Après le Brexit : renouer avec l'ambition européenne
Si nous sommes tous attristés de voir nos amis Britanniques sortir de l'Union européenne, les Européens doivent saisir l'occasion du Brexit pour renouer avec le fil d'une construction européenne ambitieuse et d'une Union plus intégrée.
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne marque un tournant dans l’histoire de la construction européenne mais aussi une chance de renouveau pour l’intégration du Continent. Elle sonne comme une mise en garde à l’ensemble des Européens sur le risque d’un affaiblissement durable du Continent, mais aussi comme une invitation forte à prendre la mesure des immenses défis à venir dans les 20 prochaines années pour achever l’intégration et la convergence de leurs politiques économiques, industrielles, fiscales et sociales et bâtir une nouvelle Europe 2.0 autour de trois grands principes cardinaux :
- La préservation de sa souveraineté politique et industrielle, qui passe en premier lieu par la défense de son marché intérieur au service de ses intérêts propres ;
- La défense d’un modèle social, soucieux des grands équilibres sociaux et environnementaux capable de porter au sein de la Mondialisation une voix différente, en faveur d'un Développement de la Planète plus responsable envers les générations futures et plus solidaire ; dans l'immédiat, il s’agit de bâtir une nouvelle étape de l’intégration sociale et fiscale européenne pour assoir les nouvelles protections ;
- Un réarmement des budgets de la Zone Euro et de l’Union européenne, loin des logiques de « juste retour financier », afin de se repositionner dans la course à la maîtrise des technologies de rupture, et conserver une autonomie de décision dans le monde de demain aux côtés des États-Unis et de la Chine
Hard ou Soft Brexit ? Nul ne sait encore vraiment aujourd'hui quels seront les résultats des négociations sur le futur Accord commercial entre l'Europe et les Britanniques
Certes, le Brexit britannique porte sur le plan politique un mauvais coup à l’espoir, né des traités de Rome, d’une intégration toujours plus étroite des Nations qui rejoigne l’Union européenne et affaiblit sans conteste, à cour terme, ses marges de manœuvre budgétaires, déjà étroites, ainsi que sa capacité à exister souverainement dans certains secteurs clés, comme celui de la défense.
Mais l'essentiel en réalité est à venir, car beaucoup dépendra en réalité des termes du futur accord commercial trouvé avec l’Union, même si il est déjà acquis que le Brexit aura un impact non négligeable sur les entreprises qui ont une partie de leur chaîne de production au Royaume-Uni.
Les négociations reprennent dès ce mois ci : l’accord prévoit une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, pendant laquelle l’ensemble des règles communautaires continuera de s’appliquer à la Grande-Bretagne. Cette période doit permettre la négociation d’accords commerciaux et réglementaires avec l’Union pour « une future relation aussi étroite que possible », selon les chefs d’État de l’UE, réunis en conseil le 13 décembre.
Le gouvernement britannique et l’équipe menée par le Français Michel Barnier, le négociateur en chef de la Commission, ont un travail titanesque, qui pourrait conduire à une prolongation de la période de transition jusqu’à la fin 2022.
Reste que la décision britannique vient désormais éclairer le chemin d’une intégration plus forte. Délestés du poids de son opposant le plus fort, les partisans d’une Europe plus sociale, mieux intégrée, plus unie sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur, peuvent désormais se tourner vers l’avenir.
Une chance pour construire une Europe plus solidaire, plus unie et plus intégrée ?
- Le renforcement de la Souveraineté économique de l’Europe par l'affirmation d'une véritable stratégie industrielle commune, le soutien à la recherche & développement et la mise en place au niveau européen d’un instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe pour préserver nos intérêts et secteurs stratégiques ;
- L’objectif de faire de l’Europe à l’échelle d’une décennie l’une des leaders mondiaux de l’intelligence artificielle autour de réseaux communs de recherche et d’innovation et de coopérations renforcées entre français, allemands, italiens, espagnols, scandinaves, le Benelux et le Sud de l’Europe: 1. partage des données, 2. zones expérimentales transfrontalières, 3. transfert des résultats de la recherche aux entreprises, 4. normes techniques et éthiques ;
- Un budget de la zone euro doté de ressources propres capable de mener une politique d’investissements, de faire converger nos économies et d’agir comme stabilisateur en temps de crise. Ce budget pour la zone euro doit avoir 3 fonctions (investissements d’avenir, assistance financière d’urgence et réponse aux crises économiques) et son accès être conditionné au respect de règles communes en matière fiscale et sociale (pour éviter le dumping au sein de la zone euro). Une nouvelle fiscalité européenne devra, à terme, permettre de revoir le principe des contributions nationales ;
- Le soutien aux nouveaux grands projets industriels par un Industrial Buy European Act favorisant les acteurs européens dans la commande publique de l’UE et de ses États membres et permettant un développement sous cocon des industries innovantes naissantes ;
- La sortie du calcul du déficit (3 % aujourd’hui) des investissements des États liés à la transition écologique afin d’accélérer le développement des énergies renouvelables en Europe et d’atteindre ainsi plus rapidement les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat ;
- Un plan d’investissement de 500 milliards d’euros sur 5 ans pour répondre aux enjeux de la transition écologique et décarbonée à travers une politique globale et transversale prioritaire – associant notamment politique de l’énergie et politique agricole, et dégageant des moyens financiers issus des fonds structurels, de la BEI… Il s’agit de verdir notre économie (renforcer l’efficacité énergétique des bâtiments, augmenter la part des énergies renouvelables, investir dans une mobilité propre,…) et également d’accompagner les territoires et les salariés dans cette transition écologique ;
- Une Europe du numérique par la mise en place d’un Fonds européen de financement en capital-risque pour accompagner la croissance des start-ups européennes du numérique, doté d’au moins 5 milliards d'euros et d’un Fonds souverain européen investissant dans les nouvelles technologies, visant à résorber le déficit d'investissements en Europe qui est estimé aujourd'hui à plus de 300 milliards d'euros ;
- La poursuite des efforts de mutualisation et de coopérations technologiques dans le secteur de la défense, qui joue un rôle clef dans le développement des hautes technologies (chercheurs employés dans la recherche militaire et ses applications civiles) ;
- L’émergence d’un marché unique européen mieux intégré dans 4 grands secteurs stratégiques, qui apparaissent aujourd'hui critiques pour peser sur les grands enjeux du monde : les services financiers (achever au plus vite l’Union bancaire, qui favorise le développement des banques pan-européennes, et mener à bien l’agenda de l'Union des marchés des capitaux qui permettra de mieux mobiliser le capital pour financer les entreprises et les infrastructures), l'énergie (asseoir les efforts de transition énergétique sur de nouveaux modèles économiques et industriel), la défense (relancer les coopérations industrielles et technologiques) et le numérique, où il s'agit pour les Européens - par un mix avisé d’investissements supplémentaires décidés entre la Commission et les Etats, la mise en place d’une réglementation et d'une politique des normes réellement unique et/ou mieux coordonnée entre Etats, et d'une adaptation de la politique de la concurrence et du renforcement de la protection de ces secteurs stratégiques face aux investissements étrangers - de permettre l’émergence de champions européens capables d'assurer la place de l'Europe au sein de la nouvelle révolution industrielle ;
- Dans le domaine social, l’amplification des fonds sociaux européens de transition pour accompagner les citoyens dans les transitions technologiques, énergétiques et climatiques et la mise en d’un socle de droits sociaux européens, définissant des standards minimums en matière de droits à la formation, de couverture santé, d’assurance chômage et de salaire minimum (à des niveaux tenant compte de l'inégal développement des Etats membres) ainsi que la garantie de la portabilité des droits au sein d’un Europe-providence assumée ;
- Des traités commerciaux strictement conditionnés au respect des normes européennes (sociales, sanitaires, climatiques et environnementales) et des grands textes internationaux (Accord de Paris, conventions OIT, accords de coopération fiscale…). Il s’agit de subordonner le commerce aux grands objectifs que se donne l’Humanité en termes de droits humains et de droits environnementaux et de faire valoir les standards européens dans la mondialisation.
- Un mécanisme efficace de réciprocité pour les marchés publics avec les pays tiers permettant de progresser vers des règles du jeu équitables à l’échelle mondiale.
La France et l’Allemagne renouent avec leur responsabilité centrale pour la suite de la construction européenne
La France et l’Allemagne renouent pour leur part tout naturellement avec la responsabilité qui leur est propre, au cœur de la construction d’une nouvelle vision de l’avenir du Continent, forts d’atouts qui sont loin d’être négligeables : la maîtrise des nouvelles technologies et des savoirs, la force de la dissuasion nucléaire tricolore, des programmes prometteurs de recherche et de développement engagés dans l'hypervélocité, l'intelligence artificielle, les sciences cognitives et naturelles, les mathématiques appliquées, la physique quantique, l'informatique et les super-calculateurs, ou encore les nanotechnologies, autant de domaines de recherche où la France et l’Allemagne sont reconnus pour l’excellence de leurs organismes de recherche et universités.
Plusieurs annonces fortes se sont succédées en Europe ces derniers mois : Green Deal européen, nouveaux projets de la Commission sur le numérique et les données, coopérations franco-allemandes dans le numérique et l’intelligence artificielle, gestes importants de l’Allemagne vers « l'Europe puissance » (renforcement du budget de la défense allemande de 1,4 % du PIB à 2 % en 2030)…
Français et Allemands ont convergé ces dernières semaines avec les autres Européens pour affirmer ensemble que la première des priorités était de préserver le marché intérieur et de veiller à la bonne application de ses règles pour que celui-ci continue à être un facteur de convergence et de croissance pour tous les pays de l’Union, tout en étant intransigeant sur la protection des travailleurs et leurs conditions de travail et la préservation de règles équitables avec les autres pays et Continents.
Ce marché intérieur est notre première protection. L’OCDE n'estimait-elle pas il y a quelques semaines que le coût cumulé d'un Brexit sans accord au bout de trois ans pourrait atteindre jusqu'à 3 points de PIB pour le Royaume-Uni, mais seulement un demi-point de PIB pour l’Union européenne. Cet impact beaucoup plus faible est lié au fait que seulement 7 % des exportations de l’UE se font en direction du Royaume-Uni, tandis que 40 % des exportations britanniques se font vers les autres pays de l’UE.
La cohésion des peuples européens est une chance pour réussir ensemble dans la Mondialisation
En vingt ans, l'euro s'est par ailleurs imposé comme une monnaie forte et crédible en Europe et dans le monde. Elle est aujourd'hui la deuxième monnaie mondiale.
Si le grand choc économique de 2008 a fait trembler les fondations de l'Union économique et monétaire, il nous a permis in fine de la renforcer : de nouveaux instruments de stabilité ont été mis en place et des changements institutionnels ont été opérés afin de garantir la coordination des politiques économiques des États membres. La Banque centrale européenne a mené depuis une politique monétaire accommodante au soutien des investissements, de la croissance et des créations d'emplois. Enfin, des progrès ont été réalisés sur la création d'un un filet de sécurité commun pour le Fonds de résolution unique, d'un véritable budget pour la zone euro et pour le renforcement des pouvoirs du Mécanisme européen de stabilité en cas de crise financière.
« Ne sous-estimons pas nos moyens et nos talents », a déclaré Ursula von der Leyen à Strasbourg. «Si nous faisons bien notre travail, l'Europe de 2050 sera le premier continent du monde neutre en carbone, elle sera une puissance de premier plan dans le numérique, elle restera l'économie qui réussit le mieux à assurer l'équilibre entre le marché et le social, elle sera chef de file dans la résolution des grands enjeux mondiaux. »
Nous ne réussirons que si nous sommes capables de défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés. Le Royaume-Uni, en se tournant une nouvelle fois dans son histoire, « vers le grand large » prend un pari risqué, qui doit rappeler aux Européens combien la cohésion de nous tous, peuples européens, est une chance pour réussir ensemble dans la Mondialisation.