Blockchain, menace ou opportunité pour les réviseurs d’entreprises ?

Blockchain, menace ou opportunité pour les réviseurs d’entreprises ?

Alors que les organismes en charge de l’élaboration des normes comptables planchent d’ores et déjà sur l’application d’une norme dédicacée aux monnaies cryptographiques, qu’en sera-t-il lorsque l’ensemble des transactions d’une société, rapportées dans les états financiers, seront validées par une blockchain ?

Je n’évoque pas ici le nouveau rôle que certains auditeurs, formés à l’informatique et à la technologie blockchain, auront vis-à-vis de clients ou tiers souhaitant un audit indépendant permettant de fournir une assurance sur l’implémentation ou la logique économique d’un smart contract par exemple. Oui, demain, les réviseurs auditeront des smart contracts d’une blockchain. Un récent Whitepaper de l’Institut des Auditeurs Canadiens (AICPA) a récemment traité du sujet[1]. Aussi, des cabinets d’audit ont annoncé la semaine dernière le développement de ce nouveau type de services[2].

Ce que j'énonce dans cet article fait suite à diverses publications mettant en avant le fait que la technologie blockchain pourrait éliminer la nécessité pour une société de faire auditer ses états financiers par un réviseur d’entreprise certifié.

Quelles seraient les tâches laissées à l’auditeur indépendant dès lors que toutes les transactions de l’entreprise sont sauvegardées dans un registre immuable et infalsifiable ?

La blockchain est une technologie dite transparente qui permet d’organiser les données de manière décentralisée. On peut s’imaginer la blockchain comme une immense macro Excel (grand livre) distribuée entre différents participants, chacun d’entre eux disposant d’une copie conforme des transactions qui s’y déroulent, transactions organisées sous forme de blocs qui se referment les uns après les autres, validés par des techniques cryptographiques qui permettent d’assurer la sécurité de cette décentralisation.

Autrement dit, une blockchain est conçue pour qu’une personne (par exemple une banque, un fournisseur, un actionnaire) ait l’assurance que l’autre partie (la société, les administrateurs) honore l’obligation qui lui incombe de son côté (la fiabilité des informations financières, l’établissement des comptes annuels), sans avoir besoin d’obtenir la certification d’une tierce partie (le comptable, le réviseur d’entreprises).

Une des nombreuses définitions de la blockchain est finalement celle d’un grand livre des comptes ouvert, transparent et partagé, consistant en une infrastructure de certification.

Un grand livre des comptes ? Ainsi se réalise la transition directe avec la profession du chiffre.

Bien que la plupart des usagers ne percevront rien de cette technologie dans la pratique (à quoi bon finalement, pensez aux paiements en ligne, nous ne savons pas nécessairement ce qu’il se passe « derrière » la transaction), ce nouveau protocole va bouleverser le monde économique et financier. Notre métier n’y échappera pas.

Le réviseur apporte de l’assurance et donne de la confiance. La technologie blockchain, elle, ne se revendique pas seulement fournisseur d’assurance complémentaire, mais bien fournisseur d’authenticité. Elle supprime dès lors tout autre tiers de confiance qu’elle-même. Le monde économique aura-t-il encore besoin d’auditeurs qui contrôlent des informations ou bien la technologie sera davantage digne de confiance et d’indépendance au vu ses caractéristiques ? Ce qui est certain, c'est que la blockchain fait entrer la comptabilité dans une nouvelle ère, aussi importante que l'arrivée de la comptabilité en partie double apparue au Moyen-Age.

La technologie blockchain est, en matière comptable, la plus grande avancée depuis l’invention de la comptabilité en partie double, apparue selon différentes sources en 1494 à Florence.

Je reste convaincu que la blockchain ne peut être que complémentaire à notre métier. Prétendre le contraire m’apparaît prématuré à l’heure actuelle et part de l’hypothèse que les transactions sont simples ou répétitives.

Il ne faut pas perdre de vue que l’auditeur valide des transactions sous plusieurs aspects, et pas uniquement sur l’aspect de leur existence dont on peut pour le coup facilement s’imaginer que la blockchain puisse valider cette assertion.

Il semble difficilement imaginable que les autres assertions d’audit telles que l’exactitude ou l’évaluation puissent être authentifiées par une technologie. Comment en effet à ce stade envisager qu’une blockchain puisse authentifier une réduction de valeur sur créances ou une provision pour risques et charges qui par nature résultent d’estimations comptables faisant partie intégrante des états financiers ? Le concept de juste valeur, chère aux normes comptables internationales, est par essence un concept qui implique de valoriser des actifs ou des passifs sur base d’estimation de leur valeur d’utilité ou de marché. Cela implique donc des notions telles que la prise de position, l’établissement d’hypothèses raisonnables, la bonne foi, le jugement, dont seul un être humain peut se prévaloir. Avant l’arrivée de l’intelligence artificielle ?

Ensuite, ce n’est pas parce qu’une transaction est enregistrée dans une blockchain qu’une assurance est fournie quant à la nature de cette transaction. En d’autres termes, est-ce que le fait d’avoir enregistré (de manière immuable) une transaction dans un registre garantit que l’opération sous-jacente est exempte de fraude ou a bien été exécutée, par exemple « at arm’s lenght » ? 

Par ailleurs, bien que la blockchain prétend supprimer le risque de fraude, il existe toujours la possibilité, certes infime, qu’un pirate informatique puisse rassembler plus de 50% de la puissance de calcul totale du réseau et falsifier ainsi cette blockchain (attaque des 51% dite « Gold Finger » applicable pour les 'Proof of work').

Le rôle d’un auditeur face à des informations dont les transactions sous-jacentes sont passées dans les mains d’une blockchain ne sera donc pas diminué. Voyons dès lors l'arrivée de la technologie comme une réelle opportunité !

Petite précision : la blockchain ne représente que la technologie de partage et de sécurisation des données. Il y a à côté de cette technologie le Smart Contract et également l'application qui va faire appel à la blockchain.

Dans un prochain article, je me pencherai sur les différentes assertions d’audit et sur les changements que nos méthodes d’audit (et les normes à appliquer) vont inévitablement subir du fait de l’arrivée de cette technologie chez nos clients.

Avec l’arrivée de la blockchain, ce sont toutes les normes internationales d’audit (ISA) qui sont ici potentiellement remises en question.

Ce qui est certain par contre, c’est que les fédérations professionnelles des métiers du chiffre, de même que les cabinets d’audit, vont devoir quoiqu'il arrive continuer à investir dans la formation de leurs auditeurs, afin que ceux-ci puissent faire face à cette nouvelle réalité.

[1] Whiter Paper CPA Canada

[2]  PWC provide blockchain services



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