Billet d'humeur : Qu'est-ce-qu'un bon avocat ?

Billet d'humeur : Qu'est-ce-qu'un bon avocat ?

Je me suis heurtée récemment au mécontentement d’un client.

Sa procédure était finie, la condamnation lui avait été payée par moitié, et le solde tardait à venir.

A l’occasion de ses relances, comme tout au long de sa procédure, ce client employait avec moi un ton odieux, autoritaire, suffisant voire menaçant.

Las d’attendre son règlement, ce charmant individu a mis ses menaces à exécution et a informé mon Bâtonnier de cette situation ajoutant que je pouvais le remercier de ne pas me faire radier du Barreau.

La question n’est pas de savoir s’il a bien fait d’agir de la sorte, je vous le dis tout net, il a bien fait. Je me devais, même si ma mission était terminée depuis le jugement, de lui répondre.

Mon silence n’était pas acceptable mais croyez-moi impérieusement nécessaire : je ne supportais plus sa manière d’exiger, d’ordonner sans aucune nuance ni proportionnalité.

Malgré mes 21 ans de Barreau, il fallait donc que je me remette en question.

Etais-je ce qu’on appelle un « bon avocat » ?

Et d’ailleurs, qu’est-ce-qu’un « bon avocat » ?

Si on lit les commentaires des justiciables sur les réseaux sociaux, le constat désole : l’avocat est un nanti qui surfacture son client, qui n’est pas joignable, qui n’accomplit pas les diligences en temps utile … bref un portrait peu reluisant et surtout décourageant.

Décourageant car, nous les avocats, devons faire face aux réformes successives, aux emplois du temps à rallonge, aux charges de plus en plus lourdes, aux maux de la société et j’en passe. Nous nous démenons au quotidien pour que nos clients soient le mieux défendus, à juste coût et avec le plus d’empathie possible.

Bon nombre de Confrères et Consœurs vous raconteront les nuits blanches, les angoisses, l’épuisement, les dossiers de nos clients empiétant sur nos vies personnelles un peu plus chaque jour. 

Alors je suis repartie 21 ans en arrière.

Plus exactement à la date de ma prestation de serment, celle au cours de laquelle j’affirmais fièrement : « Je jure comme Avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». 

Vous l’aurez compris, Avocat n’est pas un « métier » comme les autres. Auxiliaire de justice, il a un rôle dans la Cité voire, une place à part, qui lui confère de lourdes responsabilités, même lorsqu’il ne porte pas la robe.

Ces responsabilités sont multiples et tiennent à l’essence même du métier : Défendre !

Être le réceptacle des maux et sentiments de son client, lui permettre d’être entendu et lu par la justice. Lui exposer les risques, le conforter ou non dans ces demandes, identifier les failles, maintenir le niveau du débat et utiliser toutes ses connaissances pour qu’il ait gain de cause… mais pas que…

L’avocat n’est pas responsable qu’à l’égard de son client, il est responsable à l’égard des juridictions, des instances ordinales, des Services de Publicités Foncières, des Greffes, de la CARPA. Son rôle et ses charges administratives ne font que croître ce qui est anxiogène mais également chronophage …

L’avocat est par ailleurs un « fusible » car il est le Sachant, celui qui se trouve en première ligne face au justiciable : expliquer les délais d’audiencement d’un dossier, les prorogés de délibéré, les subtilités de la loi, les mécanismes, les positions de la jurisprudence bref autant de notions qui parfois ne vont pas plaire à des clients en quête de justice avec un grand « J » et qui ne comprennent pas pourquoi leurs dossiers prennent autant de temps, nécessitent autant de démarches, et ne constituent pas une priorité.

Comment expliquer à quelqu’un qui se croit victime qu’il n’en est pas une aux yeux de la loi ? A une mère, qui se doit de protéger son enfant, que les liens avec le père doivent être maintenus (ou vice et versa) ? A un propriétaire que son locataire, qui ne règle pas son loyer depuis plusieurs mois, peut encore se maintenir dans les lieux pendant x mois voire années ?

Car l’avocat affronte plusieurs adversaires à la fois : les adversaires du dossier bien sûr, mais aussi les pièges de la loi, les experts, les magistrats à convaincre, et souvent le client à bout de nerfs qui a réglé des honoraires, des frais de justice et qui se trompe de cible. Eh bien là encore, l’avocat se doit de lui répondre avec empathie, écoute, énergie…

Soyons empiriques...je me lance dans un sondage à l’échantillon plus ou moins représentatif.

Les clients à qui j’ai demandé « qu’est-ce-qu’un bon avocat ?» m’ont répondu tantôt « celui qui gagne ses dossiers », tantôt « celui qui prend le temps d’expliquer les règles du jeu et qui ne « sur-promet » pas de résultat, tantôt « celui qui exploite les failles pour obtenir le meilleur résultat possible ».

Les confrères eux ont insisté sur la rigueur, la disponibilité, l’attention, la déontologie, l’écoute personnelle et bien-sur la technicité du dossier.

Les huissiers et Notaires m’ont parlé du travail en équipe, de la réactivité, du respect mutuel, avocat/client et avocat/ notaire ou huissier.

Les magistrats sur l’esprit de synthèse, le respect des juridictions, la compréhension des impératifs (organisation, réformes, outils etc…)

Et à ce moment là, j’en suis arrivée à la conclusion qu’être un bon avocat c’est aussi et surtout avoir de bons clients, des individus mesurés, respectueux du travail et de l’effort (et je ne parle pas que d’honoraires loin de là), conscients de l’investissement et du temps passé pour obtenir gain de cause…

J’ai eu la chance, la même semaine, peu après ce client hostile, de finir quelques dossiers en cours et de me voir chaleureusement remerciée par des clients que j’ai accompagné pendant plusieurs années.

Au delà de la technicité des dossiers ou des résultats obtenus, ils ont chacun insisté sur le côté humain, sur l’écoute et l’attention que je leur avais porté.

Bien évidemment on ne choisit pas ses clients, et le respect est une notion subjective.

Dès lors, il faut accomplir sa mission avec rigueur, jusqu’au bout , même avec les plus désagréables.

Oui, Je m’en veux d’avoir failli, lasse des invectives et sans doute afin de prouver que je ne suis pas corvéable à merci.

Néanmoins, je demeure convaincue que nous sommes meilleurs dans quelque profession que ce soit lorsque notre interlocuteur respecte notre travail comme nous respectons notre mission et son importance.

C’est ce qui fera toute la différence avec l’intelligence artificielle de demain.

ChatGpt sera un outil, un catalyseur, un facilitateur mais le respect, la dignité, la probité et la remise en question (!) seront toujours des valeurs fondamentalement humaines qui permettront à l’Avocat de devenir meilleur et d’accomplir encore mieux sa mission.


Alain Abitan

Lawyer chez Law office

1 ans

Merci 🤩 pour la finesse de ton analyse 🧐🌸❤️

Merci consœur on se retrouve tous dans votre billet

Caroline Lemer

Avocat au Barreau de Valenciennes installée à Saint-Amand-Les-Eaux, Vice-bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau de Valenciennes

1 ans

Merci pour ce billet qui est tellement le reflet de ma réalité

Norbert Gradsztejn

Avocat au Barreau de Paris - Associé et Fondateur de NGA - Norbert Gradsztejn Avocats

1 ans

Comme souvent, on peut tout demander pourvu qu’on y mette un minimum de forme. L’avocat n’est pas le punching-ball de son client…

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