́ de vie et le sentiment de soi-en-relation. Les besoins relationnels sont les composants d'un désir humain universel de relation intime.

Erskine écrit « le plus souvent ils sont inconscients, mais ils émergent à la conscience quand on ne s’en occupe pas : ils deviennent plus intenses, plus pressants, et sont vécus comme une sorte de vide, de nostalgie ou de solitude tenace. Si la privation continue, la personne peut se sentir frustrée, devenir agressive ou fâchée. D’autres perturbations peuvent entrainer une perte d’énergie ou d’espoir et peuvent renforcer les croyances … ces croyances constituent une forme de défense cognitive, contre être pleinement conscient de la douleur de besoins non satisfaits»[4]

Je vis mon besoin de sécurité quand je suis en relation avec une personne qui protège mes vulnérabilités physiques et émotionnelles, une personne avec qui je peux me sentir à la fois vulnérable et en harmonie, qui m’accueille inconditionnellement. 

Je vis mon besoin de validation quand mes proches verbalisent que ce que je pense, que ce que je ressens, que ce que je fais, a une fonction importante, un but pour moi. C’est Ok pour eux et c’est Ok pour moi.

Je vis mon besoin d’acceptation quand je me sens soutenue, respectée et protégée au sein de la relation. Je vis que l’autre n’utilisera pas mes vulnérabilités, et qu’il me soutiendra même si mes comportements peuvent dysfonctionner.

Je vis mon besoin de mutualité quand j’échange avec mes pairs RH d’autres établissements de santé, quand je sais que mon vécu est partagé, que d’autres le vivent de la même façon. Je ne me sens plus seule, je me sens « normale » et appartenir au sein de la communauté.

Néanmoins, si ce que je vis ressemble à ce que vivent d’autres, je ne suis pas les autres. Ma singularité, ce que je suis, mon métier, mes compétences, mes affects et ma pensée sont uniques … ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre …

Aujourd’hui, j’ai le besoin d’écrire, de transmettre que la situation au sein des établissements de santé est dramatique. Nous manquons de matériels, de moyens et de soutien pour assurer la continuité des soins auprès de nos patients. Nous sommes désemparés car nous ne pouvons pas assurer la protection de nos employés… quand j’écris ces mots, je souhaite qu’ils vous impactent, qu’ils influencent votre façon de penser ou d’agir lors de ce confinement. J’ai l’espoir qu’ils vous touchent, que je vous touche. Ce besoin d’impact prendra tout son sens si vous prenez le temps de m’envoyer votre retour sur ce que vous a procuré la lecture de ces quelques lignes.

Cette semaine, alors que je me sentais couler, alors que je recevais des centaines de mails ou de messages, une amie a pris l’initiative de m’appeler. Ce n’est rien un coup de téléphone. C’était tout ce que je n’avais pas l’énergie de faire. En prenant l’initiative alors que je n’avais pas les ressources internes pour le faire, elle m’a confirmée que notre relation était importante, qu’elle était présente, soutenante aussi. Son implication à ce moment précis a renforcé notre amitié et ce moment d’intimité, de lâcher-prise m’a donné de l’énergie et de l’espoir.

Il y a un besoin relationnel rendu encore plus visible par le confinement actuel : celui d’exprimer l’amour et la gratitude. Comme tous ces italiens aux balcons chantant, comme les applaudissements de soutien au personnel soignant tous les soir à 20h, comme les appels plus fréquents à nos proches pour prendre de leurs nouvelles, comme tous ces mots prononcés aujourd’hui…. Autant de comportements, de paroles, de gestes exprimant notre amour.

Il me vient à moi aussi le besoin d’exprimer à quel point je me sens chanceuse d’aimer et d’être aimer par mon entourage. J’ai énormément de gratitude pour ceux (ils se reconnaitront) qui m’ont encouragé à écrire, non pas sur ma pratique (cela viendra plus tard), mais sur moi, sur ma vision des autres et du monde avec le prisme de l’analyse transactionnelle et de la psychothérapie intégrative selon R. Erskine. Ils font parti de mon ADN de coach, de thérapeute et de professionnelle des ressources humaines, ils font parti de ma façon d’être en relation et ils font parti de ma façon d’être au monde.

Écrire en cette période de confinement, c’est mon remède à l’appauvrissement des relations, c’est me sentir vivante et connectée à moi-même et à ceux qui me liront. J’engage chacun à trouver son remède pour prendre soin de sa qualité de vie actuelle et de son soi en relation, en étant attentif à ses propres besoins relationnels et à ceux de ses proches. La vie est belle !



[1] Moïso Carlo. Formation à l’analyse transactionnelle néo-bernienne. In Paris (juin 1999).

[2] Vergonjeanne François. La séquence s.p.e.c : Une façon de repenser l’alliance éducative. In 9ème congrès de l’ARIATE (2001)

[3] Richard Erskine, 1995.

[4] Richard Erskine, Au-delà de l’empathie, p.158-159, Interéditions.

Frédéric BESSET

Conseil et accompagnement managérial Accompagnement à la résolution de conflit, à la prise de décision, Coaching, médiation et formation, management, individuel et collectif, cadres et cadres dirigeants

4 ans

Merci Stéphanie, Je t'ai reconnu à la lecture de cette missive, et j'ai été touché, me retrouvant moi-même dans la description que tu fais de tes besoins. Je te rejoins pleinement dans le ressenti, que je pourrai qualifier à l'extrême d'injustice, au regard de ceux qui parlent effectivement d'ennui, de prise de recul, moi qui, à l'instar de ce que tu vis, ne vois pas les journées défiler dans une activité frénétique, rythmée entre mails et visioconférences... Je te retrouve dans toute la sensibilité que je sais de toi et dans le courage dont tu fais montre au quotidien. Merci donc Stéphanie pour ce partage qui me rappelle la belle personne que tu es, que j'ai hâte de revoir.

Remi Bourdillon

#entredonneur, Fondateur de eve, Socrate, et co-fondateur de nosoft

4 ans

Bonjour Stéphanie, on ne se connait pas mais par l'intermédiaire de Herve j'ai lu votre "cri". Je vais donc prendre le temps de vous faire un retour qu'il faudra prendre avec beaucoup de profondeur. Je ne vais pas répondre au premier niveau de votre texte qui est l'expression de votre mal être par rapport à la situation actuelle. J'aimerais attirer votre attention sur le nombre de fois que vous avez utilisé le mot "besoin". Afin de rester léger en ce vendredi Saint, je citerai Balavoine qui a eu une phrase d'une profondeur incroyable dans sa chanson "qu'est ce qui pourrait sauver l'amour": "il faut remplacer le besoin par l'envie". Avez-vous envisagé que considérer les relations humaines comme un besoin pouvait mettre l'humain au même rang que l’oxygène, la nourriture et le sommeil: à savoir des choses ? Avez-vous imaginer que ce besoin de relation pouvait devenir une envie non au sens de la convoitise mais au sens de la liberté que nous avons de nous en affranchir redonnant à la relation toute sa liberté, sa gratuité, sa noblesse, son amour ? Ce confinement nous met tous dans la situation de gens incarcérés et met en évidence comme vous l'exprimez très bien des "besoins". Mais tant que nous n'arrivons pas à comprendre que ce qui est attendu de nous est de dépasser ce besoin par l'envie, nous ne ferons pas de ce confinement une expérience qui va nous faire grandir mais seulement nous réveiller pour 6 mois maximum. En ce jour de Passion, et dans l'attente confiante d'un profond changement de nos Cœurs, je vous souhaite une excellente Pâques. Qu'elle vous apporte réconfort, paix et renouveau.

Cécile MERLE

Coach professionnelle - Consultante Diversité

4 ans

Merci pour cette authenticité qui me touche

C'est une chance de savoir s'exprimer avec une telle authenticité et je te remercie d'avoir partagé cet écrit que j'ai beaucoup aimé 

Aurélie MAUNOURY (ROVERA)

Directrice des Opérations et Qualité

4 ans

j'ai adoré, j'ai eu l'impression d'exprimer mon ressenti en te lisant ... Merci Stéphanie! :-)

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