Biodiversité et entreprises: révolution ou évolution?
Une conférence récente sur la biodiversité organisée par un grand cabinet de conseil, et à laquelle j'ai eu le plaisir d'assister, a permis d’une part de faire le point sur l’accord de Kunming-Montréal à l’issue de la COP15 et d’autre part d’illustrer à travers le témoignage de 4 entreprises, comment la biodiversité imprégnait progressivement les modèles d’affaires et les outils de reporting.
On peut au préalable rappeler que la COP15 de Kunming-Montréal qui s’est tenue en décembre 2022 a acté l’échec du précédent accord international de 2010 (dit des « objectifs Aishi ») compte tenu d’un manque d’homogénéité dans les méthodologies pour constater et agir sur la perte de biodiversité et d’un manque de mesures financières de soutien. La COP15 a donné naissance à un accord portant sur 4 objectifs à horizon 2050 et 25 cibles d’action à horizon 2030. Les 4 grands objectifs sont :
- La préservation et restauration de la biodiversité
- L’usage durable de la biodiversité
- Le partage équitable de la biodiversité
- Le soutien financier aux 3 premiers objectifs
Sans lister l’ensemble des 25 cibles d’action, on peut néanmoins en citer quelques-unes emblématiques : la règle des 30/30/30 (sanctuariser 30% des mers et des terres, restaurer 30% des écosystèmes dégradés d’ici à 2030), agir contre la pollution des sols et des eaux (en limitant les risques liés aux herbicides, pesticides et engrais), faire évoluer le modèle agricole, intégrer la biodiversité dans les pratiques et politiques des Etats (cible 14), des Entreprises (cible 15) et des Consommateurs (cible 16). Ainsi chaque Etat devra avoir bâti une stratégie biodiversité avant 2030 et mis en place une règlementation nationale pour la préservation et la restauration de celle-ci. Pour plus d’informations consulter le site Convention on Biological Diversity (cbd.int)
Les 4 entreprises présentes (Axa IM, BNP, EDF et LVMH) ont témoigné des actions qu’elles avaient menées sur cette thématique et des difficultés qu’elles rencontraient. Plusieurs points communs sont ressortis assez nettement :
- Un constat de départ commun, peut-être évident pour certains, est qu’une stratégie biodiversité n’est que la continuité d’une stratégie climat
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- Engager une stratégie biodiversité revient à retrouver le lien de dépendance entre la santé de la nature et le modèle d’affaires de l’entreprise, lien qui parfois a été complètement perdu. Cela nécessite à la fois un engagement sans faille de l’ensemble des collaborateurs et des organes de direction et une grande modestie face aux chantiers à mener
- Contrairement aux stratégies climatiques (décarbonation) qui sont plutôt top-down, les stratégies biodiversité sont plutôt bottom-up car c’est de l’observation du terrain que peut naître l’action. Dans ce cadre il est crucial de travailler localement avec les personnes de terrain, les associations et de leur associer les instituts de recherche et les ONG qui ont un savoir-faire et des bases de données importantes (pour certaines) sur ces sujets
- Une difficulté commune, sans réelle surprise, est de déterminer des indicateurs communs (core), propres à chaque industrie, et propres à chaque biomes s’appuyant sur des méthodologies uniformes. Ce point est crucial notamment pour pouvoir conduire l’action, suivre la performance des entreprises sur plusieurs années et pour pouvoir flécher les investissements. Ces indicateurs doivent absolument être travaillés et convenus entre les entreprises et la communauté financière au sein notamment d’écosystèmes comme il en existe en France (Institut de la Finance Durable au sein de Paris Europlace). Les indicateurs de biodiversité sont globalement beaucoup plus nombreux que ceux sur le changement climatique
- Un enjeu de reporting majeur sera, pour les sociétés cotées, de faire converger à l’intérieur de l’URD (Universal Registration Document) les indicateurs de la TCFD (Task-Force on Climate-Related Financial Disclosures) et de la TNFD (Task-Force on Nature Related Financial Disclosures)
- Un intervenant a mentionné la « sobriété structurelle » à laquelle les entreprises (mais aussi tous les acteurs de nos sociétés) devaient se préparer pour libérer des espaces et des ressources naturelles, permettant de regénérer la biodiversité. Ce levier n’est pas le seul mais il apparait de plus en plus inévitable
La biodiversité s’impose comme une thématique environnementale qui va profondément affecter les entreprises : les modèles d’affaires qui, redécouvrant leur dépendance à la biodiversité, à sa dégradation et sa préservation (règlementation) vont devoir s’adapter; mais aussi le reporting extra-financier qui va s’enrichir de nouveaux indicateurs. Pour certains ce sera sans doute une révolution, pour d’autres, plus avancés dans la réflexion et l’action, l'évolution logique de stratégies replaçant l’Environnement (La Nature, le Climat et l’Homme) au cœur de la durabilité des modèles d’affaires.