Bye Bye thecamp : vive thecamp !

Un nouvel épisode pour thecamp ! Le 5ème.

Début juillet, j’ai tiré ma révérence au campus du futur après 4 années d’une expérience atypique, inspirante, visionnaire, enrichissante.

thecamp a changé de main : ce tiers-lieu futuriste a donc été racheté par Unitel, la holding de l’entrepreneur Kevin Polizzi, bien connu dans la région (*) 5 ans après son inauguration en 2017. Nouveau projet, nouvelle ambition.

Il est toujours émouvant de tourner une page professionnelle. Davantage encore quand le projet est chargé d’autant de symboles, d'émotions et d'ambitions. C'est aussi le moment de tirer quelques enseignements de cette aventure collective formidable.

Même si je n'ai été « que » « non executive chairman » (Président non opérationnel) de ce campus futuriste, l’aventure, le lieu, l’équipe et son écosystème m’ (nous) ont fortement marqué.

Retour sur l’histoire d’une utopie positive en 4 épisodes.

Episode 1 : 2015 - 2017

Frédéric Chevalier boucle le financement de son projet pharaonique et généreux : la construction d’un campus dédié à la ville de demain dans la pinède du plateau de l’Arbois, sur la commune d’Aix en Provence. Sorti de terre grâce à la grande architecte Corinne Vezzoni, avec La société de promotion immobilière Redman de Nicolas Ponson.

La vision de Frédéric est humaniste : il s’agit d’accompagner la transformation du monde économique dans une optique positive et volontaire en faisant se parler les mondes et les cultures dans un lieu physique, incarné et inspirant mais également connecté à la Nature, déconnecté de la frénésie du quotidien ordinaire "moderne". En mélangeant, en un même endroit, les talents et les inspirations, le privé et le public, l’entreprise et l’art, le savoir et le business, les grands groupes et les startups… afin de créer des frictions créatives pour innover ensemble.

La région PACA, la Métropole Aix-Marseille (à l’époque encore séparée entre Marseille et Aix en Provence, qui ont, depuis, fusionnées en Métropole), le département des Bouches du Rhône et la Chambre de Commerce de Marseille s’associent financièrement à l'entreprise sous forme d’avances remboursables, à hauteur de 21 millions d’euros.

Le projet est monté autour de 2 sociétés : une foncière, thecampi avec la CDC et la CEPAC qui apportent des fonds propres au côté de la holding de Frederic, Booster ; et thecamp (la SAS, société d'exploitation) qui est donc le locataire de cette foncière, et qui porte les coûts d'exploitation (dont l'hôtellerie et la restauration) et d'animation du site. Le loyer de l'une permet bien entendu de rembourser les emprunts immobiliers de l'autre.

Les membres historiques et pionniers de l’équipes sont recrutés et Frédéric prend son bâton de pèlerin pour partir à la rencontre de nombreux grands groupes et de leurs PDG afin de les convaincre et de les embarquer dans son rêve.

60 m€ est la somme qui aura permis de sortir de terre ce campus futuriste et visionnaire.

Le projet attire les projecteurs et les commentaires dès son origine. Même le futur Président Macron, alors Ministre de l’Économie et des Finances, passera sur le terrain, encore en chantier, pour y ériger la première pierre symbolique.

Mais le drame survient au détour d’une petite route de Provence : un terrible accident de la route emporte Frédéric, à peine 2 mois avant la date prévue pour l’inauguration de son chef d’oeuvre. La famille de Frédéric, mais aussi son équipe et les partenaires de thecamp se retrouvent orphelins.

Ils ne baissent pas les bras. Les équipes redressent la tête. Jean-Paul Bailly, prend la Présidence du campus laissée vacante.

En septembre 2017, thecamp est inauguré en grande pompe, en présence de nombreux grands patrons et des élus qui affichent à la fois leur solidarité mais aussi leur esprit d’entreprise. Il faut ici rendre hommage à Pascale, la femme de Frédéric, qui a affronté cette épreuve et ces émotions avec un courage exceptionnel.

2018-2019 = Episode 2 de thecamp

Je connaissais Frédéric depuis quelques années. J’avais notamment eu l’occasion de prendre la parole (avec ma casquette de co-président de France Digitale) à sa demande lors d’une conférence de presse à Paris annonçant en 2016 le lancement de thecamp.

Emménageant en 2017 à Marseille, j’étais alors encore PDG de Rakuten (le groupe qui a racheté PriceMinister, dont j'étais un des cofondateurs) j’apprends, le jour-même de son accident, la disparition de Frédéric. Comme chacun je suis effaré, effondré.

Puis lors d’un déjeuner avec Jean-Paul Bailly (l'ancien président de la Poste, un grand patron, un véritable humaniste) qui avait donc pris la présidence non opérationnelle "par intérim" de thecamp, à Paris, j’apprends que les actionnaires cherchent un nouveau président. Je postule avec empressement car je gardais en tête les discussions enfiévrées avec Frédéric et ses visites guidées et passionnées du chantier en voiturette électrique.

Je trouvais à Aix une équipe et des partenaires engagés, radicaux, décidés à en découdre. Des managers tel que Lionel Minassian, Denis Parisot… qui étaient dédiés à la mémoire de leur ami et fondateur Frédéric Chevallier. Finalement Catherine Gall leur succèdera à la Direction Générale dans un 1er temps, car nombre d'entre eux sont épuisés sur le plan moral et physique, ils ont tout donné pour que le projet voit le jour.

La marque thecamp rayonne dans la région, dans le monde, elle intrigue, elle attire.

En 2018 puis 2019, 30 000 visiteurs annuels sont venus à notre rencontre, profiter des programmes et se ressourcer dans ce tiers-lieu atypique et inspirant. De nombreux projets innovants ont été lancés, prototypés, de nombreuses startups ont été incubées sur place.

« Il n'est rien au monde d'aussi puissant qu'une idée dont l'heure est venue.» nous rappelle Victor Hugo : c’est l’idée de thecamp en résonance avec le 21ème siècle, l’idée que le futur ne devrait pas être subi, mais choisi… L'idée que le concept de "progrès" a changé de sens en une génération.

Grâce à cette idée, et aussi à beaucoup de travail des équipes pour la mettre en oeuvre, le campus connaît donc deux années de décollage en grande pompe, générant 10 millions d’euros de chiffres d’affaires par an.

Interventions de grands patrons, de Ministres, du MEDEF, de France Digitale, de la French Tech : plusieurs grands événements se tiennent sur place, en résonance avec l’urgence de la révolution durable qui est aujourd’hui dans tous les esprits.

Un lancement atypique et fulgurant pour un objet hors-norme. Aucune startup que j’ai pu connaitre n’a jamais atteint de tels niveaux de revenus aussi rapidement.

Mais les coûts de la structure étaient, eux aussi, anormalement élevés, loyers, masse salariale, frais de fonctionnement en grande partie sous-traités à Sodexo. Un hôtel de 160 chambres avec un taux de remplissage insuffisant car il n'était notamment pas exploité les week-ends, puisque dédié à l'accueil des clients de thecamp.

Le parcours de l’entreprise est toujours parsemé d’obstacle, nul entrepeneur ne l'ignore. Dans le cas de thecamp, la visibilité médiatique de l’affaire accentue les hauts et les bas. A la moindre difficulté, les critiques pleuvent, les media cherchent les failles. En France, l’ambition est souvent suspecte.

Très souvent j’entendis murmurer « je vous l’avais bien dit : le projet est trop cher, trop compliqué » ou encore « je le savais, un tel dossier ne peut survivre à son fondateur ».

Au cœur de la tempête et de la crise, l’équipe et le management tiennent bon. De nombreux partenaires privés affichent leur solidarité (certes pas tous, mais il n’est pas évident de maintenir alignés 15 grands groupes pendant plus de 5 ans, alors que leur propres attentes et leurs organisations évoluent sur la même période).

Je réalisais aussi qu'ils n'étaient sans doute pas tous venus à bord pour les mêmes raisons. Les débats et les comités de pilotage furent parfois houleux. Mais ce sont des discussions et des négociations qui n'ont rien d'anormales dans la vie des affaires.

Episode 3 the thecamp : 2019- 2021

Un nouveau directeur Général, Patrice Ceccaldi, rejoint le navire thecamp, à l’initiative de Didier Chabassieu (administrateur de thecamp et président de HighCo l’entreprise dont il était le cofondateur avec Frédéric Chevalier), qui a joué un rôle essentiel de stabilité en mémoire de son ami Fred).

Dans ce 3ème épisode, un nouveau décès brutal choque à nouveau la région et thecamp fin 2019 : celui de Thierry Pomaret, le patron de CAAP, (Credit Agricole Alpes Provence) un des tout premiers soutiens de thecamp, un banquier avec un véritable état d’esprit entrepreneurial. C'est lui qui avait pris la décision d'être actionnaire de thecamp au côté du fondateur, afin que le dossier de financement soit plus solide pour pouvoir solliciter de la dette.

Rapidement il est remplacé par Serge Magdeleine à la tête de CAAP. Ce dernier avait également été un des artisans et soutien de Frédéric Chevallier dès l'origine du projet thecamp . Ce dernier affirme sa volonté forte de soutenir le projet et sa trésorerie au cœur de la tempête COVID, en prenant notamment à son compte la majeure partie d’un PGE (Prêt Garanti par l'Etat) auquel contribuent également la BNP et le CIC.

Commence alors un travail complexe de restructuration et de rationalisation des coûts. Début 2020, alors que nous étions dans les starting blocks avec Patrice pour partir en levée de fonds avec un dossier à nouveau attractif, allégé et simplifié… Je me rappelle ce moment où j'avais en main les lettres de mandat des banques d'affaires prêtes à nous accompagner... ce moment précis où le COVID s’invite comme un raz de marée, partout dans le monde. En tant qu’ERP (Établissement Recevant du Public), thecamp est frappé de plein fouet et se retrouve sous le coup de longues fermetures administratives et sanitaires. Le chiffre d’affaires chute de 60%.

Comme partout, le chômage partiel permet de limiter les frais. C’est l’occasion de revisiter l’offre de service, de numériser une partie des contenus.

C’est l'opportunité pour thecamp de tester des nouveaux formats comme l'émission "L'après-demain se prépare maintenant" en partenariat avec la Tribune (Philippe Mabille au micro et Jean-Christophe Tortora aux manettes). Des dirigeant emblématiques ont confié leurs visions inspirantes à notre micro. Une façon de répondre à la crise sanitaire par une réaction inspirante.

Pendant que l’offre de service est repensée, les négociations sur le loyer et les coûts fixes se prolongent… je dois alors, en concertation avec le conseil d'administration, demander au Tribunal de commerce d’Aix en Provence de mettre en place une procédure de mandat ad hoc. C’est un outil juridique très utile qui est souvent méconnu ou sous-estimé par les entrepreneurs mais qui permet de mettre tout le monde autour de la table et de renégocier tous les contrats et les créances. Le Président du Tribunal, Charles-Alain Castola, joue un rôle constructif et fixe un cadre précis. thecamp est entouré de bonnes fées.

La procédure est couronnée de succès grâce au travail de Patrice et du mandataire Vincent Gillibert : les frais fixes de thecamp sont divisés par 2. Le loyer est allégé. L’entreprise se rapproche de son point mort.

Page 4 de thecamp : 2021-2022

La reprise économique post confinement se profile. Les clients reviennent à thecamp. La structure est proche de son point mort: en mai 2022, la rentabilité est atteinte pour la première fois.

Les actionnaires décident alors qu’il est temps de transmettre le flambeau.

Une procédure de cession est mise en place. De nombreux candidats repreneurs se manifestent.

Il s’agit de choisir le "meilleur", bien entendu, mais en gardant en tête que la charge symbolique et l’ambition du projet réclament du doigté, les journalistes sont aux aguets et les collectivités locales très vigilantes. 5 dossiers sont considérés comme sérieux, 3 seront short-listés et auront l'opportunité de finaliser une offre de rachat basée sur des projets différents, mais toujours très ambitieux.

L’analyse de chaque dossier est opérée autour de 3 critères : la vision, le modèle économique et la capacité de financement (et donc de remboursement des dettes privées et publiques. Le soutien du cabinet d'avocats d'affaires marseillais BBLM est précieux et ultra-professionnel tout au long de ce processus.

Après une longue période de due diligences et de négociation, le dossier rejoint donc enfin Unitel la holding de Kevin Polizzi qui a déjà montré son savoir-faire dans le montage de projets tels que Theodora à Marseille.

La 5eme page de thecamp...

Si c’était à refaire ?

A ceux qui m’ont souvent demandé : mais est ce que ce projet n’était pas trop ambitieux, j’ai toujours eu envie de répondre « Non ! pas assez ! ».

Le monde économique est en demande de transformation profonde et durable, le “time to market” pour le projet thecamp est le bon. C’est maintenant.

En tant qu’entrepreneur, je repars avec 3 enseignements importants que je partage ici :

• Un poste de président non opérationnel n’est pas pertinent dans une organisation qui traverse une telle crise. Il aurait été plus adapté que je sois actionnaire et en posture entrepreneuriale. A ma charge, je ne l’ai pas compris au début. A ma décharge, cela ne m’avait pas été présenté comme tel non plus. La gouvernance d’un projet complexe demande moins d’intelligence collective et plus de décision rapide, un mandat plus clair.
• Le financement d’un projet long terme avec des charges de structure élevée exige sans doute davantage de fonds propres et moins de crédits. La capacité d’une telle entreprise à pouvoir rembourser ses dettes réclame plusieurs années et la moindre crise fragilise l’avenir et l’ambition d’un dossier trop endetté. Le crédit porté dès le lancement met une pression financière excessive sur le projet. 
• Le droit de la faillite en France est trop méconnu alors qu'il contient de nombreux outils à même d'accompagner les entreprises, tel que les mandats ad hoc ou les procédures de conciliation : des processus qui sont confidentiels et qui donc, sans nuire à la réputation commerciale, permettent de redresser la barre en cas de coup dur. Souvent les entrepreneurs s'en méfient ou les craignent, peut-être par superstition... Mais il faudrait les dédramatiser et les faire mieux connaître.

Nous avons eu 2 obsessions sur ces 4 dernières années :

-      Maintenir la vision et le cap d’une utopie réaliste, fixés par Frédéric Chevalier, ne pas transformer le projet en simple opération immobilière

-      Conserver en ligne de mire le souci de l’argent public, ne pas déposer le bilan, chercher des solutions afin de trouver le point d’équilibre économique.

 Et Maintenant ?

Cybersecurité, Metavers, green IT : l’innovation ne ralentit pas. L’urgence de la transformation non plus, le projet de Kevin Polizzi est une promesse d'une ambition nouvelle, fortement ancrée dans le territoire provençal, et dans la continuité de celle Frédéric.

Longue vie à thecamp et merci à tous ses partenaires de la première heure... qui ne sont pas que des logos dans cette aventure ambitieuse.

Olivier Mathiot

(*) Kevin Polizzi est notamment le fondateur de Jaguar Network qui a été racheté par le groupe Iliad de Xavier Niel.